Contenu du sommaire
Revue | Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques — RSPT |
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Numéro | Tome 100, no 1, 2016 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Présentation - Laure Solignac p. 3-8
- Rendre raison du corps : Plotin et le problème de la corporéité - Sylvain Roux p. 9-25 La question du statut du corps dans la pensée de Plotin, et plus généralement dans l'Antiquité tardive, a donné lieu à des interprétations divergentes voire opposées. On a pu relever la présence d'un mépris ou d'une haine du corps, mais on a aussi montré que ce n'est pas tant le corps en tant que tel qui fait l'objet de critiques que l'attitude de soumission de l'âme à son égard. Ce débat peut, selon nous, être renouvelé si l'on prend en compte, dans le cas de Plotin, certaines analyses originales présentes dans son œuvre. Ces dernières ne se contentent pas de s'interroger sur l'usage correct du corps par l'âme, elles font dépendre l'apparition des corps du schéma général de la procession, mais surtout elles cherchent à donner une justification de leur existence en montrant que celle-ci est nécessaire pour les réalités mêmes qui leur sont supérieures (les réalités intelligibles). C'est la raison pour laquelle Plotin introduit, notamment dans le traité 37 (II 7), une notion particulièrement originale, celle de corporéité (σωματότης), qui contribue à changer la manière dont se pose le problème de la valeur du corps.The question of the body's status in Plotinus' thought, and more generally in late antiquity, has spawned varying even contradictory interpretations. There appears to be contempt if not loathing for the body, however it is not so much the body as such that draws criticism but the soul's attitude of submission towards it. This debate may in our opinion be reignited if we consider, in Plotinus' case, certain original analyses that are obvious in his work and that do not merely question the proper use of the body by the soul but relate the existence of bodies to the general schema of the procession and most importantly try to justify their existence by showing that this is in fact necessary for the realities that are themselves superior (intelligible realities). Thus Plotinus introduces, namely in treatise 37 (II 7), an especially original concept of corporeality (σωματότης), that contributes to changing the way in which the problem of the body's value is articulated.
- Le corps : un poids pour l'âme ? : L'exégèse augustinienne de Sagesse 9, 15 - Isabelle Bochet p. 27-43 La citation récurrente de Sg 9, 15 : « Le corps qui se corrompt appesantit l'âme et sa demeure de terre accable l'esprit aux multiples pensées », dans le corpus augustinien, semble être l'indice d'un mépris du corps, hérité de la tradition platonicienne du corps-prison. De fait, dans ses premières œuvres, Augustin cite Sg 9, 15 pour affirmer que le corps est un obstacle à la contemplation de la vérité. Mais, dans ses œuvres ultérieures, il utilise Sg 9, 15 pour établir, contre les platoniciens, que le corps n'est pas la prison de l'âme et que le poids du corps est à imputer, non au corps lui-même, mais à sa corruptibilité : il n'y a donc pas à « fuir tout corps », comme le veut Porphyre. Face à Julien d'Éclane, enfin, il souligne, en citant Sg 9, 15, que la condition peineuse de l'homme aujourd'hui n'est pas le propre de la nature primitive de l'homme, mais la peine du péché qui a vicié la nature.The recurring quotation of Wisdom 9,15 : « For a perishable body weighs down the soul and this earthy tent burdens the thoughtful mind ». Indeed, in his first works, Augustine quotes Wisdom 9,15 in support of his claim that the body is an obstacle to the contemplation of truth. But in his later works he draws upon Wisdom 9,15 to argue against the Platonists that the body is not the prison of the soul and that the burden of the body must not be assigned to the body itself but to its corruptibility : therefore, there is no need to « escape » all bodies as Porphyry compells us to. Confronted with Julian of Eclane, quoting Wisdom 9,15 he emphasizes that the pained condition of man is not at the root of his primitive nature, but results from the pain of the sin that has corrupted nature.
- « Sur la cendre et avec le cilice » : Ornementation rhétorique et pudeur philosophique à l'âge carolingien - Philippe Richard p. 45-59 À rebours de ses transpositions modernes, l'hagiographie médiévale semble bien être « la sœur de l'art barbare et charmant des enlumineurs et des verriers » (Huysmans). Le mépris du corps qui peut en effet s'y rencontrer manifeste en vérité un intérêt phénoménologique pour le principe de résistance de ce même corps, support certes parfois paradoxal d'une chair abandonnée mais réceptacle fort opérant d'une advenue de la transcendance. L'œuvre hagiographique d'Alcuin, en une remarquable rhétorique de la pudeur, nous enseigne ici que le corps relève bien de la pesanteur mais permet aussi à l'être de se comprendre (la conscience que possède un sujet de devoir s'élever vers Dieu n'étant possible qu'à condition que le corps lui ait d'abord patiemment enseigné ce qu'il en est de la spatialité). La propre composition littéraire de la Vita Richarii se sert ainsi de la notion même de distance, forme spatio-temporelle du sentir, pour le mettre en scène.In opposition to its modern transpositions, medieval hagiography seems indeed to be « the sister of barbaric art tantalizing illuminators and glassblowers » (Huysmans). The contempt of the body that can emerge reveals in truth a phenomenological interest for the principle of resistance towards this same body, the sometimes indeed paradoxical frame of an abandoned flesh, but a keenly operative receptacle for an incoming transcendance. Alcuin's hagiographical work, in a remarkable feit of modest rhetoric, teaches us here that the body is certainly affected by gravity but it allows the being to understand his or her self (the awareness that a being needs to elevate him/herself to God is only reached if the body has first patiently explained what is spatiality). The specific literary composition of the Vita Richarii employs the same notion of distance, spatio-temporal form of feeling, in order to stage it.
- Quand la chair est consommée : Corpus hominis et corpus Christi chez Pierre Damien - Pascaline Turpin p. 61-76 Le mépris du corps propre à Pierre Damien ne peut se comprendre adéquatement que s'il est resitué au sein de la conception plus générale qu'il se fait de la nature. L'examen attentif de la position anthropologique et sotériologique de Pierre Damien permet de déployer la thèse selon laquelle il existe un lien intrinsèque entre sa conception du monde et sa conception eucharistique. L'insistance de Pierre Damien sur la toute-puissance divine s'assortit d'une conception du monde sans densité et d'une interprétation sacrificielle de l'eucharistie.The contempt of the body as expressed by Peter Damian can only be correctly understood if it is contextualized within his more general perception of Nature. A careful examination of Peter Damian's anthropological and soteriological position helps unpack the thesis according to which there exists and inherent connexion between his concept of the world and his eucharistic concept. The importance that Peter Damian lends to divine omnipotence allies itself to a concept of the world that is without substance and a sacrifical interpretation of the Eucharist.
- L'homme extérieur et l'homme intérieur selon Guillaume de Saint-Thierry - Philippe Nouzille p. 77-96 À la différence des autres auteurs cisterciens du XIIe siècle, Guillaume de Saint-Thierry ne se limite pas à un traité sur l'âme mais en écrit un sur la Nature du corps et de l'âme, bien qu'il tienne par ailleurs un discours critique à l'égard du corps. On cherche donc ici l'idée que Guillaume se fait de « l'homme tout entier », dans une réflexion sur la place du corps par rapport au propre de l'homme et dans une relation intériorité/extériorité. Les analyses qu'il donne montrent la superposition de deux structures, quadripartite et tripartite, dans le corps et l'âme qui renvoient aux deux extériorités dont l'homme est image, le cosmos et Dieu. Le texte de Guillaume articule deux types de discours, mais au prix du sacrifice de la dimension relationnelle du corps.Unlike other XIIth century cistercian authors, Guillaume de Saint-Thierry does not limit himself to a treatise on the soul but writes on the Nature of the body and of the soul, even though he maintains a criticial discourse on the body. The article explores Guillaume's notion of « Man in his entirety » through an examination of the place of the body in relation to the essence of man and an interiority-exteriority dynamic. The analyses he offers show the superposition of two structures, quadripartite and tripartite, in the body and soul that recall the two exteriorities of which man is an image : the Cosmos and God. Guillaume's text formulates two types of discourse at the cost of sacrificing the relational dimension of the body.
- Le corps humain à la lumière du corps du Christ ressuscité chez Thomas d'Aquin - Étienne Vetö p. 97-116 Le corps glorieux du Christ exprime pour Thomas d'Aquin le destin ultime et la vérité profonde du corps humain. Le présent article se propose d'évaluer si ce point de départ permet une réelle valorisation du corps. En ce sens, l'Aquinate pense le corps ressuscité en terme d'achèvement de la logique de l'hylémorphisme, comme parfaite union de l'âme et du corps, doué d'une grande beauté, comme un corps « communicant », aux sens développés au maximum de leur acuité. S'en trouve éclairée, sans aucun doute, la noblesse du corps terrestre, en tant que celui-ci préfigure et inaugure tout cela. Cependant, le même hylémorphisme implique que ce destin glorieux du corps s'opère par sa « spiritualisation », sa soumission à l'esprit auquel il est ordonné : il semble difficile de ne pas y voir, malgré tout, une subtile résistance à la corporéité en son épaisseur la plus charnelle – ainsi qu'à la portée tragique de sa finitude.For Thomas Aquinas, Christ's glorious body expresses the ultimate destiny and profound truth of the human body. The present article aims to evaluate whether this starting point allows for a real valorization of the body. In this sense, Aquinas considers the resurrected body as the completion of the logic of hylemorphism, which tends to a perfect union of body and soul, endowed with great beauty, as a « communicative » body whose senses are developed to the maximum of their acuity. The nobility of the earthly body is thus undoubtedly heightened as it prefigures and inaugurates all of this. However, the same hylemorphism implies that the glorious fate of the body occurs through its « spiritualization », its submission to the spirit to which it is assigned. It seems difficult not to read into this a subtle resistance to corporeality in it fleshy nature as well as to the tragic dimension of its finitude.
- Bulletin de théologie : Théologie de la création. Sciences et théologies - Jacques Arnould, M. Bellion, R. Bergeret, Jacques Courcier, Jacques Fantino, Roger Klaine, Jean-Michel Maldamé, J.-B. Régis, E. Poirot p. 117-173
- Recensions et notices - p. 175-184