Contenu du sommaire : Théologie et philosophie en prédication : d'Origène à Thomas d'Aquin
Revue | Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques — RSPT |
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Numéro | Tome 97, no 2, 2013 |
Titre du numéro | Théologie et philosophie en prédication : d'Origène à Thomas d'Aquin |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- « Manger chaque jour les chairs de l'Agneau » : La prédication selon Origène - Michel Fédou p. 163-186 Prononcées lors de célébrations à l'église de Césarée, les homélies d'Origène mettent en œuvre son herméneutique des Écritures, d'une façon qui s'efforce de respecter la diversité des textes bibliques, et en cherchant à manifester la signification actuelle de ces textes pour l'existence des croyants.Delivered during celebrations at the Church of Caesarea, Origen's homilies deploy his hermeneutics of Scriptures in a way that aims to respect the diversity of the biblical texts and tries to reveal the modern relevance of these texts to the life of believers.
- Théologie et philosophie en prédication : le cas de Jean Chrysostome - Catherine Broc-Schmezer p. 187-212 L'article présente l'influence du caractère homilétique de l'œuvre de Jean Chrysostome sur la formulation de sa pensée. Le prédicateur reproduit, en effet, à l'égard de son auditoire, l'attitude de «condescendance» qu'il observe dans l'Écriture ; la priorité qu'il accorde aux situations concrètes l'amène à donner quelquefois des exégèses contradictoires d'un même passage, preuve qu'il travaille dans l'urgence quotidienne plus que dans la perspective de la construction d'une œuvre destinée à former un tout ; quant à la dimension esthétique de son œuvre – images, procédé par juxtaposition d'idées apparemment contradictoires à tenir ensemble –, elle ne relève pas seulement du procédé pédagogique, mais aussi de la conviction de l'inadéquation d'un langage conceptuel pour aborder certaines réalités théologiques. Mais cette influence s'exerce aussi sur la transmission de son œuvre. Parce qu'elles étaient réutilisables, les homélies de Chrysostome nous sont parvenues sous forme de séries exégétiques ultérieurement reconstituées. Cette découverte permet d'expliquer des incohérences entre certaines homélies ; elle invite à repérer l'éventuelle existence de micro-séries, à reconsidérer le corpus chrysostomien, à préciser l'insertion liturgique de chaque homélie, et même à s'interroger sur le niveau d'élaboration et d'authenticité de chacune d'entre elle. Elle rend d'autant plus nécessaires des travaux sur la philosophie ou la théologie de l'auteur qu'ils pourront contribuer à éclairer les contours de son œuvre.The following article aims to show the influence that John Chrysostom's homiletical works exercised over the development of his thinking. The predicator, indeed, replicates toward his audience the « condescending » attitude he discerns in Scripture. The priority he gives to concrete situations occasionally leads him to contradictory exegeses of the same passage, proof that he works under immediate daily pressures rather than with a mind to build a coherent body of work. His work's esthetical quality, however – images, progression by tenuously juxtaposing seemingly conflicting ideas –, does not merely reflect a pedagogical effort, but also his conviction that language fails to conceptualize theological realities. This influence also transpires through the transmission of his work. Because they were reusable, Chrysostom's homilies have reached us as series of exegeses collated at a later date. Such a discovery can help explain a number of discrepancies between the homilies; It leads us to identify the existence of micro-series, to reconsider Chrysostom's corpus, to identify the liturgical insertion of each homily, and even to question the level of sophistication and authenticity of each of them. It makes it all the more necessary to study the author's philosophy or theology in order to appreciate the overall structure of his work.
- Recherche philosophique et humilité chrétienne dans la prédication de saint Augustin - Alban Massie p. 213-241 La prédication de saint Augustin est sévère vis-à-vis des philosophes. Il adhère au projet philosophique, mais récuse ceux qui restent soumis aux elementa mundi, selon Col 2, 8. L'analyse de quelques sermons permet de préciser que cette dénonciation rejaillit sur les platoniciens quand ceux-ci refusent la médiation du Christ.Saint Augustine's preaching is harsh towards philosophers. He subscribes to the philosophical endeavour, but dismisses those who remain subjected to the elementa mundi, according to Co 2, 8. The analysis of several sermons narrows the target of this denunciation to Platonicians when they refuse Christ's mediation.
- La transmission de la doctrine dans la prédication carolingienne - Kristina Mitalaïté p. 243-276 Toujours mal connue, la prédication carolingienne se distingue dans le contexte médiéval par son intégration dans l'idéologie royale, dont l'un des exemples est l'admonitio royale. L'article analyse un groupe de sources – les explications du symbolum des apôtres et du credo Quicumque – en les envisageant comme des moyens de la prédication, plus particulièrement de l'enseignement doctrinal prévu pour les prêtres qui, de leur côté, transmettent les rudiments doctrinaux à tous les fidèles. Les capitulaires épiscopaux conçoivent ces deux credos comme les règles de la foi orthodoxe devant être retenues en mémoire, mais aussi comprises par tous les croyants. Ainsi, le praedicare carolingien se révèle surtout comme un docere. L'intention d'éduquer à la foi, conçue par le roi et l'élite ecclésiastique carolingienne, a été bien mise en œuvre, ce dont témoignent les nombreux recueils qui ont été créés pour aider les ecclésiastiques dans l'exercice de leurs fonctions sacerdotales et contiennent divers credos et leurs commentaires. L'article analyse la doctrine de ces derniers ; il examine aussi la collection des explications de credos (man. Orléans, BM 804) de l'un de ces recueils et propose de réattribuer la paternité de sa création originale à Théodulfe d'Orléans.Still relatively unknown, Carolingian preaching distinguishes itself within the medieval context by its incorporation into royal ideology, an example of which is the royal admonitio. The present article examines a group of sources – the explanation of the Apostles' symbolum and the Quicumque credo – by considering them as instruments of preaching, more specifically as doctrinal instruction intended for priests who, on their end, transmitted doctrinal fundamentals to all the faithful. Episcopal capitularies perceived these two credos as rules of orthodox faith, to be memorized but also understood by all believers. Thus the Carolingian praedicare reveals itself primarily as a docere. The aim to teach faith, devised by the king and the Carolingian ecclesiastical elite, was indeed fulfilled, as testify numerous collections that were compiled to assist clerics in the exercise of their sacerdotal responsibilities and contained several credos along with their commentaries. This article examines their underlying doctrine, as well as analyzes the collected explanations of the credos (man. Orléans, BM 804) in one of these manuals and suggests assigning its original authorship to Theodulf of Orleans.
- Haec vera philosophia : Notes sur les sermons Qui habitat de Bernard de Clairvaux - Cédric Giraud p. 277-298 L'article étudie la série des dix-sept sermons sur le Psaume 90 Qui habitat prêchés par Bernard de Clairvaux lors du temps liturgique de Carême (1139). On peut y trouver les linéaments d'une théologie de la prédication qui fait de la charge abbatiale un ministère, purement instrumental, à la disposition de Dieu et de la communauté monastique, et de la prédication une simple épiphanie de la parole de Dieu. Bernard propose également une vraie réflexion sur la vie monastique qu'il développe en recourant aux thèmes bibliques du « poids » et du « fardeau ». Pour l'abbé de Clairvaux, la « vraie philosophie » fait reconnaître dans le Carême le sacrement de la vie monastique.The present article examines the series of seventeen sermons on Psalm 90 Qui habitat that Bernard of Clairvaux preached throughout the liturgical time of Lent (1139). We can detect the outline of a theology of predication that envisions the responsibility of the abbey as a purely instrumental ministry, at the service of God and of the monastic community, and considers preaching as a simple epiphany of the word of God. Bernard articulates a real reflection on monastic life, that he develops by drawing upon the biblical themes of « weight » and « burden ». For the abbot of Clairvaux « true philosophy »reveals Lent as the sacrament of monastic life.
- Et natura mediocritatis est amica : Empreintes philosophiques dans la prédication d'Alain de Lille - Francesco Siri p. 299-343 Cette recherche vise à comprendre comment la philosophie, au travers des sentences des philosophes et des auteurs classiques, a laissé des empreintes profondes sur le savoir théologique qui s'exprime dans la prédication d'Alain de Lille. Les textes ici étudiés sont l'Ars praedicandi et une sélection de sermons. Après avoir commenté la définition de la prédication donnée par Alain, l'attention est portée sur deux sujets : le choix des textes qui servent d'incipit au sermon et l'usage des auctoritates non bibliques. Après avoir justifié le recours aux gentiles et aux philosophes, on étudie : leurs enseignements qui marquent la prédication d'Alain (vivre selon la nature et la famille d'idées liées à elle) ; puis, l'usage de trois métaphores (la civitas comme corps social ordonné, le triple livre, le triple miroir) ; enfin, les sermons qui commencent avec une phrase extraite d'un texte liturgique, une sentence de la littérature classique ou philosophique. Le prédicateur doit composer de manière harmonieuse les éléments divers, provenant de traditions différentes, dans un savoir au caractère fortement unitaire, afin de transmettre la connaissance des mystères célestes et renouveler la conduite de vie de chaque homme.Our investigation aims to understand how philosophy, through the maxims of philosophers and classical authors, has deeply informed the theological knowledge expressed in Alan of Lille's preaching. The texts under scrutiny are the Ars praedicandi and a selection of sermons. After unpacking Alan's definition of predication, we shall focus our attention on two topics : the choice of texts that form the incipit of the sermon and the use of non-biblical auctoritates. Having once explained Alan's resort to gentiles and to philosophers, we will then examine firstly how their teachings have shaped Alan's preaching (living in harmony with nature and the ideas that relate to it), secondly, the use of three metaphors (civitas as an organized social body, the three-fold book, the triple mirror), and finally, the sermons that begin with a phrase borrowed from a liturgical text, a classical literary or philosophical maxim. The predicator must arrange his sermon harmoniously by pulling from diverse elements stemming from different traditions into a unified body of knowledge in order to communicate the celestial mysteries and rejuvenate every man's way of life.
- Réflexion doctrinale et prédication dans l'œuvre de Guillaume d'Auvergne - Franco Morenzoni p. 345-366 Dans ses traités à caractère spéculatif ou doctrinal, Guillaume d'Auvergne rappelle parfois à ses lecteurs de quelle manière il est possible de présenter dans un sermon les thèmes qu'il aborde. Il paraît également soucieux d'indiquer les voies grâce auxquelles il est possible, à son avis, de proposer aux auditeurs une prédication plus attrayante et efficace, celle de ses contemporains étant à ses yeux trop souvent incapable de provoquer chez les auditeurs un véritable changement. Dans le De vitiis, il propose ainsi de nombreux exemples concrets pour montrer comment il faudrait prêcher contre les vices ou les péchés en général. Prédicateur prolifique, les sermons de l'évêque de Paris qui ont été conservés permettent de constater que les relations entre l'œuvre théologique et celle homilétique sont en effet très nombreuses et variées. Ce n'est d'ailleurs qu'en croisant les œuvres spéculatives avec les sermons, que bien des images et des similitudes présentes dans ces derniers révèlent le substrat théologique qu'elles sont censées véhiculer sous une forme accessible à des auditeurs peu avertis. Certains sermons, à vrai dire assez peu nombreux, montrent en revanche que Guillaume d'Auvergne a parfois eu recours à des procédés de type scolaire pour développer ses raisonnements. Tout cela prouve que l'évêque de Paris a été très attentif aux relations complexes et subtiles qui devaient unir réflexion spéculative et action homilétique.In his speculative or doctrinal treatises, William of Auvergne occasionally brings to his readers' attention the ways in which to approach the themes evoked in his sermon. He seems especially careful to indicate the mechanisms he deems conducive to more attractive and efficient preaching, his contemporaries being, to his mind, often incapable of provoking any real change in their audience. In the De vitiis he presents a number of concrete examples to illustrate how to preach against sin and vice in general. A prolific preacher, the sermons of the bishop of Paris that have been preserved show that the relationships between his theological and homiletical works are indeed numerous and varied. It is only, in fact, by intersecting the speculative works with the sermons that a number of images and similarities appearing in the sermons reveal a theological subtext that are meant to reach an uninformed audience in a more comprehensive manner. A few sermons, however, show William of Auvergne occasionally resorting to pedagogical methods to develop his argument, thus demonstrating that the bishop of Paris was attentive to the complex and subtle relationships that should connect speculative reflection and homiletic action.
- Non diligas meretricem et dimittas sponsam tuam : Aspects philosophiques des Conférences sur les six jours de la création de Bonaventure - Ruedi Imbach p. 367-396 Cet article propose une analyse des conférences de Bonaventure sur l'œuvre des six jours qu'il a prononcées à Paris en 1273. Les vingt-trois conférences non seulement exposent une conception précise de la philosophie, de son objet et de ses limites, mais le franciscain critique dans ces sermons avec vigueur l'idée d'une autonomie de la philosophie qui ne serait pas orientée vers la théologie. L'œuvre étudiée est un témoin intéressant des débats intellectuels des années soixante-dix du XIIIe siècle et permet de mieux comprendre les enjeux de l'entrée d'Aristote en Occident. En même temps la prédication bonaventurienne implique une intéressante conception alternative de la métaphysique, une approche de la philosophie première qui n'est pas réductible au paradigme onto-théologique.The present article offers an analysis of Bonaventure's lectures on the Six Days of Creation delivered in Paris in 1273. The twenty-three talks not only lay out a precise understanding of philosophy, its object and its limits, but the Franciscan also vigorously argues in these sermons against the idea of an autonomous philosophy that is not determined by theology. The examined work bears interesting testimony to the intellectual debates of the 1270's and helps to better understand the impact of Aristotle's introduction in the West. At the same time, bonaventurian preaching implies an interesting alternative appreciation of metaphysics, an approach to primary philosophy that cannot be reduced to an onto-theological paradigm.
- Philosophie et théologie en prédication chez Thomas d'Aquin - Adriano Oliva p. 397-444 Après avoir présenté l'ensemble de la prédication de Thomas aujourd'hui connue – les quatre séries de sermons de carême et le corpus de vingt-trois sermons édité par le P. L. J. Bataillon dans le t. 44, 1 de l'édition léonine – l'article étudie le genre littéraire de la prédication, et il montre que la lecture en parallèle des sermons et des autres œuvres de Thomas permet de combler les lacunes propres aux sermons qui sont le fruit de reportations. L'étude conjointe des sermons certainement authentiques et des autres ouvrages de Thomas montre qu'il a élaboré une théologie trinitaire de la prédication. L'article présente, ensuite, une classification des usages de la philosophie en prédication et l'emploi qu'en a fait l'Aquinate. Il étudie la relation entre la philosophie et la théologie et la polémique de Thomas contre ce qu'il est convenu d'appeler la doctrine de la double vérité. Parmi les thèmes théologiques abordés sont présentés : les appropriations trinitaires en relation à la prédication et au salut ; la providence, l'anthropologie théologique en relation au thème de l'homme image de Dieu. L'étude de ses sermons montre combien Thomas était capable de mettre en œuvre les acquis de sa réflexion spéculative dans une prédication en même temps accessible et profonde, adaptée à son auditoire et riche d'un enseignement pratique. De l'analyse d'un sermon sur l'éducation des jeunes étudiants, il ressort un portrait de Thomas religieux, chercheur et prédicateur.After introducing the entire collection of Thomas' preaching which is now available – the four series of Lent sermons as well as the corpus of twenty three sermons edited by Fr. L. J. Bataillon in vol. 44, 1 of the Leonine Edition – the present article looks at predication as a literary genre and shows that a correlative reading of Thomas' sermons and his other works helps substantiate the lacunae that are characteristic of the sermons that result from reportationes. A combined study of these unquestionably authentic sermons and of Thomas' other works reveals that he developed a Trinitarian theology of predication. The article then establishes a classification of the various applications of philosophy in predication and its use in the Aquinate. It examines the relation between philosophy and theology and Thomas' argument against what is commonly described as the doctrine of the double truth. Amidst the theological topics addressed, the article deals with Trinitarian appropriations in relation to predication and salvation as well as providence and theological anthropology in relation to the theme of man as an image of God. The close examination of Thomas' sermons clearly proves his ability to capitalize on his speculative reflection to develop a form of preaching both easy to understand and profound, suitable to his audience and rich in practical instruction. The analysis of a sermon on the education of young students uncovers a picture of Thomas as a religious, a scholar and a preacher.