Contenu du sommaire : Des classes sociales européennes ?

Revue Actes de la recherche en sciences sociales Mir@bel
Numéro no 219, septembre 2017
Titre du numéro Des classes sociales européennes ?
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Des classes sociales européennes ? - Étienne Penissat, Yasmine Siblot p. 4-11 accès libre
  • L'Union européenne, un espace social unifié ? - Cécile Brousse p. 12-41 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La plupart des théories de la stratification sociale ont pour cadre les espaces nationaux (Wright, Goldthorpe, Esping-Andersen, Bourdieu). Si certaines nomenclatures socio-économiques sont utilisées à des fins de comparaisons internationales (comme l'EGP par exemple), elles sont très rarement appliquées à l'espace européen pris dans son ensemble. En s'appuyant sur les données de l'enquête SILC et sur une version amendée de la nomenclature détaillée des PCS, cet article s'interroge sur la possibilité de transposer le « schéma » de classes de Bourdieu au plan européen. Il montre que si la répartition de la population en trois classes – dominante, intermédiaire et populaire – selon le volume de capital est une configuration que l'on retrouve dans tous les pays européens, la division de ces classes en fractions, selon la composition du capital, est plus marquée dans les pays de l'Ouest de l'Europe. En lien avec les régimes d'État-providence, les pays se différencient par les distances entre classes sociales, plus grandes dans les pays inégalitaires du Sud de l'Europe et plus réduites dans les pays nordiques. Mais les écarts de niveau de revenu et de scolarité sont tels entre les différentes régions européennes que le pays de résidence est au moins aussi structurant de la position sociale au niveau européen que la profession. Autrement dit, à l'échelle de chaque pays, la classe définie par la profession reste un assez bon prédicteur de la position sociale. Il paraît cependant difficile de parler d'un espace social européen unifié.
    Most theories of social stratification adopt the national space as their framework (Wright, Goldthorpe, Esping-Andersen, Bourdieu). While some socio-economic typologies are used for the sake of making international comparisons (as the EGP for instance), they are rarely applied to the European space altogether. This article draws upon the data from the SILC survey and a modified version of the detailed typology of PCS in order to question the possibility of transposing to the European level Bourdieu's class-based model. It shows that while the distribution of the population among three classes – dominant, intermediate, and lower middle class – according to the volume of capital is a structure found in all European countries, the subdivision of these classes into fractions reflecting the composition of their capital is more pronounced in Western Europe. According to their welfare regimes, countries differ in terms of the distance between social classes, greater in the more inegalitarian countries of southern Europe and more restricted in northern Europe. Yet, differences in terms of income and schooling are such between the different regions of Europe that the country of residence is at least as decisive as the profession for determining social position at the European level. To put it differently, within each country, the social class as defined by the profession remains a strong predictor of the social position. Yet, it is difficult to talk about a unified European social space.
  • Déclin et renouveau de l'analyse de classe dans la sociologie britannique, 1945-2016 - Mike Savage, Françoise Wirth p. 42-55 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article explique les raisons de la renaissance de l'analyse de classe au sein de la sociologie britannique au cours des vingt dernières années et replace ce phénomène dans le contexte de plus long terme qui est celui du développement de la sociologie au Royaume-Uni depuis 1945. Il montre comment la question de la classe a été centrale dans le développement de la discipline après la Seconde Guerre mondiale, mais sous une forme qui faisait de l'ouvrier blanc la figure centrale de la « classe ouvrière ». À partir des années 1970, l'attention prêtée à cette figure s'est révélée problématique pour l'analyse de classe dans la mesure où ce point de vue semblait rendre la désindustrialisation, l'immigration et de nouveaux rapports de genres apparaissaient moins pertinents. L'article suggère que l'approche de classe « structurale » associée à John Goldthorpe et à ses collaborateurs est parvenue à défendre un modèle de classe relativement attractif, mais qui limitait la focale de l'analyse de classe. La dernière section de l'article montre comment au cours des deux dernières décennies, la sociologie de Pierre Bourdieu a été une contribution particulièrement importante qui a produit une approche riche et multidimensionnelle de l'analyse de classe. Il indique comment le succès avec lequel la Great British Class Survey a contribué à alimenter des discussions publiques au sujet de la classe inspiré par ces courants.
    This paper explains the reasons for the revival of class analysis in British sociology over the past 20 years, placing this in a longer term context of the development of sociology in the UK since 1945. I show how the issue of class was made central to the growth of sociology after the Second World War, but in a form which placed white male manual workers as the central of the “working class”. This focus posed problems for class analysis from the 1970s because de-industrialization, immigration, and changing gender relations appeared to this vision of the working class less relevant. I show how the influential “class structural” approach to class associated with John Goldthorpe and his associates succeeded in championing a model of class which had considerable comparative appeal, but which limited the scope of class analysis. The final part of my paper shows how over the past two decades, Pierre Bourdieu's sociology has proved very significant in elaborating a rich, multi-dimensional approach to class analysis. I show how the success of the Great British Class Survey, in developing public debates on class, is inspired by these currents.
  • Comparer les classes populaires en France et au Portugal : Différences structurelles et histoires intellectuelles - Virgílio Borges Pereira, Yasmine Siblot p. 56-79 avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article vise à expliciter les difficultés rencontrées lors de la comparaison entre des travaux portant sur les classes populaires en France, et sur les mondes ouvriers au Portugal, tout en soulignant le caractère fructueux d'une telle confrontation intellectuelle. Les travaux discutés démontrent bien dans les deux cas la pertinence de l'analyse des positions et rapports de classe pour comprendre les inégalités sociales. Cependant, et la structure des espaces sociaux et la manière de définir les classes et de les identifier empiriquement ne sont pas identiques. D'un côté, la structure des emplois, le poids respectif de l'industrie et du monde rural, les politiques de scolarisation, la place de l'État ou encore les pratiques migratoires diffèrent. De l'autre, des formes de catégorisation distinctes sont mobilisées pour penser le monde social. C'est particulièrement manifeste en ce qui concerne les classes populaires. Alors que la sociologie française opère un élargissement progressif depuis la sociologie de la classe ouvrière vers la sociologie des classes populaires, tendant à rapprocher dans les analyses les mondes ouvriers et employés, ces deux univers sociaux demeurent largement séparés dans la sociologie portugaise.
    This article aims at explaining the difficulties one runs into when comparing works that focus on the lower middle class in France and on the worlds of the Portuguese working class, while emphasizing the intellectually promising nature of such a comparison. The works under scrutiny demonstrate in both cases that the analysis of class positions and class relationships is relevant to the understanding of social inequalities. Yet, both the structure of social spaces and the way of defining and identifying class empirically are not identical. On the one hand, the labor structures, the relative weight of industry and of the rural world, educational policies, the role of the state or the migratory practices differ. On the other hand, different forms of categorization are mobilized in the representation of the social world. This is particularly obvious when it comes to the lower middle classes. While French sociology has gradually expanded its focus from the sociology of the working class to the sociology of the lower middle classes, which brings together under the same analytical scope the worlds of workers and employees, these two social universes remains largely separate in Portuguese society.
  • Classes et nations : quelle articulation à l'échelle européenne ? - Frédéric Lebaron, Pierre Blavier p. 80-97 avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article part du constat de la faiblesse du travail de « construction des classes » à l'échelle européenne, qui contraste avec l'importance persistante des inégalités entre groupes sociaux. Après avoir présenté certains des enjeux théoriques d'une analyse de classes à l'échelle européenne, et en s'appuyant sur les données des grandes enquêtes européennes ECHP et EU-SILC, on étudie le poids respectif des différences de classes et de nations en termes de difficultés économiques et de conditions de vie, et comment ce poids a évolué. L'analyse permet de conclure à une importance notable des inégalités de classes, à leur maintien voire leur accentuation dans le temps, processus variables selon les pays. L'analyse conduit aussi à souligner leur intensité plus faible que celle des différences entre pays, avec lesquelles elles interagissent fortement. Ceci invite à reposer la question des classes à l'échelle européenne en les articulant systématiquement avec les inégalités entre pays.
    This article starts with the observation that the “construction of the classes” at the European level remains weak, while the inequalities between social groups remain strong and persistent. After presenting some of the key theoretical issues of a class analysis at the European level and building upon the data of the large European surveys ECHP and EU-SILC, the article focuses on the respective weight of class-and national differences in determining the socioeconomic hardships and on its evolution. The analysis concludes that class inequalities remain extremely important and that they have remained stable over time when they have not become more pronounced, depending on the country under scrutiny. The article also emphasizes that class differences are less intense than national differences, with which they interact strongly. This suggests that the question of class can be formulated at the European level through a systematic correlation with the question of inequalities between countries.
  • Les déterminants sociaux et nationaux des inégalités culturelles en Europe - Cédric Hugrée, Étienne Penissat, Alexis Spire p. 98-115 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Alors que les travaux sur les pratiques culturelles portent principalement sur des espaces nationaux, l'ambition de cet article est de projeter l'analyse à l'échelle européenne. À partir de l'enquête EU-SILC, on montre que le revenu, le niveau de diplôme et le genre sont, en première approche, les trois variables clefs pour expliquer les pratiques de loisirs que sont la fréquentation de spectacles, de sites culturels, de cinémas et d'événements sportifs. En utilisant une classification sociale harmonisée et détaillée, les auteurs font apparaître que la position socioprofessionnelle des enquêtés constitue également un critère décisif pour dresser le profil des consommateurs intensifs de biens culturels. Si l'on excepte les enseignants et les professions intellectuelles et artistiques d'un côté et les ouvriers non qualifiés de l'autre, les inégalités entre pays semblent plus prégnantes qu'entre classes sociales. Ce résultat s'explique en partie par le fait que l'économie des biens culturels reste étroitement liée à des déterminations nationales, mais qu'il est aussi le produit de structures sociales qui restent encore aujourd'hui assez différentes.
    While studies of cultural practices focus mostly on national spaces, this article aims at extending the analysis to the European level. Using the EU-SILC survey, it shoes that income, educational attainment and gender provide a first set of key variables explaining leisure practices such as the frequentation of theaters, cultural sites, movie theaters and sport events. Using a homogenized and detailed social classification, the authors show that the socio-professional position of the individuals surveyed also is also decisive in establishing the profile of intense consumers of cultural goods. If one except teaching, artistic and intellectual professions as well as unskilled workers, inequalities between countries seem more important than inequalities between social classes. This result is partly explained by the fact that the economy of cultural goods remains tightly wedded to national determinations, but also because it stems from social structures that today remain quite different.
  • Les logiques ordinaires de catégorisation de l'espace socioprofessionnel : Une comparaison Allemagne, Espagne, France - Laure de Verdalle, Jérôme Deauvieau, Alexandra Filhon p. 116-141 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article analyse les catégorisations ordinaires de l'espace socioprofessionnel dans trois pays européens : l'Allemagne, l'Espagne et la France. Dans un contexte marqué par la mise en place d'une nomenclature socioprofessionnelle européenne, nous avons conduit une étude comparée reposant sur un dispositif méthodologique inspiré par les travaux menés par Luc Boltanski et Laurent Thévenot au début des années 1980. Après avoir explicité notre démarche expérimentale, nous revenons sur la façon dont nos enquêtés catégorisent l'espace social d'un pays à un autre en insistant sur les principales logiques qui structurent leur jugement. Les données recueillies nous permettent de mettre à jour des variations nationales dans la manière d'appréhender le monde socioprofessionnel. Alors qu'en France la qualification et le statut d'emploi apparaissent déterminants, en Allemagne c'est avant tout la détention ou non d'un diplôme professionnel qui ordonne les classements individuels. Enfin, en Espagne le niveau de formation est central pour saisir les découpages opérés.
    This article analyzes the everyday categorizations of the socio-professional space in three European countries : Germany, Spain, and France. In a context characterized by the adoption of a European socio-professional taxonomy, we have conducted a comparative survey based upon a methodology inspired by the work done by Luc Boltanski and Laurent Thévenot in the beginning of the 1980s. After explaining our experimental approach, we focus on the way in which the individuals surveyed categorize the social space in the countries under consideration, and we insist on the main logics that structure their judgment. The data collected reveals national variations in the perceptions of the socio-professional world. While in France educational level and job status seem decisive, in Germany it is first and foremost the possession of a vocational diploma that determines individual classifications. Finally, in Spain, the level of education is central in the apprehension of socio-professional distinctions.