Contenu du sommaire : Turquie autoritaire, Turquie contestataire

Revue Mouvements Mir@bel
Numéro no 90, juin 2017
Titre du numéro Turquie autoritaire, Turquie contestataire
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial - Amin Allal, Agnès Deboulet, Noé Le Blanc, Agnès Deboulet, Noé Le Blanc, Gulcin Erdi Lelandais, Élise Massicard, Pinar Selek, Sezin Topçu p. 7-9 accès libre
  • Le contexte : histoire et institutions

    • L'État-AKP et le gouvernement par la crise - Gilles Dorronsoro p. 11-18 accès libre avec résumé
      La monopolisation des ressources économiques et institutionnelles par le parti au pouvoir caractérise l'État turc depuis sa création. Cet accaparement systématique explique la difficulté d'une alternance politique régulière.
    • Anatomie de l'armée en Turquie après la tentative du coup d'État du 15 juillet 2016 - Sümbül Kaya p. 19-29 accès libre avec résumé
      Depuis son arrivée au pouvoir, l'AKP a engagé plusieurs réformes visant à circonscrire le pouvoir de l'armée au sein de l'État turc. La tentative de coup d'État du 15 juillet 2016 et les purges qui ont suivi ont accéléré cette réorganisation déjà perceptible sur le temps long notamment à travers l'évolution des modalités de recrutement. Marginalisée, l'armée turque a été renvoyée à sa mission de défense nationale. Jusque-là gardienne de la laïcité et du kémalisme, donc de l'État turc lui-même, elle se montre de plus en plus tolérante envers l'islam, signe de sa mise au pas.
    • Les relations Turquie-UE face à la crise migratoire : quelles évolutions ? - Nicolas Monceau p. 30-37 accès libre avec résumé
      Désireux d'enrôler le gouvernement turc dans sa guerre contre les populations migrantes, l'Union Européenne a relancé des négociations enlisées depuis dix ans. Mais les rapports de plus en plus tendus entre les deux partenaires ne laissent pas présager d'un rapprochement très poussé ni très pérenne.
    • Étude des reconfigurations patronales de la dérive autoritaire en Turquie entre contestation, domination et crise - Dilek Yankaya p. 38-47 accès libre avec résumé
      Le pouvoir AKP a progressivement marginalisé deux des trois groupes patronaux sur lesquels il s'était appuyé à son arrivée au pouvoir, pour resserrer ses liens avec une formation patronale, le Müsiad. Cette organisation, qui fédère un patronat islamique, a profité de l'éviction de ses rivales par le pouvoir central pour s'imposer comme l'acteur dominant dans le champ de la représentation patronale en Turquie. La « tentative de coup d'État » a été l'occasion pour le Müsiad d'affirmer son soutien inconditionnel à l'AKP.
    • Le pouvoir de l'AKP et les relations au travail : l'adhésion syndicale sous contrôle - Isil Erdinç p. 48-53 accès libre avec résumé
      Au cours de ses quinze années de pouvoir, l'AKP a étendu son emprise sur le champ syndical dans l'optique d'endiguer les luttes sociales et de promouvoir un modèle de « bon syndicalisme » : celui-ci est incarné par Hak-İş, la confédération syndicale du secteur privé, d'orientation islamique, qui s'est rapidement hissée au rang d'acteur dominant dans le champ syndical. Pourtant, les protestations n'ont pas été étouffées.
    • L'urbanisation néolibérale et conservatrice au prisme de l'autoritarisme en Turquie - Gulcin Erdi Lelandais p. 54-61 accès libre avec résumé
      Depuis maintenant deux décennies, l'urbanisation en Turquie s'inscrit dans une logique néolibérale où la « rationalisation » de l'utilisation de l'espace vise avant tout à la maximisation du profit foncier. Ce phénomène n'est évidemment pas propre à l'arrivée au pouvoir du Parti de la justice et du développement (AKP – Adalet ve Kalkınma Partisi) : il suit son cours depuis les années 1990. Cependant, il s'est intensifié et son caractère particulièrement agressif et autoritaire s'est renforcé sous le mandat de ce parti, notamment vis-à-vis des quartiers populaires et informels mais aussi vis-à-vis de certains espaces publics.
    • Le dicible et l'indicible : le patrimoine au service de la nation turque - Muriel Girard p. 62-68 accès libre avec résumé
      La célébration renouvelée de l'héritage ottoman participe à plein de la construction du récit national turc. L'instrumentalisation du patrimoine, y compris parfois du patrimoine des minorités ethniques et religieuses autrefois complètement passé sous silence, est ainsi l'une des stratégies de l'AKP pour légitimer son pouvoir.
  • La situation actuelle : une répression décomplexée

    • Nostalgie d'empire, société fracturée et État fragilisé. La Turquie à l'heure de l'AKP post-coup d'État : Entretien avec Hamit Bozarslan - Agnès Deboulet p. 69-81 accès libre avec résumé
      Hamit Bozarslan revient ici sur la manière dont l'AKP se revendique de la mission historique de la nation turque et ottomane, puissance régionale à la fois protectrice de l'islam et chargée d'amener la « modernité » (État centralisé fort, grands travaux...) à ses voisins. R. T. Erdoğan se pose comme la figure incarnée de cette mission, garant de la « turcité », de l'islam et de l'État.
    • Continuer la lutte en exil ou rester en Turquie ? : Entretien avec Aysen Uysal et Selim Eskiizmirliler - p. 82-91 accès libre avec résumé
      Ayşen Uysal, professeure de science politique à l'Université Dokuz Eylül à Izmir1, fait partie des Universitaires pour la Paix (BAK)2. Comme les autres signataires de la pétition rendue publique le 11 janvier 2016, et comme des dizaines de milliers de personnes depuis le coup d'État du 15 juillet, elle subit la répression du régime dirigé par Recep Tayyip Erdoğan et son parti l'AKP – même si elle ne fait pas, à la date où nous publions, partie des fonctionnaires limogé·e·s par décret. Elle est très active au sein de BAK et, du fait de ses contacts en France (elle a soutenu sa thèse à Paris), participe à la coordination des solidarités internationales. C'est au cours d'un séjour parisien d'un mois, à l'invitation de l'université Paris 8, que Mouvements l'a interviewée. Son regard sur les mobilisations des signataires de la pétition et de leurs soutiens est également informé par ses recherches, qui portent sur les formes de mobilisation et de répression politiques en Turquie et leurs évolutions depuis les années 19903.Selim Eskiizmirliler est quant à lui maître de conférences en neurosciences à l'Université Paris Diderot et rattaché à la Fédération de recherches en neurosciences (CNRS/Université Paris Descartes). Né en Turquie, il est venu à Paris pour faire son doctorat à l'ENST Télécom Paris après avoir été plusieurs fois emprisonné et torturé pour son militantisme d'extrême-gauche. Un temps éloigné de la vie politique, les mobilisations du parc de Gezi en 20134 puis la répression des signataires pour la paix à partir de janvier 2016 l'ont conduit à renouer avec le militantisme en participant aux actions internationales de solidarité avec les universitaires pour la paix (CISUP), lancées dès février 2016 à Paris.Mouvements a interrogé Ayşen Uysal et Selim Eskiizmirliler sur les activités de soutien aux universitaires réprimé·e·s, à la fois pour faire connaître la situation mais aussi parce que le partage des récits de mobilisation est le meilleur moyen de donner des idées, de faire circuler des savoir-faire. Ces deux interviews ont été réalisées séparément en novembre 2016, puis du fait de leur complémentarité combinées en une seule retranscription.
    • La « ligne Alep-Mossoul », nouvel étranger proche de la Turquie - Yohanan Benhaim p. 92-100 accès libre avec résumé
      De plus en plus isolée diplomatiquement sur la scène internationale, la Turquie a modifié l'orientation de sa politique étrangère, désormais recentrée sur le contrôle de ses frontières et de l'intégrité de son territoire national.
    • Guerre, état d'urgence, droits culturels et linguistiques kurdes bafoués. Retour sur le pluralisme selon l'AKP - Clémence Scalbert-Yücel p. 101-108 accès libre avec résumé
      Pour des raisons électoralistes, et dans le cadre des discussions sur une éventuelle intégration à l'Union européenne, l'AKP dirigé par Erdoğan a accentué, à son arrivée au pouvoir en 2002, la politique amorcée par l'État turc à partir des années 1980 vis-à-vis des minorités kurdes : « pacification » par l'autorisation contingentée de la langue kurde et répression des mouvements politiques. Soutenu surtout par les municipalités conquises par des partis kurdistes ou prokurdes à l'est et au sud-est du pays, un champ culturel kurde protéiforme (presse, édition, spectacle, cinéma, enseignement...) s'est ainsi développé durant une trentaine d'années. La radicalisation autoritaire du régime depuis 2015, avec la reprise de la guerre menée en territoires kurdes puis l'état d'urgence suite au coup d'État de juillet 2016, donne lieu à une reprise en main brutale et massive. Limogeages, arrestations, dissolutions, interdictions, fermetures... : l'avenir des institutions et réseaux culturels kurdes n'a jamais été aussi précaire. La résistance kurde passe aussi par la réinvention de ce champ d'expression culturelle.
    • Les événements de Gezi, ou le début de la « dérive autoritaire », vu des périphéries... - Jean-François Pérouse p. 109-119 accès libre avec résumé
      La contestation très médiatisée autour du parc de Gezi en mai-juin 2013 est sans doute un point de référence dans l'historique des luttes en Turquie. Une trop grande attention portée à la mobilisation autour du parc central d'Istanbul a cependant quelque peu éclipsé d'autres aspects et d'autres acteur·e·s de la mobilisation protéiforme qui a émergé lors de cette période de contestation.
  • Voix contestatrices : des résistances pérennes

    • Mouvement féministe en Turquie : initiateur d'un nouveau cycle de contestation - Pinar Selek p. 121-127 accès libre avec résumé
      En remettant en cause les vérités idéologiques de l'État-nation et en transformant l'espace militant des mouvements de la gauche, le mouvement féministe turc a profondément influencé l'histoire contestataire de la Turquie. Par les nouvelles formes d'action politique qu'il a inventées et par les nouvelles causes qu'il a dévoilées, il est finalement au cœur de l'émergence du nouveau cycle de contestation sociale qui a marqué les dernières décennies.
    • De l'amour du foot au mouvement Gezi : enquête sur le processus de politisation des supporteur.es de « Çarşı » - Gokce Tuncel p. 128-139 accès libre avec résumé
      Né en 1982, Çarşı est le principal groupe de supporters du club de football de Beşiktaş, l'un des trois clubs historiques d'Istanbul avec Galatasaray et Fenerbahçe. Centré sur le quartier dont il porte le nom, Beşiktaş revendique une identité bien à lui. Ses supporters se plaisent à l'appeler « l'équipe du peuple ». Çarşı, qui fonctionne de façon non hiérarchique, a un rayon d'action bien plus large que celui d'un simple groupe de supporters : actions humanitaires, opposition au racisme, au fascisme, au sexisme, souci de justice sociale, défense de l'environnement. Ses membres ont joué un rôle central durant les révoltes de Gezi. Habitués par l'ambiance des stades turcs aux confrontations avec les autorités, aux techniques de défense ou de dispersion, certains ont activement participé aux révoltes contre Erdoğan ainsi qu'à la formation des manifestants dans le quartier de Beşiktaş.
    • Les conséquences biographiques de l'engagement révolutionnaire en Turquie - Paul Cormier p. 140-148 accès libre avec résumé
      Les bouleversements politiques qui ont secoué la Turquie depuis les années 1970 ont durablement marqué, non seulement les formes de lutte, mais aussi les trajectoires individuelles des militant-e-s engagé-e-s contre le pouvoir militaire.
    • Entre dynamiques locales, régionales et internationales : les reconfigurations de la question kurde en Turquie - Olivier Grojean p. 149-156 accès libre avec résumé
      Au début des années 2000, afin de permettre l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, le gouvernement turc avait relâché son emprise sur la population et les régions kurdes du pays. Cette période d'ouverture très relative a pourtant rapidement pris fin, et la paix semble à présent un objectif plus lointain que jamais.