Contenu du sommaire : Juifs et chrétiens au Moyen Âge - Histoire des savoirs

Revue Annales. Histoire, Sciences Sociales Mir@bel
Numéro vol. 67, no 1, janvier 2012
Titre du numéro Juifs et chrétiens au Moyen Âge - Histoire des savoirs
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Juifs et chrétiens au Moyen Âge

    • La raison dans l'histoire de la persécution : Observations sur l'historiographie des relations entre juifs et chrétiens sous l'angle des baptêmes forcés - Elsa Marmursztejn p. 7-40 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La question du baptême forcé, comme forme de la persécution des juifs inscrite dans la longue durée de l'histoire des sociétés occidentales, apparaît comme un lieu de fortes tensions historiographiques. Analysant les risques auxquels son étude s'expose (« conception larmoyante de l'histoire juive », optique « téléologique », « anachronique », « judiciaire »), l'article traite des tendances historiographiques qui, rejetant le paradigme de la « société persécutrice » et réduisant systématiquement la part des facteurs religieux dans l'explication des formes de la persécution, ont donné lieu à un travail spécifique sur la causalité et la temporalité historiques. Deux situations précises (la première croisade en 1096, la croisade des Pastoureaux en 1320) permettent d'observer les mécanismes de rationalisation à l'œuvre dans cette nouvelle histoire de la persécution, et de rendre compte de la diversité de ses objets et de ses approches.
      Reason in the history of persecution : Observations on the historiography of Jewish-Christian relations as far as forced baptisms are concerned Forced baptism, as a long-lasting instance of the persecution of Jews in Western societies, has been a highly controversial historiographical issue. Taking into account the risks involved in such a stance–as being a “lachrymose conception of Jewish history” and advocating “teleological”, “anachronistic”, “judiciary” views–this paper deals with the historiographical trends which, ruling out the “persecuting society” paradigm and systematically minimizing the part played by religious factors to explain the forms of persecution, have resulted in a specific work on historical causality and temporality. Two situations (the first Crusade in 1096 and the Crusade of the Pastoureaux in 1320) enable us to observe the mechanisms of rationalization in this new history of persecution, and show the diversity of its objects and approaches.
    • Jean XXII et l'expulsion des juifs du Comtat Venaissin - Valérie Theis p. 41-77 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au début des années 1320, les populations juives du Comtat Venaissin ont été expulsées de ce territoire par le pape Jean XXII qui en était le souverain. Cet épisode, souvent rapproché par les historiens de la politique du roi de France vis-à-vis des juifs, n'a jamais fait l'objet d'études rendant compte de manière satisfaisante de son déroulement et des raisons qui avaient pu pousser la papauté à rompre avec la doctrine de la protection nécessaire des juifs, qui prévalait depuis l'émission de la bulle Sicut Judeis. Même si Carlo Ginzburg lui a accordé une place dans Le Sabbat des sorcières, l'historiographie a longtemps été dominée par l'idée que la protection pontificale n'avait pas fait défaut aux juifs, contrastant avec l'attitude des souverains laïcs. Des sources comptables inédites permettent de remettre en question cette vision des choses, de préciser la datation de l'expulsion et le déroulement des opérations de vente forcée des biens des juifs. Elles donnent aussi l'occasion de proposer une interprétation du revirement de la politique pontificale qui se tienne à distance d'une histoire idéalisée des rapports entre les juifs et les chrétiens et d'une histoire de la montée en puissance des mentalités persécutrices, pour replacer l'épisode dans le cadre du développement des structures étatiques et des arts de gouverner.
      John XXII and the expulsion of Jews from the Comtat Venaissin In the early 1320s, the Jewish populations of the Comtat Venaissin were expelled from this territory by its ruler, Pope John XXII. This episode has often been linked by historians to the French king's policy with regard to the Jews ; however, no studies have ever described in a satisfactory manner the way in which this expulsion was carried out, or the reasons why the Papacy broke with the longstanding doctrine of the necessary protection of Jews, which had prevailed since the bull Sicut Judeis. Although the question was given some attention by Carlo Ginzburg in Deciphering the Witches' Sabbath, the historiography has long been dominated by the idea that the Popes, unlike secular rulers, had never failed to protect the Jews. This article revisits this story. Using unpublished accounting documents, it proposes a more precise chronology of events leading to the expulsion, and an explanation of the way the forced sale of Jewish belongings was carried out. This leads to a new interpretation of this reversal of Papal policy, diverging both from an idealized history of the relations between Jews and Christians and from that of the rise of persecution mentalities, and embedded in the context of the building of state structures and the development of the arts of government.
  • Histoire des savoirs

    • Vraisemblance référentielle, nécessité narrative, poétique de la vue : L'historiographie grecque classique entre factuel et fictif - Claude Calame p. 81-101 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En Grèce classique, les premières formes d'historiographies dépendent d'une volonté mémorielle : garder en mémoire et publier les actions des hommes, dans le passé récent. Mais ces formes visent aussi à donner un sens à ces actions : ordre de la justice humaine et territoriale chez Hérodote ; anthropologie de la domination chez Thucydide. Dans ce « façonnement » discursif de l'histoire, la rhétorique de la vue joue un rôle essentiel. Occasion de s'interroger sur les modes d'une « fiction » qui, au sens étymologique du terme, « fabrique » et par conséquent « fictionnalise » le factuel ; occasion d'envisager le rôle du vraisemblable dans des constructions narratives partagées entre cohérence interne et référence externe. De là l'oxymore de « fiction référentielle ».
      Referential verisimilitude, narrative necessity, and the poetics of sight : Classical Greek historiography between fact and fiction In Classical Greece, the first forms of historiography sprung from a preoccupation with memory : to memorialize and publicize the actions of men in the recent past. They also aimed to make sense of those actions : order of human and territorial justice for Herodotus, anthropology of domination for Thucydides. In this discursive “shaping” of History, rhetoric played an essential role. Opportunity to muse about modalities of “fiction”, which, etymologically, “makes” hence “fictionalize” facts ; opportunity also to think about the importance of verisimilitude in the narrative constructions torn between internal coherence and external references. Hence the oxymoron of “referential fiction”.
    • Penser la tradition juridique occidentale : Une lecture de Yan Thomas - Marta Madero p. 103-133 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'œuvre de Yan Thomas a profondément marqué la recherche récente dans le domaine de l'histoire du droit. Deux convictions essentielles articulent son travail : d'une part, une aversion profonde pour les lectures doctrinales et un intérêt d'une intensité égale pour la casuistique ; de l'autre, la certitude que la fiction, technique qui caractérise le droit romain, est la clef de lecture de la tradition juridique occidentale. L'article propose un cheminement en compagnie des travaux du juriste récemment disparu où l'on reprend les thèmes majeurs d'une réflexion qui permit d'assigner au droit une place consciente de sa spécificité dans le cadre d'un dialogue renouvelé avec les sciences sociales.
      Thinking the Western legal tradition : A reading of Yan Thomas's work Yan Thomas's work has had a profound impact on recent research in the field of legal history. Two core beliefs drive his work : first, a deep aversion to doctrinal readings and an equally deep commitment to casuistry ; second, his belief that fiction, a technique characteristic of Roman law, is the key to understanding the Western legal tradition. This article traces a path through Thomas's work, addressing his major lines of thought that highlight both the specificity of law, and the possibility of a renewed dialogue with the social sciences.
    • Méditations mathématiques : Retour sur une pratique morale des sciences à l'âge classique - Stéphane Van Damme p. 135-152 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans quelle mesure les savants ont-ils utilisé les sciences pour poursuivre une bonne vie au XVIIe siècle ? Comment articuler révolution scientifique et questionnement éthique ? Ce sont les questions que formule l'historien des sciences Matthew Jones dans son ouvrage The good life in the scientific revolution. Son projet s'inscrit d'abord dans les prolongements des recherches sur une histoire sociale de la vérité qui a encouragé de nombreux historiens depuis deux décennies à déchiffrer les normes morales qui garantissent l'usage et la production des énoncés scientifiques. La civilité, la politesse, l'honneur ont donné lieu à des recherches précises qui ont permis de souligner le contexte culturel et social qui entoure les pratiques de l'innovation scientifique à l'âge classique. Ensuite, il approfondit ces interrogations en se demandant comment la pratique mathématique est considérée comme une mise en jeu, et non comme le reflet, de ces normes morales. Cet article se propose de discuter des apports de ce livre en examinant d'abord les trois formes d'expérimentation d'une morale mathématique menées par Descartes, Pascal et Leibniz. L'article montre ensuite comment Matthew Jones puise dans les travaux de Pierre Hadot sa conception des exercices mathématiques comme exercices spirituels. Dans un troisième temps, l'article étudie dans quelle mesure le livre illustre un retour de la question morale en histoire des sciences anglophone depuis une vingtaine d'années alors que l'épistémologie classique à la française s'est toujours tenue à distance de ce questionnement. On montrera comment ces approches ouvrent des pistes de réflexion pour les historiens pour mieux saisir les relations entre sciences et religion à l'époque moderne.
      Mathematical meditations : Restaging moral practices of sciences in the classical age To what extent did scholars use science to pursue a good life in the seventeenth century ? How to articulate Scientific Revolution and ethical questions ? These are the questions at the core of the investigation led by the historian of science Matthew Jones in his book The Good Life in the Scientific Revolution. At first glance, his first project is simply an extension of research on a social history of truth that has encouraged many historians for two decades to decipher the moral norms that gave credit to the use and production of scientific knowledge. Civility, politeness, honour led to specific research that highlighted the cultural and social context surrounding the practices of scientific innovation in the classical age. This book deepens these questions by asking how mathematical practices were considered as moral reflections. This article will discuss the contribution of this book by first examining the three attempts at experimenting mathematical morals led by Descartes, Pascal and Leibniz. The article then shows how Matthew Jones successfully draws on the work of Pierre Hadot by considering mathematical exercises as spiritual exercises. In a third broader step, the article examines how the book exemplifies a return of the moral issue in Anglophone history of science in the last twenty years while the French classical epistemology has always kept away from this kind of questioning. The article argues that these approaches open up avenues of research for historians to better understand the relationship between science and passion, science and spirituality, and more largely science and religion in the early modern period.
    • Philologie et racisme : À propos de l'historicité dans les sciences des langues et des textes - Markus Messling p. 153-182 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le tournant philologique dans les sciences des textes est ancré dans la critique de la théorie littéraire et la recherche de l'objectivité dans la compréhension des écrits. Mais si l'idée de se concentrer sur la structure immanente des textes a été à l'origine de la philologie moderne, les problèmes du sens et de la traduction ont produit un surplus au cours du XIXe siècle qui peut être décrit en termes d'herméneutique culturelle. Ainsi la philologie historique a considérablement élargi sa pratique pour inclure la dimension culturelle. Edward Saïd et ses disciples en ont exploré les implications en lien avec la constitution d'une hégémonie discursive européenne. Pour que le retour à la philologie ne devienne pas l'expression nostalgique du regret du déclin d'une science classique, il faut prendre ce passé en compte. Les analyses qui ont abordé ce problème ont été principalement inspirées de l'expérience d'un échec civilisationnel et ont construit un modèle de production discursive du pouvoir. Mais comment la philologie peut-elle esquisser des perspectives nouvelles dans les débats contemporains si elle néglige l'hétérogénéité de son propre discours historique ? Cet article entreprend donc d'identifier et d'analyser les traces de résistance contre le modèle culturel impérial de la philologie historique.
      Philology and racism : The problem of historicity in linguistic and textual scholarship The philological turn in textual scholarship is rooted in the critique of literary theory and the search for objectivity in the understanding of texts. But if the idea of focussing on the immanent structures of texts has been at the origins of modern philology, problems of meaning and translation produced a surplus during the course of the 19th century that can be described in terms of cultural hermeneutics. Thus historical philology emphatically widened its praxis towards cultural understanding. Edward W. Saïd and followers have explored the implications of this in relation to the constituting of European discursive hegemony. If the return to philology is not to be the nostalgic expression of regret at the ongoing decline of classical scholarship, it must take this past into account. Analyses that have focussed on the problem have been driven primarily by the experience of civilizational failure and have elaborated a model of the discursive production of power. But how can philology possibly develop perspectives about its status and praxis within contemporary debates if it continues to neglect the heterogeneity within its own historical discourse ? The article sets out to identify and analyze traces of resistance against the imperial cultural model of historical philology.
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