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Titre Une construction coloniale de la sexualité. A propos du multipartenariat hétérosexuel caribéen.
Auteur Michel Giraud.
Mir@bel Revue Actes de la recherche en sciences sociales
Numéro no 128, juin 1999 Sur la sexualité.
Rubrique / Thématique
Sur la sexualité.
Résumé Une construction coloniale de la sexualité. La catégorie foncièrement épidémiologique de multipartenariat qui, pour l'essentiel, explique la gravité et les spécificités de l'infection du sida aux Antilles et en Guyane est, en fait, localement réinterprétée à travers la construction sociale d'une sexualité des hommes noirs, fruit d'une histoire coloniale fortement marquée de l'empreinte de l'esclavage. Une histoire donc souvent invoquée pour comprendre les rapports de genres et les comportements sexuels actuels dans ces pays, y compris en plaçant à l'origine du machisme caribéen une volonté de s'opposer à la domination esclavagiste et coloniale. Au risque de surenchérir sur les stéréotypes qui stigmatisent une prétendue sexualité nègre et sur la volonté de normalisation qui les sous-tend. Les données de l'enquête Analyse des comportements sexuels aux Antilles et en Guyane, tout en confirmant l'existence d'un double standard de comportement sexuel selon le sexe des individus, montrent qu'il n'est pas aussi général que le voudraient cette construction et les analyses qui lui sont soumises. Elles révèlent également une stabilité des relations multipartenariales aux Antilles qui est peu conforme aux présupposés de ladite construction. C'est que la très forte emprise du principe d'une respectabilité mesurée à l'aune des normes de comportement de la petite bourgeoisie coloniale - qui valorise le mariage chrétien, la fidélité conjugale et la naissance d'enfants légitimes - est venue contrebalancer l'impact du principe de réputation qui s'était constitué en opposition à la morale coloniale et dont le donjuanisme est l'élément central. La stigmatisation qu'opère la construction sociale examinée, et donc la défiance qu'elle suscite dans de larges secteurs des populations antillaises et guyanaises, mais aussi la mauvaise appréciation des situations de risque de contamination par le virus du sida affrontées par ces populations, à laquelle conduit cette construction (notamment par la méconnaissance qu'elle induit de l'importance du nombre de « multipartenaires stables»), restent des obstacles majeurs à la prévention du sida dans les départements d'Amérique.
Résumé anglais A colonial construction of sexuality. The fundamentally epidemiological category of multiple-partners hip which, on the whole, explains the seriousness and the specificities of the aids epidemie in the French West Indies and Guiana is, in fact, locally reinterpreted through the social construction of a black male sexuality stemming from a colonial history strongly marked by slavery. This history is often invoked to explain present-day gender relations and sexual behaviors in these countries, including attributing the origin of Caribbean machismo to an opposition to the domination of slavery and colonization. At the risk of exacerbating these stereotypes which stigmatize a so-called Negro sexuality or the desire for normalization that underlies them. While the findings of the study, Analyse des comportements sexuels aux Antilles et en Guyane, confirm the existence of a double standard for sexual behavior according to the sex of the individuals, they also show that it is not as widespread as this construction and the resulting analyses would have it. They also show a stability in multi-partner relationships in the West Indies which is not consistent with the assumptions of the construction. This is because the strong influence of the principle of a respectability measured by colonial petty bourgeoisie standards - which values Christian marriage, marital fidelity and the birth of legitimate children - counteracts the impact of the principle of reputation, which grew up in opposition to colonial morality and of which the Don Juan complex is the central element. The stigmatization occasioned by this social construction, and therefore the distrust it inspires in broad sectors of the West Indian and Guianese populations, together with the underrating of the situations that present risks of contamination by the Aids virus that is invited by this construction (in particular by the misapprehension it induces as to the importance of the number of "stable multi-partners"), remain the major barriers to Aids prevention in these countries.
Article en ligne http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1999_num_128_1_3293