Contenu du sommaire : Protagonisme et crises politiques

Revue Politix Mir@bel
Numéro vol. 28, no 112, 2015
Titre du numéro Protagonisme et crises politiques
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial

  • Dossier : Protagonisme et crises politiques

    • Protagonisme et crises politiques : Individus « ordinaires » et politisations « extraordinaires » - Quentin Deluermoz, Boris Gobille p. 9-29 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Conçu comme une introduction au dossier thématique, cet article revient sur la notion de « protagonisme » forgée par l'historien Haim Burstin à propos de la Révolution française. Il en présente les spécificités, ainsi que la manière dont elle condense des déplacements significatifs dans l'analyse des crises politiques et des révolutions. Tester cette proposition historienne sur des terrains et des disciplines variés permet de se livrer à un exercice original d'interdisciplinarité et de mesurer la fécondité du regard que la notion invite à porter sur un enjeu central des conjonctures critiques : leur capacité à transformer les individus en acteurs de l'Histoire, et la contribution de ceux-ci à la dynamique des événements. La présentation des contributions est l'occasion de dresser un premier bilan. Il apparaît que la notion permet de revisiter des dimensions nodales des moments critiques, qui tiennent aux temporalités qui sont en jeu, aux fabriques instables et processuelles de la légitimité, au rôle des affects dans les conduites, au travail de signification opéré par des collectifs organisés. Des compléments semblent toutefois nécessaires pour la rendre plus opératoire encore, tels que la prise en compte des régimes politiques, des cultures temporelles, des précédents historiques, des cycles de répertoires protestataires et des formes d'invisibilisation collective. Au-delà, cette expérience rappelle certains des enjeux toujours vifs qui se posent à l'analyse, comme celui de la comparaison, et en suggère d'autres, comme celui des frontières parfois brouillées entre l'ordinaire et l'extraordinaire.
      Conceived as an introduction to the thematic dossier, this article reconsiders the notion of « protagonism » developed by the historian Haim Burstin in connection with the French Revolution. The specific features of the notion in question are presented, as well as the way it condenses significant shifts in the analysis of political crises and revolutions. Testing this historically-oriented proposal on various fields and areas of knowledge makes it possible to engage in an original interdisciplinary exercise ; it also enables us to evaluate the fruitfulness of the perspective the notion induces us to adopt on a central issue linked to critical situations : their capacity to transform individuals into agents of History contributing to the dynamics of events. The presentation of contributions provides the opportunity to make a preliminary assessment. The notion appears to enable us to revisit nodal dimensions of critical moments, resulting from the temporalities at stake, the unstable and processual productions of legitimacy, the incidence of affects on behaviors, and the signifying work carried out by organized collectives. However, in order to make the notion even more operative, additional elements seem to be necessary, such as taking account of political regimes, temporal cultures and historical precedents, cycles of repertoires of contention, and forms of collective invisibilization. Beyond that, this experience reminds us of some of the crucial issues facing analysis, such as those related to comparison, and suggests others, such as the occasional blurring of boundaries between the “ordinary” and the “extraordinary.”
    • Sortir de l'anonymat en situation révolutionnaire : Maïdan et le citoyen ordinaire en Ukraine (hiver 2013-2014) - Alexandra Goujon, Ioulia Shukan p. 33-57 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le mouvement protestataire de l'hiver 2013-2014 en Ukraine, appelé Maïdan en référence à la place occupée dans le centre de Kiev, fait émerger deux types de protagonisme parmi ses participants ordinaires. D'une part, le protagonisme ordinaire se déploie dans la routine révolutionnaire à travers les multiples activités qui s'organisent sur la place (cuisine, assistance médicale, rondes de sécurité). Il renvoie à des formes d'action pacifiques qui font émerger des personnalités en raison de leur engagement prolongé et publicisé par les médias et les réseaux sociaux. D'autre part, le protagonisme insurrectionnel apparaît dans une phase de radicalisation de la protestation, issue de la répression par les autorités. Les opportunités de reconnaissance se multiplient lorsque des images de la violence policière à l'égard des manifestants sont largement diffusées. Le protagonisme s'appuie, ici, sur une défiance accrue à l'égard des élites politiques, surtout après les journées meurtrières des 18-20 février 2014. Il ne devient alors pas tant synonyme d'accès au pouvoir qu'une ressource politique.
      The Ukrainian protest movement of winter 2013-2014, known as Maïdan in reference to the occupied main square in the center of Kiev, caused two types of protagonism to emerge among its ordinary participants. On the one hand, ordinary protagonism was displayed in the revolutionary routine, through the multiple activities organized in the public square (cooking, medical aid, safety patrols). It reflected peaceful forms of action that caused personalities to emerge on account of their long commitment, which was highlighted by the media and social networks. On the other hand, rebellious protagonism appeared when the protest became radicalized as a result of repression by the authorities. The opportunities for public recognition were enhanced when images of police violence against protestors were widely aired in the media. This type of protagonism relied on increased defiance toward the political elites, especially after the brutal days of February 18-20, 2014. It then became more of a political resource than synonymous with access to power.
    • Des émeutes à une crise politique : les ressorts de la politisation des mobilisations en Algérie en 1988 - Myriam Aït-Aoudia p. 59-82 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse, à partir du cas algérien de 1988, la transformation d'émeutes en crise politique par la politisation de mobilisations multisectorielles. Cette crise produira ensuite une libéralisation inédite du régime autoritaire. Le propos est axé sur la dimension politique et contestataire de l'événement émeutes. Il montre, d'une part, que la qualification politique d'un événement, ici les émeutes, ne peut être imposée en surplomb par le chercheur – souvent à partir d'une analyse ex post. Il convient plutôt d'être attentif aux luttes pour la définition légitime de l'événement, en situation, et de restituer le processus par lequel une définition tend à s'imposer à tous les protagonistes, tandis que des catégorisations concurrentes sont écartées. Cet article montre, d'autre part, que la production d'une parole politique sur l'événement n'a rien d'évident, tout comme le succès de cette interprétation politique. Les émeutiers, multitude d'individus ordinaires tenus jusque-là à l'écart de la vie publique, ouvrent certes l'espace des possibles, mais ce sont des acteurs préalablement engagés qui médiatisent leur action et imposent un sens politique contestataire à l'événement en se fondant notamment sur des ressources et des réseaux antérieurs. Les caractéristiques mêmes de l'émeute – désorganisée, sans mots d'ordre, menée par de très jeunes gens qui n'articulent aucune parole politique – autorisent l'imposition, de l'extérieur, d'une parole politique consistante.
      Based on the algerian case in 1988, this paper analyses the process by which riots develop into political crisis through the politicization of multi-sector rallies. This political crisis will produce an unprecedented liberalization of the authoritarian regime. The paper focuses on the political and contentious dimension of these events, showing first that such events, in this case riots, cannot be labeled as « political », as it were “from above”, by the researcher, often on the basis of an ex post analysis. Instead, one has to be attentive to the struggles for a legitimate definition of the event, in situ, and recreate the process by which a definition tends to impose itself on all the protagonists, sweeping all competing categorizations aside. Second, this article shows that articulating a political judgment about an event is not taken for granted, and neither is this political interpretation destined for success. The rioters, a multitude of individuals who, until now, have been outside of public life, certainly open up a realm of possibility ; but it is the previously committed actors who mediatize their action and impose an contentious and political meaning on the event by basing themselves on earlier skills and networks. The very characteristics of a riot—disorganized, without any leadersphip, led by very young people who do not articulate a political speach—authorize the voicing of a sound political judgment from outside.
    • Les limites du protagonisme : une anthropologie politique de 1848 - Mark Traugott, Hélène Boisson p. 83-110 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'application aux événements de 1848 du concept de protagonisme introduit par Burstin se heurte au cadre temporel bien plus réduit et aux résultats équivoques de la révolution de Février. Pas un seul de ses principaux acteurs ne correspond pleinement au modèle que Burstin a si judicieusement dégagé pour 1789, ce qui s'explique en partie par le fait que la Grande Révolution et les décennies de troubles sociaux qui s'ensuivent ont radicalement transformé la conscience politique des générations ultérieures de militants. L'auteur met brièvement en parallèle le concept de protagonisme et la notion de « répertoire de contestation », pour proposer une réflexion sur la manière dont l'expérience de 1789 a pu faire évoluer en profondeur et une fois pour toutes les conditions de l'action révolutionnaire.
      The application of Burstin's concept of protagonism to the events of 1848 is complicated by the much shorter time frame and equivocal outcome of the February revolution. Not a single one of the principal actors fully corresponds to the model that Burstin has so skillfully described for 1789, in part because the Great Revolution and the decades of social turmoil that followed so dramatically transformed the consciousness of subsequent generations of political activists. The parallel between protagonism and the notion of the “repertoire of contention” is briefly explored, along with reflections on how profoundly and permanently the context for revolutionary action was changed by the experience of 1789.
    • Les acteurs des guerres de Religion furent-ils des protagonistes ? - Jérémie Foa p. 111-130 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article interroge les principaux éléments de la notion de « protagonisme » à la lumière des guerres de Religion françaises : s'il n'y eut pas, durant la période (1562-1598), de révolutions à proprement parler, on peut enquêter sur les nombreuses situations critiques, les prises de villes, les massacres ainsi que sur l'inflation des témoignages pour interroger la participation des acteurs ordinaires à une situation extraordinaire. L'article se demande ce qui empêche – car tel est le problème – les personnes de la fin du XVIe siècle de pleinement revendiquer une action sur l'histoire et d'assumer une participation active et fière à la myriade d'événements qui traversent les guerres de Religion.
      This paper questions the main elements of the notion of “protagonism” in the light of the French wars of religion : there were, during this period (1562-1598), no revolutions strictly speaking, but it is possible to investigate the numerous critical situations, the seizure of cities and massacres, and the overblown testimonies, in order to examine the participation of ordinary people in an extraordinary situation. The article queries what it was—for this is the problem—that prevented the people of the late-nineteenth century from fully making their mark on history and proudly embracing active participation in the multitudinous events of the wars of religion.
    • Protagonisme et crises politiques : histoire et sciences sociales : Retours sur la Révolution française et février-juin 1848 - Haim Burstin, Ivan Ermakoff, William H. Sewell, Timothy Tackett, Quentin Deluermoz, Boris Gobille p. 131-165 accès libre
  • Lectures critiques

  • Varia

    • Naissance et mort d'une direction aux Affaires étrangères : L'administration de l'audiovisuel extérieur au prisme de ses entrepreneurs en bureaucratie - Romain Lecler p. 197-222 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Comment expliquer le démantèlement d'une administration ? On propose une réponse à cette question rarement posée à partir du cas d'une direction dédiée à l'Audiovisuel extérieur au sein du ministère des Affaires étrangères. On isole trois moments idéaux-typiques d'entrepreneuriat bureaucratique qui témoignent à la fois de la petite histoire d'une administration et de la grande histoire des évolutions des conceptions de l'administration entre les années 1980 et les années 2000. Une première figure héroïsée est celle d'un entrepreneur « schumpétérien », Pierre, auteur d'un « exploit bureaucratique » liminaire au début des années 1980, qui a consisté à légitimer, au sein d'une diplomatie culturelle imprégnée de culture légitime, la cause d'un objet illégitime : la télévision, requalifiée dans les termes de l'innovation technologique (la diffusion satellitaire). La deuxième figure est celle d'un « manager », Paul, qui s'impose à la fin des années 1990 comme patron d'une direction autonome, chef de réseau novateur dans ses méthodes de recrutement et de management inspirées du privé, et maître dans l'art de politiser ses dossiers auprès de son ministre. La troisième est celle d'un entrepreneur sur la défensive, Jacques, qui doit liquider dans les années 2000 la direction de l'Audiovisuel extérieur dans un contexte de réforme néo-managériale de la politique culturelle extérieure et de concurrence entre administrations.
      How do we explain the dismantling of an administration ? To answer this rarely-asked question, we focus on a governing body in charge of French foreign audiovisual policy, within the French Ministry of Foreign Affairs. We emphasize three “ideal-types” of bureaucratic entrepreneurship that bear witness both to the story of an administration and the larger background of how the concept of an administration changed between the 1980s and the early years of the twenty-first century. A first heroic figure takes the form of a “Schumpeterian” entrepreneur : Pierre achieved a pioneering “bureaucratic feat” in the early 1980s when, within the world of French cultural diplomacy permeated by the notion of cultural legitimacy, he legitimized the illegitimate cause of television, renaming it a technological innovation, i.e. satellite broadcasting. The second figure is a “manager”, Paul, who took over at the end of the 1990s as the boss of an independent administration and the head of a network. He was an innovator in his recruitment and management methods, which were inspired by the private sector, and expert in the art of politicizing matters through his Minister. The third figure is Jacques, an entrepreneur on the defensive, who, in the years 2000, had to wind up the governing body in charge of foreign audiovisual policy, in a context of harsher competition between administrations, and following the new management reforms that aimed to redesign French foreign cultural policy and competition between administrations.
    • L'exercice collectif du pouvoir discrétionnaire : Les commissions Droit au logement opposable (DALO) - Pierre-Edouard Weill p. 223-244 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse l'exercice collectif du pouvoir discrétionnaire, à travers le cas des commissions de médiation départementales Droit au logement opposable (DALO). Ces instances collégiales rassemblent différents acteurs des politiques locales de l'habitat pour sélectionner les situations « prioritaires et urgentes » parmi celles des individus qui engagent une procédure de recours à la justice administrative afin d'accéder à un logement adapté. L'interprétation collégiale de la Loi DALO, qui offre explicitement une marge de manœuvre, s'inscrit dans des rapports de force sectoriels et localisés qu'elle affecte en retour. Étudier l'ancrage social et les ressources inégales des membres des commissions DALO selon les organisations qu'ils représentent permet de mieux saisir leurs logiques de fonctionnement. La qualification de la situation des demandeurs de logement apparaît alors comme le résultat d'un processus sans cesse renouvelé d'ajustement d'intérêts opposés et inégalement représentés vers des critères en partie extra-juridiques. Orienté par des considérations morales ou économiques en contradiction avec l'« esprit de la Loi », le tri des ayants droit n'en revêt pas moins un caractère légal, qui légitime un ciblage croissant de l'attribution de logements sociaux.
      This article analyses the collective exercise of discretionary power, by studying the implementation of the enforceable right to housing (DALO) by local commissions. These collegial bodies bring together different actors involved in local housing policies, in order to select the “urgent and priority” situations among individuals who instigate an administrative procedure in order to acquire suitable accommodation. The collective interpretation of the DALO Act explicitly gives room for manœuvre. It is embedded in sectorial and localized power relationships on which it, in its turn, has an effect. Studying the social roots and unequal resources of the commission members, according to the organization they represent, enables their operating logic to be better identified. The definition of social housing applicants' situations then appears to be the result of a constantly renewed process of adjusting opposed and unequally represented interests to extra-legal criteria. Although guided by moral and economic considerations which contradict the spirit of the Law, the selection of beneficiaries still has a legal character, which legitimizes an accurate targeting of social housing allocations.
  • Notes de lecture