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Titre L'entrepreneuriat touristique local : une opportunité d'inversion du processus de marginalisation d'un centre historique ? Une analyse dans la médina de Fès au Maroc
Auteur Merryl Joly
Mir@bel Revue L'année du Maghreb
Numéro no 28, 2022 Dossier : Libye(s) en devenir. Déchiffrer le changement sociopolitique en diachronie et à plusieurs échelles
Rubrique / Thématique
Varia et recherches en cours
Page 157-170
Résumé Cet article s'intéresse au processus de démarginalisation de la médina de Fès par l'entrepreneuriat touristique. Il l'explore sous trois angles complémentaires : la représentation de l'espace de la médina qui a évolué positivement, le « laisser-faire » des pouvoirs publics locaux qui a aussi servi d'encouragement et le statut des nouveaux entrepreneurs marocains qui analysent leur propre action. Ils défendent notamment leur mise en valeur synonyme d'« authenticité marocaine » dans leur discours auprès des touristes ; ils s'impliquent dans les débats politiques sur le développement touristique local par le biais des associations et des réseaux professionnels. Les enquêtes de terrain ont été menées en juin-juillet 2018 et en décembre 2019, complétées par des observations réalisées comme résidente dans la médina de Fès entre 2016 et 2020, puis à nouveau à deux reprises lors de la crise sanitaire. Vingt entretiens au total ont été conduits : dix avec des familles modestes qui ont reconverti leur maison progressivement, à partir de revenus tirés d'emplois peu qualifiés dans différentes branches (tourisme, artisanat, restauration) ; deux dans des foyers défavorisés qui ont bénéficié de l'aide des pouvoirs publics par le biais du programme « Ziyarates Fès » ; trois auprès d'entrepreneurs touristiques qui sont aussi de grands propriétaires. Ces derniers possèdent des agences de voyage, des restaurants et/ou plusieurs maisons d'hôtes ou hôtels, en médina comme dans la ville nouvelle. Cinq entretiens enfin ont eu lieu avec des acteurs associatifs et publics locaux, qu'ils soient membres de l'Association des riads et maisons d'hôtes de Fès (ARMH-Fès), de la municipalité, du Centre régional d'investissement ou du Conseil régional du tourisme de la ville. Dans un premier temps, l'article dresse un état des lieux synthétique de la médina depuis le Protectorat français (1912-1956) jusqu'à la fin des années 2010. Il insiste sur sa marginalisation sociale, économique et politique jusqu'au début des années 1980. L'engouement pour les anciennes maisons et leur reconversion en maisons d'hôtes par des étrangers ont ensuite suscité l'intérêt des pouvoirs publics qui ont cherché à accompagner cette nouvelle dynamique entrepreneuriale pour mieux l'encadrer et la gérer. Le cadrage juridique à l'échelle nationale, défini en 2002, s'est vite montré insuffisant et la définition d'un nouveau réglement, en 2014, n'a pas permis de répondre à la diversité des nouvelles formes d'hébergement. Cependant, les pouvoirs publics locaux ont suppléé partiellement à ces carences en délivrant des autorisations de « maison prête à louer » à partir de 2009. Ils ont ainsi permis à de nombreux entrepreneurs touristiques marocains et étrangers d'ouvrir et d'exploiter leurs maisons d'hôtes. Parallèlement à ces autorisations, un programme d'accompagnement des familles les plus modestes a été mis en place pour la reconversion des maisons. Il encourage le logement chez l'habitant par le biais du label « Ziyarates Fès ». Ces mesures locales ont aidé les familles défavorisées à s'impliquer dans la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine matériel et immatériel de la médina. Chaque profil d'entrepreneur met en avant sa défense d'une « authenticité marocaine » articulée autour de l'héritage immatériel, notamment familial. Cependant, de nouvelles différenciations sociales creusent les écarts entre ces acteurs privés. Leur engagement associatif témoigne d'un renforcement de la position socio-économique des grands propriétaires au détriment des plus modestes. Ces derniers restent à la marge des discussions au sein de l'ARMH-Fès quand ils n'en sont pas exclus. Ceux qui ne disposent que du statut de « maison prête à louer » apparaissent dans une position fragile. Leurs difficultés à se constituer en collectif nuit également à leur reconnaissance. Ils se débattent alors dans une forme d'informalité, tolérés par les autorités locales mais à l'écart des débats sur le développement touristique de la médina de Fès.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Résumé anglais This article focuses on the process of demarginalization of the medina of Fez through tourism entrepreneurship. It explores it from three complementary angles: the representation of the medina space that has evolved positively, the "laissez-faire" of local public authorities that has also served as an incentive, and the status of the new Moroccan entrepreneurs who analyze their own actions. In particular, they defend their development, which is synonymous with "Moroccan authenticity" in their discourse with tourists; they are involved in political debates on local tourism development through associations and professional networks. Field surveys were conducted in June-July 2018 and December 2019, supplemented by observations conducted as a resident in the medina of Fez between 2016 and 2020, and again twice during the health crisis. A total of 20 interviews were conducted: ten with modest families who have gradually converted their homes from income derived from low-skilled jobs in different sectors (tourism, crafts, catering); two with disadvantaged households who have benefited from government assistance through the "Ziyarates Fez" program; and three with tourism entrepreneurs who are also large property owners. The latter own travel agencies, restaurants and/or several guest houses or hotels, both in the medina and in the new city. Finally, five interviews were held with local associations and public actors, whether they are members of the Association of Riads and Guest Houses of Fez (ARMH-Fez), the municipality, the Regional Investment Center or the Regional Tourism Council of the city. Initially, the article provides a summary of the medina since the French Protectorate (1912-1956) until the late 2010s. It emphasizes its social, economic and political marginalization until the early 1980s. The craze for old houses and their conversion into guest houses by foreigners then aroused the interest of public authorities who sought to accompany this new entrepreneurial dynamic to better supervise and manage it. The legal framework at the national level, defined in 2002, quickly proved insufficient and the definition of a new regulation, in 2014, did not make it possible to respond to the diversity of the new forms of accommodation. However, the local authorities partially compensated for these shortcomings by issuing "ready-to-rent" permits, starting in 2009. This has enabled many Moroccan and foreign tourism entrepreneurs to open and operate their guest houses. In parallel with these authorizations, a program to support the poorest families has been put in place to convert houses. It encourages home-stay accommodation through a label. These local measures have helped disadvantaged families to become involved in the safeguarding and development of the tangible and intangible heritage of the medina. Each entrepreneur profile puts forward its defense of a "Moroccan authenticity", articulated around the intangible heritage, particularly the family. However, new social differentiations are widening the gaps between these private actors. Their involvement in associations testifies to a strengthening of the socio-economic position of large landowners to the detriment of the more modest. The latter remain on the margins of discussions within the ARMH-Fès, when they are not excluded. Those who only have the status of "house ready to rent" appear in a fragile position. Their difficulties in forming a collective also undermine their recognition. They struggle in a form of informality, tolerated by the local authorities but outside the debates on the development of tourism in the medina of Fez.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Article en ligne https://journals.openedition.org/anneemaghreb/11451