Contenu du sommaire : La nomination des langues dans l'histoire

Revue Histoire, Epistémologie, Langage Mir@bel
Numéro vol.31, n°2, 2009
Titre du numéro La nomination des langues dans l'histoire
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • La nomination des langues dans l'histoire

    • Articles
      • La nomination des langues dans l'histoire. Présentation - Émilie Aussant p. 5-13 accès libre
      • Les noms des langues chez les Grecs - Frédéric Lambert p. 15-27 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Les Grecs de l'Antiquité utilisaient deux termes pour désigner la ou les langue(s) : glōssa, qui a pris le sens de langue en grec moderne, et dialektos, qui signifie évidemment dialecte. Mais contrairement à ce que l'usage de ces termes dans les langues modernes laisse entendre, chez les Anciens ils ne réfèrent pas nécessairement à la hiérarchie attendue : chez les grammairiens, le dialektos désigne une langue ou une façon de la parler indifféremment, tandis que glōssa renvoie plutôt à un mot ou une tournure de ce que nous appelons un dialecte ! Chez les historiens, les deux mots sont pratiquement interchangeables et réfèrent tous deux à une langue, sans la moindre notion de hiérarchie. D'autre part, en ce qui concerne la dénomination des langues, les Grecs n'utilisaient pas, comme nous le faisons, une forme nominalisée comme «le grec » ou «l'attique » . Ils concevaient plutôt leur langue et ses différents dialectes, ainsi que les langues «barbares » , comme les façons de parler (dialektos) de différents peuples. Enfin il est apparu que, s'il est prématuré de parler de grammatisation à propos du travail des grammairiens grecs, cela ne les a pas empêchés de penser l'altérité linguistique dans leur propre domaine linguistique.
        Ancient Greeks used two terms to designate their language or languages : glōssa, which took on the meaning of language in modern Greek, and dialektos, which of course means dialect. But unlike the use of these terms in the modern languages, for the ancient Greeks they did not necessarily refer to the expected hierarchy : the grammarians used dialektos equally to designate any language or way of speaking, whereas glōssa refers rather to a word or an expression belonging to what we now call a dialect ! Amongst historians the two words are virtually equivalent and both refer to any language without any hierarchy. On the other hand, as far as the designation of languages is concerned, Greeks did not use, as we do, a nominalized form such as «Greek » or «Attic » . In fact they conceived their language and its different dialects, as much as the «barbarian » languages, as ways of speaking (dialektos) by different peoples. Finally it is clear that, even though it is premature to call the work achieved by Greek grammarians grammatisation, this did not prevent them from conceiving linguistic otherness in their own linguistic domain.
      • Les Noms de la langue en latin - Bruno Rochette p. 29-48 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Cet article étudie la façon dont les auteurs latins ont nommé la langue. Les deux termes principaux pour désigner la langue en latin sont sermo et lingua. Le premier désigne surtout la langue comme moyen de communication, le second se situe sur un plan plus théorique. Pour désigner leur propre langue, les Romains ont forgé deux séries d'expressions : la famille de Latium et celle de Roma. La première, qui est prépondérante, désigne la langue de Rome de façon neutre, tandis que la seconde, qui apparaît plus tardivement, revêt souvent une dimension politique et désigne le latin comme langue de l'Imperium Romanum. Les termes de la série latine sont souvent associés à une valeur normative, comme le montre l'étude de l'adverbe Latine dans deux traités de rhétorique de Cicéron : le De oratore et le Brutus.
        This article is devoted to the study of the names for language in Latin. Two Latin words appear to designate language, sermo and lingua. The first is used for language as a means of communication, the second relates to a more theoretical level. To name Latin, the Romans created two series of expressions : the family of Latium and that of Roma. The first, the more important, designates the language of Rome in a neutral way, the second, which appears later, often has a political dimension and designates Latin as the language of the Imperium Romanum. The words belonging to the Latin series are often associated with a normative value, as shown by the study of the adverb Latine in two rhetorical treatises by Cicero, De oratore and Brutus.
      • Les noms des langues en arabe - Jean-Patrick Guillaume p. 49-66 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Dès l'époque antéislamique, l'arabe dispose d'un vocabulaire abondant et expressif pour désigner les diverses «façons de parler » des autres, qu'il s'agisse de variétés dialectales d'arabe ou de langues étrangères. Ce vocabulaire reflète une conception du langage et de la diversité linguistique centrée sur les locuteurs : la langue est perçue, non comme une entité autonome, mais dans sa relation à ceux qui l'utilisent, et aux discours à travers lesquels elle se manifeste. C'est tout d'abord à travers les discussions sur la question des emprunts lexicaux dans le Coran, et sur celle des dialectalismes coraniques, qu'émerge progressivement l'idée de la langue arabe (al-‛ arabiyya) comme un objet abstrait, transcendant la compétence linguistique de chaque locuteur pris isolément. Cette conception atteindra sa forme la plus achevée à travers le processus de grammatisation de l'arabe : la ‛ arabiyya est alors perçue comme un système abstrait, où chaque élément, si marginal ou aberrant soit-il, occupe la place qui lui revient. Cette évolution, toutefois, est inséparable d'une «clôture glottocentrique » qui constitue la principale limite de la tradition linguistique arabe.
        In the pre-Islamic period, Arabic had a wide range of expressive terms referring to the different «ways of speaking » of others (whether they were dialectal varieties of Arabic, or foreign languages). This vocabulary reflects a concept of language and linguistic diversity centered on the speakers : language is not perceived as an autonomous entity, but in its relation to its users and to the discourses through which it is manifested. The notion of Arabic (al-‛ arabiyya) as an abstract entity, transcending the individual linguistic competence of any speaker, emerged progressively in the framework of the discussions about the presence of foreign terms and dialectalisms in the Koran. This concept was most clearly articulated through the process of the grammatisation of Arabic : al-‛ arabiyya then refers to an abstract system, where each element, however marginal or aberrant, can find its due place. This evolution, however, is inseparable from a «glottocentric » atttitude which is the major limitation of the Arabic linguistic tradition.
      • Le nom des langues dans la Bible et la tradition hébraïque - Sophie Kessler-Mesguich p. 67-88 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        La question des langues dans la Bible a fait l'objet de nombreux travaux, mais ceux-ci portent essentiellement sur l'origine du langage et le mythe de Babel. Au demeurant, le matériel biblique est relativement maigre : les langues autres que l'hébreu sont surtout mentionnées lorsqu'il est question d'autres nations, proches ou ennemies, et l'existence de variantes dialectales n'est mentionnée explicitement qu'une seule fois. Dans les textes rabbiniques, qui s'élaborent sur fond de multilinguisme (hébreu – araméen – grec), les langues étrangères sont à la fois abordées dans le cadre de discussions juridiques et dans les récits et interprétations concernant la langue primitive et la langue de la révélation. Quant aux grammairiens juifs des 10e-11e s., ils ont pour but de décrire la langue de la Bible et de permettre une exégèse aussi exacte que possible : c'est pour les besoins de cette dernière qu'ils se réfèrent à l'araméen et à l'arabe.
        The issue of language in the Bible arises in numerous works, but these are essentially concerned with the origin of language and the myth of Babel. However, the biblical material is relatively thin : foreign (viz., non Hebraic) languages are especially mentioned in connection with other nations, allies or enemies, and the existence of dialectal variants is mentioned explicitly only once. In rabbinical texts, which elaborate on the background of multilingualism (Hebrew – Aramaic – Greek), foreign languages are approached within the framework of legal discussions, and narratives and interpretations concerning the primitive language and the language of Revelation. As for the Jewish grammarians of 10th-11th centuries, they aim at describing the language of the Bible and at allowing exegesis as exact as possible : they refer in the Aramaic and in the Arabic to the needs of exegesis.
      • Nommer/penser sa langue et celle des autres : le cas des grammairiens du sanskrit et des prakrits - Émilie Aussant p. 89-116 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        L'objet de cet article est de décrire et d'expliquer la manière dont les grammairiens de l'Inde ancienne (du 4e s. avant notre ère jusqu'au 12e s.) nommaient les entités linguistiques. L'étude montre comment ces derniers semblent n'avoir jamais pris en compte l'altérité linguistique externe, pourtant avérée dès le 3e s. avant notre ère. L'altérité linguistique interne, en revanche, n'a pas été ignorée. Mais elle semble – pour la période concernée, tout au moins – avoir toujours été appréhendée sur le même mode, celui du continuum linguistique.
        The aim of this paper is to describe and explain the way in which grammarians of ancient India (from the 4th century B. C. to the 12th century A. D.) named linguistic varieties. The study shows how these scholars seem to have never taken into account external linguistic alterity, though proved from the 3rd century B. C. on. Internal linguistic alterity, on the other hand, was not ignored, but – at least in the period under consideration – it seems to have always been conceived in the same manner, that is, as a linguistic continuum.
      • Depictions of language and languages in early Tamil literature – How Tamil became cool and straight - Eva Wilden p. 117-141 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Le but de cet article est l'analyse du développement de la désignation de base de la langue tamoule (tamiḻ) et de sa perception de l'autre, c'est-à-dire des autres langues, notamment la «langue du Nord » (vaṭa-moḻi & al.) dans les textes, pré-théoriques et non-théoriques, du premier millénaire de notre ère. La variété des genres et des textes dans leurs fonctions multiples préserve une diversité de voix qui n'a pas survécu dans les cercles limités au discours grammatical. Déjà dans les oeuvres les plus anciennes, celles relevant de ce que l'on appelle le «Caṅkam » , le mot tamiḻ («tamoul » ) se trouve occasionnellement utili-sé pour le territoire, le peuple et la langue, mais aussi pour renvoyer à une tradition littéraire savante. On remarque un changement de perspective à partir du 7e s., avec une ap-parition graduelle dans les textes courtois et encore plus dans les textes dévotionnels d'attitudes qui favorisent le tamoul, souvent implicitement contre le Sanskrit. L'épicentre de ce mouvement se trouve dans la tradition Shivaïte.
        This paper aims at following up the development of the basic designation of the language called Tamil (tamiḻ) and its perception of otherness, i. e. other languages, especially the «Northern language » (vaṭa-moḻi & al.), in the early, pre-theoretical and non-theoretical, literature of the first millennium of the common era. The variety of literary genres and texts serving quite different purposes preserves a multiplicity of voices which have not survived into the relatively narrow circles interested in grammatical discourse. Already in the oldest literary corpus, that of the Caṅkam, the word tamiḻ is occasionally used for territory, people and language, but also for a learned literary tradition. A marked increase can be observed from the 7th century onwards, where we find both in courtly and even more so in devotional texts the onset of a conscious promotion of Tamil, often in implicit contrast to Sanskrit. The epicentre of the movement seems to be located in the Shaiva tradition.
      • On the Very Notions of Language and of the Chinese Language - Christoph Harbsmeier p. 143-161 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Cet article présente un certain nombre de mots et expressions désignant «la langue chinoise » en chinois moderne ainsi que dans des formes plus anciennes de la langue. Il aborde ensuite l'histoire conceptuelle des mots chinois au sein du champ sémantique «langue » . Il se termine sur un bref examen des conceptions chinoises relatives à la nature, l'importance et les fonctions du langage humain.
        This paper discusses the wide range of words and expressions for «the Chinese language » in modern Chinese as well as in earlier forms of the language. It then goes on to discuss the conceptual history of Chinese words within the semantic field LANGUAGE. Finally, there is a short survey of typical Chinese reflections on the nature, importance, and functions of human language.
      • L'évolution des idées sur la langue dans le Japon ancien - Akira Terada p. 163-173 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Les Japonais ont conçu les idées sur leur langue à travers diverses recherches pour adapter l'écriture chinoise à leur langue. Ce qu'ils ont dû ajouter à l'écriture chinoise est précisément ce qui caractérise la langue japonaise.
        The Japanese formulated different ideas about their language through various attempts to adapt Chinese writing to their language. What they needed to add to Chinese writing is precisely what characterises the Japanese language.
    • Lectures et critiques