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Revue Revue historique Mir@bel
Numéro no 667, juillet 2013
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Articles

    • Un hôtel royal et ses dignitaires au XIVe siècle. L'exemple de l'hôtel de Charles II roi de Navarre - Philippe Charon p. 507-548 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Charles II, roi de Navarre et comte d'Évreux (1349-1387), disposait, à l'instar de ses contemporains, d'un hôtel, que ce soit dans son royaume que sur ses terres françaises. Il était gouverné, outre la chambre avec à sa tête des chambellans, par des maîtres d'hôtel et comprenait cinq métiers, l'écurie, la fruiterie, la cuisine, et la bouteillerie ou échansonnerie (la fourrière étant agrégé à l'écurie), dirigés chacun par des maîtres ou écuyers. Ces responsables, au nombre de quatre-vingt-huit recensés au cours du règne, étaient nobles à une très forte majorité. Cette origine sociale homogène ne se traduit toutefois pas dans une même origine géographique : l'hôtel de Charles II a compris des Français en nombre très supérieur aux Navarrais, et cela jusqu'à la fin de son règne après son installation définitive en Navarre après 1361. Pour autant, cette hétérogénéité géographique n'a pas entraîné la création de groupes distincts. Si certains dignitaires français venus le servir en Navarre ont regagné leurs terres, d'autres se sont installés dans ce royaume, soit en faisant venir leur famille, soit en s'alliant par mariage à des familles navarraises. Il a existé d'autres facteurs de cohésion. Les Navarrais, comme les Français, ont partagé le destin de leur maître. Ils ont été ses compagnons de fortune et d'armes dans ses guerres du royaume de France des années 1358-1359, et même avant. Pour au moins dix d'entre eux, ils ont pris part, de près ou de loin, à sa libération, dans la nuit du 7 au 8 novembre 1358, du château d'Arleux où le roi Jean le retenait prisonnier depuis son arrestation le 5 avril 1356 à Rouen, comme aux événements immédiatement postérieurs. Il s'en est suivi une solidarité affective, entre ces hommes, mais aussi entre eux et Charles II, laquelle a rejailli sur leurs parents et enfants. Charles a en effet confié aux uns des postes dans son hôtel, tandis qu'il a assuré les conditions matérielles des autres. Si la durée moyenne de leur service dans l'hôtel est de moins de dix ans, avec de fortes disparités, celle de leur carrière est de presque quatorze ans, ce qui est une durée longue. L'engagement s'est donc traduit par une longévité de service, dans et en dehors de l'hôtel, ainsi que par une fidélité. Seuls quatre officiers connurent une disgrâce, ce qui est marginal. S'il a existé des spécialistes de la chose domestique, à l'échansonnerie, la cuisine ou la fruiterie, si certains dignitaires ont exercé leurs talents dans les hôtels de l'épouse de Charles II, de son frère et de sa sœur, d'autres ont un parcours qui illustre le fait que l'hôtel de Charles ne se cantonnait pas à ces fonctions domestiques. Il avait un rôle militaire : ses dignitaires prenaient les armes en cas de menaces aux frontières, d'entrées en campagnes ou de guerres, et certains cumulaient des responsabilités de capitaine. Il avait aussi un rôle diplomatique : c'est au sein de l'hôtel que les princes étaient reçus, comme leurs ambassadeurs ou envoyés. Il s'y discutait ainsi de la politique étrangère et de la diplomatie navarraises. Et aux dignitaires, principalement les chambellans et maîtres d'hôtel, étaient confiées des missions d'ambassadeurs ou de négociateurs. Lorsque Charles demandait à ses conseillers de venir le rejoindre, c'est au sein de l'hôtel que se tenaient les réunions du conseil. Qu'ils aient été conseillers en titre ou non, 16 % des dignitaires de l'hôtel, et le tiers des chambellans et maîtres d'hôtel, faisaient partie de ces hommes de gouvernement de l'entourage de Charles II. Tout cela marque l'importance de cette institution médiévale qu'étaient les hôtels royaux, et le rôle éminent de leurs responsables.
      Charles II, king of Navarre and count of Évreux (1349-1387), like his contemporaries, had a household, whether this was in his kingdom or in his French lands. It was governed, except for the chamber with chamberlains at its head, by masters of the household, and consisted of five offices, the stable, the fruitery, the kitchen and the buttery or cellar (with the marshalcy being attached to the stable), each directed by masters or esquires. Eighty-eight men holding these offices have been identified during the reign, the majority of them nobles. Their common social origin does not mean a common geographical one : the household of Charles II included a much greater number of French men than Navarrese down to the end of his reign, even after his definitive installation in Navarre in 1361. This geographical heterogeneity did not, however, result in the creation of distinct groups. If some French officers who served in Navarre later returned to their own estates, others settled in the kingdom, either bringing their families with them, or marrying Navarrese wives. There were other factors encouraging cohesion. The Navarrese, like the French, shared the destiny of their master. They were his companions in arms in his wars in France in 1358 and 1359, and even before. At least ten of them helped, either directly or indirectly, in his escape during the night of 7 and 8 November 1358 from the castle of Arleux where King John had held him prisoner since his arrest on 5 April 1356 at Rouen, as well as in the immediately following events. From this sprang emotional ties among these men, and also between them and Charles II, which also affected their relatives and children. In effect, Charles conferred posts in his household on some of them, and provided material support to others. If their average length of service in the household was less than ten years, with strong variations, that of their full careers was almost fourteeen years, a lengthy period. The links between them thus translated into a long period of service both within and outside the household as well as in terms of fidelity. Only four officers suffered later disgrace, an insignificant number. If some specialists existed in domestic offices such as the buttery, kitchen or fruitery, if certain officers exercised their talents in the households of the queen or those of the brothers and sister of Charles II, others had careers in that of the king which were not limited simply to these domestic functions. They had a military role : his officers took up arms if the frontiers were threatened, or the countryside invaded or war broke out, and some also took on responsibilites as captains. There was also diplomacy ; it was in the household that princes were received as were their ambassadors or envoys. It was here, too, that foreign policy was discussed and Navarrese diplomacy decided. And it was to these officers, principally the chamberlains and masters of the household, that missions as ambassadors or negociators were confided. When Charles summoned his counsellors to join him, it was in the heart of the household that sessions of the council were held. Whether they were nominated as counsellors or not, 16 % of the household officers, and a third of the chamberlains and masters of the household, formed part of the governing body that surrounded Charles II. All this underlines the importance of the royal household as a medieval institution, and of the pre-eminent role played by its members.
    • L'entourage criminel de Charles de Navarre d'après les dépositions de 1378 - Xavier Pindard p. 549-574 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'année 1378 voit deux fidèles de Charles II de Navarre, Jaquet de Rue et Pierre du Tertre, être arrêtés et exécutés à Paris par la justice de Charles V. Le premier des deux avait avoué notamment des tentatives d'empoisonnement contre le roi de France de la part du roi de Navarre.Les interrogatoires des deux hommes, menés par de nombreux commissaires proches de la personne de Charles V, sont conservés au Trésor des Chartes. À leur lecture, il apparaît que le procès mené contre eux tranche avec les grands procès politiques du début du XIVe siècle. En effet, les deux accusés ont eu la possibilité de se défendre et ils n'ont vraisemblablement pas été torturés. De plus, il n'est jamais question de crimes en lien avec le diable ou des puissances surnaturelles.Ces dépositions sont des sources de premier ordre sur les activités criminelles de Charles de Navarre et de son entourage. Elles mentionnent en effet plusieurs serviteurs, des hommes de guerre, et même un médecin, que l'on retrouve tous dans les archives navarraises. Leurs rôles varient : certains restent auprès du prince en Navarre, d'autres voyagent infatigablement pour accomplir des missions à son service. Mais, au-delà des différences, ce qui unit ces hommes est la loyauté envers Charles de Navarre, pour laquelle ils reçoivent en retour une protection sans faille et des récompenses.
      In 1378, Jaquet de Rue and Pierre du Tertre, two retainers of Charles II, king of Navarre, were arrested and then executed in Paris by the law of the king of France Charles V. The former confessed that Charles II of Navarre had tried several times to poison King Charles. Interrogations were led by judges close to the king of France. The records, kept in the Trésor des Chartes, at the Archives Nationales, reveal that the political trial of 1378 differed in many ways from the famous cases of the early 14th century. Indeed, Jaquet de Rue and Pierre du Tertre were given the possibility to defend themselves, and it seems that torture was not used upon them. Moreover, they were not charged with use of black magic, demonic invocation, or anything supernatural. The testimonies of these two men should be read as primary sources on the criminal activities of a prince of royal blood and his entourage. They mention servants, soldiers, and even a physician, some staying in the close company of Charles II in Navarre, and others getting about to fulfil the missions assigned by the king. Despite their differences, these men are bound by their unfailing loyalty to the king of Navarre, in exchange of which they receive rewards and a total support from their master.
    • Autonomie nobiliaire, mémoire familiale et pouvoir du souverain sous Louis XIV - Martin Wrede, Emmanuel Hourcade, Lionel Latty p. 575-600 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Emmanuel-Théodose de La Tour d'Auvergne fut le tout dernier frondeur de l'Ancien Régime. Il chercha à concurrencer la monarchie et la dynastie royale en soutenant le rang et l'autonomie de sa propre maison à travers ses ancêtres. Cette tentative échoua. Louis XIV n'accepta ni les preuves ni les prétentions ni même le débat : lorsque deux lignées de la haute noblesse de cour se disputèrent leurs généalogies, le litige ne toucha pas la Couronne mais il renforça le rang du roi en tant qu'arbitre souverain. La revendication des La Tour d'Auvergne selon laquelle leur rang et leur autonomie nobiliaire n'étaient pas dûs aux grâces du roi mais à leur ascendance précapétienne était de nature à mettre en question et en danger souveraineté du Roi et prestige de la dynastie royale. Louis XIV réagit par la force : il détruisit les « chimères des Bouillon ». La souveraineté du roi de France reposait aussi sur sa maîtrise de la mémoire et l'histoire familiale des Grands, donc de leurs ambitions généalogiques.
      Emmanuel-Thédose de La Tour d'Auvergne, Cardinal de Bouillon appears to be the very last frondeur in 17th century France, when he was trying to compete with the crown over memory and genealogy of his house as the ultimate signs of its autonomy. Whereas appeals to mythic ancestors had become obsolete, his attempt to provide historical substantiation for an ‘ambitious' family tree was not only thoroughly ‘modern' but also bound to support a claim that rank and legitimacy of the La Tour d'Auvergne as noble House were not dependent upon the King. Instead, the La Tour d'Auvergne had possessed their authority long before the Capetians. Such a claim, however, inevitably threatened rank and legitimacy of the royal house. The situation changed decisively and the emphatic intervention by the King became unavoidable. Royal motives in dismissing the La Tour d'Auvergne-claim were not simply the result of that much prized historical concept of ‘state-building'. Instead, the Crown's response was itself bound up with the classic dynastic goals of the ‘famille des Bourbons'. Louis XIV and his House were not entirely above that society. To a great extent, the Bourbons were also anchored in the same system of rules, rank and conventions that governed aristocratic society.Never mind its “modernity”, the Cardinal's ‘chimera' was in fact a rearguard action. It showed how enduring was the use of genealogy in attempts to assert the independency aristocratic authority and resist the centralization of power. Yet at the same time the conflict demonstrated how the nobility had also begun to discard such genealogical ‘chimera'. Such claims appeared increasingly anachronistic and their claimants subject to ridicule as tragic, Don Quixote like figures. Thus, the Cardinal was by no means anachronistic in adhering to the principle of utilizing the family past to assert its prestige. What was anachronistic was the use of this principle to challenge royal authority. It was anachronistic because the monarchy had turned these disputes into a power struggle, in which it could, and would, violently assert its own views and suppress others. Louis XIV's sovereignty consisted even of his disposal of his subjects ‘past'.
    • Français par le livre : Les princes de Monaco et l'incroyable longévité d'une généalogie fabuleuse (XVIIe-XIXe siècle) - Thomas Fouilleron p. 601-636 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les généalogies mythiques connaissent, dans toute l'Europe de la première modernité, une exceptionnelle floraison. Alors que l'âge d'or de ces récits fabuleux est passé, les Grimaldi de Monaco publient en 1647, presque à contre-courant, leurs incroyables origines, dans un ouvrage à l'allure savante, Genealogica et Historica Grimaldœ Gentis arbor. Alors que le prince Honoré II a abandonné le camp espagnol en 1641 et s'est placé sous la protection française, son secrétaire accommode la tradition familiale à la nécessité géopolitique en donnant aux maîtres de Monaco des racines françaises et un lointain cousinage avec la lignée royale. Immédiatement perçu comme une supercherie, ce livre de naturalité n'en traverse pas moins le siècle des Lumières et reste, jusqu'à la fin du XIXe siècle, le corps de doctrine généalogique officiel d'une dynastie oublieuse de sa mère patrie italienne, car menacée dans sa souveraineté même par le mouvement du Risorgimento.
      The mythical genealogies experienced, throughout the early modem Europe, an exceptional flowering. While the golden age of these fabulous tales passed, the Grimaldis of Monaco published in 1647, almost again the flow, their unbelievable origins, in a scholarly looking book, Genealogica et Historica Grimaldae Gentis arbor. While Prince Honore II leaved the Spanish camp in 1641, and settled under French protection, his secretary dealed with the family tradition and geopolitical necessity, by giving to Monaco masters French roots and a far cousin link with the Royal lineage. Even immediately felt like a fraud, this book about naturality crossed the Enlightenment age and stayed, until the end of the 19th century, the official reference of a dynasty forgotting her Italian motherland, threatened in its supremacy by the “Risorgimento” movement.
    • Pour une étude des choix de langue en milieu plurilingue : représentations et pratiques en Bohême à l'époque des Lumières - Claire Madl p. 637-659 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À l'aide des concepts de représentation et de pratique, l'article examine comment interpréter les choix ponctuels de langue pour la communication interpersonnelle écrite en milieu plurilingue, que ces choix paraissent singuliers ou au contraire conformistes. Le terrain considéré est la monarchie des Habsbourg, en particulier la Bohême au XVIIIe siècle. Après avoir étudié les ressorts du plurilinguisme dans cette région, il s'agit de définir et de qualifier ce phénomène à partir de la production livresque et de ce que nous savons des lectures des habitants. Une analyse du contenu de ces lectures permet une première approche des représentations dominantes liées aux langues (le français est utilisé plus souvent par la noblesse, les sciences sont plus souvent lues en allemand qu'en français, le latin reste présent dans le domaine du droit, etc.). Celles-ci sont confrontées aux témoignages des contemporains qui montrent en particulier la dépréciation du français, l'importance donnée à la notion de langue maternelle, le caractère social conféré à l'emploi de certaines langues. En rétrécissant le terrain et considérant un individu pour lequel nous disposons d'une documentation très fournie, il est enfin possible de mesurer la latitude laissée aux acteurs pour donner du sens à leurs prises de paroles particulières et de reconstituer les stratégies qu'ils mettent en œuvre dans des situations ponctuelles pour jouer plutôt que se soumettre à ces représentations dominantes.
      Using the concepts of practices and representations, this paper seeks to find a way in order to analyse precise choices of language for interpersonal communication in a plurilingual environment whereas these choices might seem singular or conformist. The field of research is the Habsburg monarchy, especially Bohemia at the end of the 18th century. The important factors impacting the phenomenon of plurilinguism in this area are first presented. Then the precise occurrence of various languages is determined on the basis of the book production, books collections and what we know about the reading practices of the inhabitants. A first sketch of the main characteristics of different languages can be drawn (French is mainly used by aristocrats, sciences are more often read in German than in French, Latin is still used for law literature, Czech has become mainly an oral and popular language, etc.). Contemporary testimonies provide us with other, sometimes conflicted, representations about languages (French is depreciated, “mother tongue” becomes an exclusive value, the use of some languages is systematically associated with a social group). This paper then focuses on an individual for whom a good documentation enables us to define his personal linguistic abilities, the representations he shared and his main linguistic practices, especially in his diplomatic offices : Franz Anton von Hartig (1758-1797). For his case, we analyse strategies he implements in interpersonal communicative situations in order to free himself from the dominant representations and practices and confer an original meaning to his language choices.
    • Une formation syndicale dans la Guinée de Sékou Touré : l'université ouvrière africaine, 1960-1965 - Françoise Blum p. 661-691 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'Université Ouvrière Africaine est une expérience de formation syndicale, destinée aux cadres ou futurs cadres syndicaux. Cet article en propose une histoire. Il s'intéresse à des stagiaires venus de divers pays africains, ainsi qu'aux enseignements dispensés et à leur réception. L'histoire de cette école, financée par la communiste Fédération syndicale mondiale (FSM) et dirigée par le militant cégétiste Maurice Gastaud, offre un prisme de lecture favorable pour mieux comprendre la Guinée des années 1960 ainsi que, plus généralement, les stratégies de guerre froide sur le continent africain. L'école participe aussi d'une diffusion mondialisée des pratiques et savoirs militants, ainsi que de leur réception, dans une Afrique qui n'a pas toujours choisi entre l'Est et l'Ouest.
      The African Labor University is a labor-union formation, dedicated to the education of executives or future labor-union executives. This article proposes a history of this experiment. It follows trainees coming from diverse African countries, describes the classes they followed and how they perceived them. The history of this school, financed by the communist World Federation of Trade Unions (Fédération syndicale mondiale, FSM) and managed by Maurice Gastaud, an activist member of the CGT (a French trade union), enables a better understanding of the Guinea of the 60s and more generally, of Cold War strategies on the African continent. The school also proves the globalization of militant practices and knowledge, in an Africa that remains undecided between the East and the West.
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