Contenu de l'article

Titre Symbiose fatale - Quant ghetto et prison se ressemblent et s'assemblent.
Auteur Loïc Wacquant
Mir@bel Revue Actes de la recherche en sciences sociales
Numéro no 139, septembre 2001 L'exception américaine (2)
Rubrique / Thématique
L'exception américaine (2)
Résumé Symbiose fatale. Quand ghetto et prison se ressemblent et s'assemblent Si l'on veut rendre compte de la stupéfiante sur-représentation des Noirs en prison à laquelle a conduit l'emprisonnement de masse aux États-Unis, on doit rompre avec le paradigme du « crime et du châtiment » pour considérer la fonction extra-pénologique du système judiciaire criminel, conçu comme un instrument de gestion des groupes déshérités et déshonorés. Cet article resitue la prison dans la chaîne historique des « institutions spéciales » qui ont été chargées de catégoriser et de confiner les Afro-Américains, avec l'esclavage, le régime de Jim Crow et le ghetto. La recrudescence récente de l'incarcération des Noirs résulte de la crise du ghetto en tant qu'instrument de contrôle de caste, et de la nécessité qui s'est ensuivie de trouver un appareil de substitution pour la contention des Afro-Américains des classes défavorisées. Dans la nouvelle ère qu'a ouverte la conquête des Droits civils, les vestiges du ghetto noir et le système carcéral en expansion se sont trouvés liés par une triple relation d'équivalence fonctionnelle, d'homologie structurale et de fusion culturelle, engendrant un continuum carcéral qui piège dans ses filets une population constituée de jeunes hommes noirs exclus du marché « dérégulé » du salariat. Ce maillage carcéral s'est trouvé consolidé par les changements qui ont remodelé la « Ceinture Noire » urbaine de l'après- guerre en sorte que le ghetto a été rendu de plus en plus semblable à la prison, et miné la «société détenue» des pénitenciers étatsuniens en sorte que la prison a été rendue de plus en plus semblable au ghetto. La symbiose entre ghetto et prison qui en résulte ne perpétue pas seulement la marginalité socio-économique et la souillure symbolique du sous-prolétariat noir, en nourrissant la croissance effrénée du système carcéral. Elle joue aussi un rôle pivot dans la re-fabrication de la « race » , la redéfinition de la citoyenneté par l'intermédiaire de la production d'une culture publique racialisée de dénigrement des criminels, et la construction d'un État post-keynésien qui substitue au traitement de la pauvreté par l'assistance sociale sa gestion pénale.
Résumé anglais A fatal symbiosis. When ghettos and prisons are of a feather If one wishes to account for the stupefying over-representation of Blacks in prison resulting from mass imprisonment in the US, one must forget the «crime and punishment » paradigm and consider the extra-penological function of the criminal justice system, conceived as an instrument for managing deprived and disgraced groups. The present article places prisons alongside slavery, the Jim Crow laws and the ghetto, in the historical chain of the «special institutions» which have been charged with classifying and confining African-Americans. The recent upsurge of Blacks imprisonment results from the crisis of the ghetto as an instrument of caste control, and from the subsequent need to find a substitute restraining device for African-Americans from underprivileged backgrounds. In the new era which opened with the Civil-Rights victories, the vestiges oj the black ghetto and the expanding prison system found themselves linked by a threefold relationship of functional equivalence, structural homology and cultural fusion ; together these gave rise to a penal continuum which caught up in its dragnet a population comprised of young black men excluded from the « deregulated » market of salaried work. The imprisoning mesh was consolidated by the changes which reshaped the post-war urban « Black Belt » in such a way that the ghetto came to look more and more like prison, and undermined the «inmate society » of the US prisons so that prison was made to look more and more like the ghetto. The resulting symbiosis between ghetto and prison perpetuates not only the socio- economic marginality and the symbolic defilement of the black under-class by fuelling the unbridled growth of the prison system, it also plays a pivotal role in the re-manufacture of « race », the redefinition of citizenship by way of the production of a racialized public culture of denigration/belittling of criminals, and the construction of a post- keynesian State which replaces the treatment of poverty by the social worker with its penal management.
Article en ligne http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_2001_num_139_1_3353