Contenu du sommaire : Varia

Revue Le Mouvement social Mir@bel
Numéro no 256, juillet-septembre 2016
Titre du numéro Varia
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Autour du 16 mai 1877

    • Éloge de la désobéissance. Susanna Barrows, l'histoire de la France et la crise du 16 mai 1877 - Pierre Karila-Cohen, Patrick Fridenson p. 3-20 accès libre
    • Regards transatlantiques sur la France du XIXe siècle : chronique de la génération désobéissante - Susanna Barrows p. 21-28 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En 1958 David Pinkney conseillait aux jeunes historiens américains qui s'intéressaient à la France du XIXe siècle de se distinguer de leurs collègues français en limitant leur thèse de doctorat à une monographie centrée sur un aspect crucial ou controversé de ce siècle mouvementé et en passant plus tard à des ouvrages de synthèse. Mais, à partir de la fin des années 1960, les jeunes historiens américains ont ignoré la « loi de Pinkney » et se sont appliqués à étudier des périodes et des sujets négligés par les Français en posant des questions originales et en tirant profit des travaux de Michel Foucault et Philippe Ariès davantage que ne l'ont fait les Français. Ces nouveaux travaux américains ont connu un large écho en France, en mettant en valeur non seulement les comportements visibles des acteurs mais encore la plasticité et le pouvoir de la mémoire dans la vie sociale et politique. Deux exemples de cette approche sont donnés pour l'étude de l'année 1877.
      Transatlantic Perspectives on Nineteenth Century France: Chronicle of the Disobedient Generation
      In 1958, David Pinkney advised young American historians studying nineteenth century France to differentiate themselves from their French colleagues by limiting their doctoral research to a monograph focusing on a crucial or controversial aspect of this tumultuous century, before moving on to more synthetic works. However, beginning in the late 1960s, young American historians ignored the ‘Pinkney Law' and started to study periods and subjects that the French had neglected, by asking original questions and even by taking greater advantage than the French of the works of Michel Foucault and Philippe Ariès. These new American research works touched a large audience in France, not only by triggering a visible change in the approach of French historians, but also by emphasising the plasticity and power of memory in social and political life. The article gives two examples of this approach applied to the study of 1877.
    • Strange Bedfellows. Culture littéraire et culture populaire dans la France des années 1870 - Susanna Barrows p. 29-43 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le triomphe de la Troisième République ne fut pas seulement le fruit du langage et des pratiques de la bourgeoisie mais aussi de gens ordinaires qui combattirent le conservatisme avec les armes de la culture populaire rabelaisienne – rires, plaisanterie, gestes obscènes, ruses, scatologie et langage délibérément grossier. Cette dynamique a été tout particulièrement rendue visible lors de la crise du 16 mai 1877. Lorsque le président Mac-Mahon poussa le gouvernement républicain de Jules Simon à démissionner, il décida de nommer un gouvernement minoritaire, composé de monarchistes et de bonapartistes et de dissoudre la Chambre des députés. Dès lors, il se heurta avec ses partisans à une vive résistance populaire qui utilisa l'humour et la raillerie souvent grossière pour s'opposer à son coup de force. Le plus frappant est que la plupart des écrivains français des années 1870, souvent décrits comme indifférents à la politique, reprirent le langage et les mots d'ordre de cette résistance populaire contre le « Bayard des temps modernes ». Les convergences entre culture littéraire et culture populaire dessinent ainsi un compagnonnage inattendu entre ces deux mondes.
      Strange Bedfellows: Literary and Popular Culture in 1870s France
      The Third Republic's triumph was not only the result of the language and practices of the bourgeoisie, but also those of ordinary people, who fought conservatism with the weapons of Rabelaisian popular culture – laughter, jokes, obscene gestures, tricks, scatology and deliberately vulgar language. This trend was particularly visible during the 16 May 1877 crisis. When President MacMahon pushed the republican government of Jules Simon to resign, then decided to appoint a minority government of monarchists and Bonapartistes and to dissolve the Chamber of Deputies, he and his partisans came up against an energetic movement of popular resistance, which used humour and mockery to oppose this grab for power. Most striking is the fact that a majority of French writers of the 1870s, often described as indifferent to politics, echoed the language and watchwords of this popular resistance to the ‘Bayard of modern times' (as MacMahon was known to those who viewed him favourably). The convergences between literary culture and popular culture thus sketched an unexpected camaraderie between these two worlds.
    • Les murs qui parlent : le graffiti politique en 1877 - Susanna Barrows p. 45-64 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les graffitis ont constitué l'une des formes les plus spectaculaires de résistance populaire au renvoi par Mac-Mahon du cabinet républicain de Jules Simon le 16 mai 1877, à la nomination d'un ministère minoritaire et à la dissolution de la Chambre des députés. Pendant les cinq mois que durèrent cette crise politique fondatrice et la campagne électorale qui s'ensuivit, les affiches présidentielles et celles des candidats officiels furent biffées, arrachées, souillées ou leur contenu complété par des mots ironiques ou injurieux. Des messages railleurs, porteurs d'un humour à teneur scatologique ou pornographique, furent écrits à la pointe du couteau ou dessinés sur les murs de nombreuses villes de France, à commencer par Paris. À travers ce mode de protestation iconoclaste sur le fond comme parfois sur la forme se dévoile une culture politique démocratique profondément ancrée dans les classes populaires parisiennes, mais aussi au-delà, tant géographiquement que sociologiquement.
      The Walls that Talk: Political Graffiti in 1877Graffiti was one of the most visible forms of popular resistance to President MacMahon's revocation of Jules Simon's republican government on 16 May 1877, to the naming of a prime minister from the minority monarchist party, and to the dismissal of the Chamber of Deputies. For the five months of this foundational political crisis and ensuing election campaign, presidential posters and those of official candidates were crossed out, torn down, soiled or written on with ironic expressions. Messages of mockery, conveying humour of a scatological or pornographic bent, were engraved with knife blades or drawn on the walls of many cities in France, especially Paris. Through this form of protest, which was iconoclastic in its content and sometimes in its style, a democratic political culture is unveiled that was profoundly anchored in the working class, in Paris and elsewhere, both geographically and sociologically.
    • Une étrange année : Victor Hugo et le coup du Seize-Mai - Susanna Barrows p. 65-79 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au moment de la crise du 16 mai 1877, Victor Hugo est au faîte de sa renommée. Cet article montre comment il mobilise toutes les facettes de sa gloire pour s'opposer à l'offensive de Mac-Mahon et de ses partisans contre les républicains. À 76 ans, il endosse alternativement et simultanément tous ses rôles : le vieillard à la barbe blanche, le grand-père fier de ses deux petits-enfants, le sénateur pourvu de l'immunité, le survivant du dernier authentique coup d'État, l'historien et le poète de la République. Il prend la parole au Sénat contre la dissolution de la Chambre des députés, contribue à l'animation des gauches durant la campagne électorale, prend des notes dans ses carnets et, surtout, publie Histoire d'un crime moins de quinze jours avant le premier tour des élections, esquissant un parallèle entre le 2 décembre 1851 et le 16 mai 1877. Il constitue un modèle pour certains opposants qui cherchent à imiter son style ou rêveraient qu'il devienne ministre. Toutefois, aussi considérable soit-elle, la voix de Hugo se mêle aussi durant cette crise à celle de milliers d'anonymes qui partagent spontanément les mêmes références historiques et politiques et choisissent d'eux-mêmes les mêmes angles d'attaque.
      A Strange Year: Victor Hugo and the Coup of 16 May 1877When the 16 May 1877 crisis broke out, Victor Hugo was at the peak of his fame. This article shows how he mobilised every facet of his personal glory to fight MacMahon and his partisans' assault on the republicans. Hugo, at age 76, took on multiple roles, one after the other or simultaneously: the white-bearded old man, the grandfather proud of his two grandchildren, the senator benefiting from political immunity, the survivor of the last authentic coup d'État, the historian and poet of the Republic. He spoke in the Senate against the dismissal of the Chamber of Deputies, campaigned with left-wing parties during the election campaign, took notes in his notebooks, and most importantly, published History of a Crime less than two weeks before the first round of the elections, drawing a parallel between 2 December 1851 and 16 May 1877. He was a model for some opposition members who tried to imitate his style or hoped that he would be appointed as a minister. However, no matter how important Hugo's voice was, during this crisis, it was echoed by the voices of thousands of anonymous individuals who spontaneously shared the same historical and political references and chose the same angles of attack.
  • Des conscrits aux guerriers : usages et mésusages du recrutement militaire, fin XIXe-XXe siècle

    • Une affaire de marges. L'anthropométrie au conseil de révision, France-Allemagne, 1880-1900 - Heinrich Hartmann p. 81-99 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En 1891, l'anthropologue allemand Otto Ammon entra en contact avec son collègue René Collignon, médecin militaire à Cherbourg, et une correspondance intense s'instaura entre les deux hommes, au point de constituer un réseau reliant plusieurs anthropomètres en Europe et aux États-Unis. La mensuration des recrues lors des examens devant les conseils de révision était au centre de leurs préoccupations scientifiques. Ces échanges prient pour objet des questions méthodologiques autant qu'ils développèrent une sociabilité transnationale à l'écart des structures académiques, contribuant à doter de légitimité un racisme par les « grands nombres » prétendument objectifs. Ce moment de crise de l'anthropométrie, qui a poussé les chercheurs vers les marges, leur a en même temps servi de ressource qu'une perspective transnationale permet de rendre visible.
      A Marginal Affair. Building Anthropometry ‘Data' Based on Army Recruitment Boards, France–Germany, 1880-1900In 1891, the German Otto Ammon contacted his colleague René Collignon, an army doctor based in Cherbourg, and the two men began an intense correspondence, eventually forming a network of several anthropometric specialists in Europe and the US. Measuring army recruits during the medical exams of recruitment boards was the focus of their scientific preoccupations. These exchanges led both to methodological questions and to a form of transnational sociability, far removed from academic structures, helping build the legitimacy of racism based on ‘large numbers', supposedly objective. This period of crisis in anthropometrics, which pushed the researchers to the sidelines, was nevertheless a resource that is visible in a transnational perspective.
    • Les tirailleurs de la Corne de l'Afrique (1916-1966) : déconstruire le mythe du guerrier - Laurent Jolly p. 101-116 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans le domaine du recrutement des supplétifs coloniaux dans les armées européennes, la France se distingua des autres puissances par la mise en place d'une conscription souvent durement ressentie par les populations africaines, mais dont la représentation occulte les engagements volontaires dans certaines parties de l'Empire. Ces engagements librement consentis illustrent l'autonomie des acteurs sociaux et leur capacité à prendre des initiatives dans un contexte de domination coloniale. En Côte française des Somalis, aujourd'hui République de Djibouti, où la conscription ne fut pas instaurée, plus de 7 000 volontaires furent engagés dans les rangs de l'armée française avant l'indépendance acquise en 1977. Cet engouement apparent pour le métier des armes fut à l'origine de la construction d'un mythe, celui des « races guerrières », partagé par tous les recruteurs européens. L'analyse d'un panel de 1 311 livrets individuels d'hommes de troupe, complétée par une enquête de terrain, permet de révéler le poids des contraintes écologiques et sociales, la part des stimuli culturels et le rôle des représentations identitaires qui ont motivé le choix de servir sous l'uniforme colonial.
      Native Soldiers in the Horn of Africa (1916-1966): Deconstructing the Myth of the Warrior
      This article analyses the social profile of the French army recruits in East Africa during the colonial period. The analysis uses a sample of over 1 311 individual records of soldiers who had all voluntarily enlisted, unlike soldiers in other parts of the French Empire. The statistical study was supplemented with a field investigation in order to reconstruct individual life courses. A cross study of the statistical and personal data shows the regional migrations and the reasons for these voluntary enlistments. Voluntary service illustrates not only the social actor's agency, but also the weight of ecological, social and political hazards in this part of Africa, as well as the role of identity factors.
  • Sources radiophoniques et méthode historique

    • Quel usage des sources radiophoniques en histoire sociale ? Cheminement à partir d'une démarche empirique : le cas de Radio Lorraine Cœur d'Acier (Longwy, 1979-1980) - Ingrid Hayes p. 117-137 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les archives radiophoniques constituent une source peu usitée en histoire, du fait notamment de leur faible disponibilité. C'est pire encore s'agissant des radios libres, pour la plupart illégales. De ce point de vue, Radio Lorraine Cœur d'Acier, mise en place dans le sillage de deux mouvements, celui des radios libres qui se développait depuis 1977, mais surtout celui des mobilisations alors en cours contre le démantèlement de la sidérurgie dans le Nord et l'Est de la France, constitue un cas particulier puisque ses émissions ont été en bonne partie enregistrées et conservées.En s'appuyant sur l'expérience longovicienne, cet article tente d'évaluer en quoi les sources radiophoniques constituent un apport décisif pour une histoire sociale des classes populaires qui aille au-delà des organisations qui disent les représenter et des mobilisations menées en leur nom, pour s'intéresser à celles et ceux qui les constituent. Après une présentation du fonds sonore exploité et la méthode d'analyse qui lui fut appliquée, l'article indique en quoi les sources radiophoniques sont marquées par d'importantes limites en termes d'expression populaire, mais en permettent pourtant l'analyse dans une démarche micro-historienne.
      Using Radio Archive Sources in Social History. An Empirical Approach Applied to the Case of Radio Lorraine Cœur d'Acier (Longwy, 1979-1980)Radio archives are not used extensively as an historical source, notably due to their rarity. This is even truer for pirate radios (or free radios), which were mostly illegal. From this standpoint, Radio Lorraine Cœur d'Acier, which was born in the wake of two different movements – the free radios that developed in France beginning in 1977, and especially the mobilisation underway to oppose the dismantling of iron mines in northern and eastern France – is unique because a large portion of its broadcasts were recorded and preserved.Based on this experience in Longwy, Lorraine, this article endeavours to assess why radio archives constitute a decisive contribution to a social history of the working class that goes beyond the organisations that claim to represent this class or the mobilisations carried out in its name, to focus on the men and women that actually comprise the working class. After presenting the sound archive used for research and the analytical method applied to it, the article indicates why radio archives are affected by considerable limitations in terms of popular expression, while nevertheless enabling an analysis within a micro-history approach.
  • Notes de lecture