Contenu du sommaire : Géopolitique de la datasphère
Revue | Hérodote |
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Numéro | no 177-178, 2ème-3ème trimestre 2020 |
Titre du numéro | Géopolitique de la datasphère |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial. Du cyberespace à la datasphère. Enjeux stratégiques de la révolution numérique - Frédérick Douzet p. 3-15 La révolution numérique provoquée par l'adoption massive des technologies de l'information et l'interconnexion mondiale des systèmes d'information et de communication a connu une accélération fulgurante au cours des deux dernières décennies. Elle a entraîné un bouleversement profond des pratiques sociales, économiques et politiques des sociétés humaines, plus important encore que les ruptures engendrées par l'invention de l'écriture et de l'imprimerie, et qui transforme également en profondeur l'environnement stratégique et la manière dont les grandes puissances se mesurent et s'affrontent désormais. Dans ce numéro, nous avons choisi d'introduire la notion tout juste émergente de datasphère, qui englobe dans un même concept les enjeux stratégiques liés au cyberespace et plus généralement à la révolution numérique. Elle permet de mieux appréhender les défis présents et à venir d'un monde à la dépendance croissante aux technologies et aux données numériques, et de plus en plus gouverné par les algorithmes et l'intelligence artificielle, dont la puissance promet d'être démultipliée par l'ordinateur quantique. Ce numéro réunit – entre autres – un grand nombre d'auteurs issus de l'équipe du projet Géopolitique de la datasphère (), un centre de recherche et de formation dédié à l'étude des enjeux géopolitiques et stratégiques de la révolution numérique, porté par l'équipe de l'Institut français de géopolitique de l'université Paris 8.The digital revolution, an offspring of the massive adoption of information technologies and of the global interconnexion of information and communication systems, has fast accelerated over the last two decades. It has provoked a profound disruption of social, economic, and political practices in our human societies that has proven more far-reaching than the invention of writing and printing ; it has also grandly changed the strategic environment and the way powerful countries measure and confront each other today. We have decided to introduce the notion of datasphere in this issue, as it covers – in one notion – the strategic issues pertaining to cyberspace, and more largely the different dimensions of the digital revolution. It more forcefully apprehends the current and coming concerns linked to the interconnection of digital technologies and data in a world increasingly governed by algorithms and artificial intelligence – the power of both being augmented by quantum computing. Here, we have brought together, among others, a number of researchers working for the Geopolitics of Datasphere project (), a research and training center dedicated to geopolitical and strategic issues related to the digital revolution and led by a team from the French Institute of Geopolitics, at the University Paris 8.
- Gouvernance numérique et changement climatique - Stéphane Grumbach p. 17-31 La révolution numérique se diffuse dans des sociétés désormais confrontées aux défis d'une évolution défavorable de l'environnement global. Cette contemporanéité n'est probablement pas fortuite. Le numérique est incontournable pour comprendre les écosystèmes et prédire leur évolution. Il joue également un rôle essentiel pour parvenir à une plus grande frugalité de l'usage de certaines ressources en vue de réduire l'empreinte des activités humaines. Dans le même temps, une forme de gouvernance numérique se fait jour, reposant sur une capacité de contrôle des individus intrusive et continue, avec des objectifs sécuritaires, financiers, et de plus en plus de transition écologique. Le cadre éthique et politique de cette évolution est à ce jour rudimentaire, mais on voit poindre des représentations originales de la nature et de la technologie dans l'anthropocène dans certains pays d'Asie qui pourraient avoir une influence globale sur les formes de la gouvernance numérique.The digital revolution is spreading in societies now facing the challenges of an unfavorable evolution of the global environment. This contemporaneity is probably no coincidence. The digital is essential for understanding ecosystems and predicting their evolution. It also plays a major role in achieving greater frugality in the use of certain resources in order to reduce the footprint of human activities. At the same time, a form of digital governance is emerging, based on an intrusive and continuous ability to control individuals, with security, financial and increasingly ecological transition objectives. The ethical and political framework of this evolution is still rudimentary, but original representations of nature and technology in the Anthropocene are emerging in certain Asian countries, which could have a global influence on the forms of digital governance.
- Cartographier un angle mort : la surprise stratégique des opérations informationnelles russes sur les réseaux sociaux en 2016 - Camille François, Herbert Lin p. 33-57 Malgré plusieurs années de préparation aux cyberattaques contre les infrastructures vitales et contre les forces militaires américaines, il est clair désormais que les intentions de la Russie et les détails de son opération d'influence lors de la campagne présidentielle américaine de 2016 sont restés dans l'angle mort du gouvernement américain et de la Silicon Valley. Cet article s'intéresse à cet angle mort et à la vision occidentale, centrée sur la technologie, qui y a conduit. Les auteurs sillonnent trois champs d'étude offrant des contributions importantes à la compréhension des opérations informationnelles sur les réseaux sociaux : l'étude des cyber-conflits et de la cybersécurité, l'étude de l'Internet et de la société, et la recherche sur le contrôle de l'information au sein des travaux sur les droits de l'homme. Chacun de ces domaines conceptualise le cyberespace différemment, mais une théorie unifiée des opérations informationnelles sur les réseaux sociaux va devoir combler ces fossés conceptuels pour trouver sa juste place.Despite many years of preparation for cyber attacks against US critical infrastructure and military forces, it is obvious in retrospect that the US government and the cybersecurity industry had a major blind spot regarding information operations on social media and in understanding Russian intentions and actions in her influence campaign against the US presidential election of 2016. This article addresses this strategic blind spot and the techno-centric Western approach to cybersecurity that led to it. The authors explore three fields contributing essential insights for the understanding of information operations on social media : cyber conflict and cybersecurity studies, Internet and Society studies, and the Information Controls literature within the human rights scholarship. Each of these fields conceptualizes cyberspace differently, but a theory of information operations on social media will have to bridge these conceptual gaps to emerge.
- Populisme, propagande et politique : les réseaux sociaux au cœur de la stratégie électorale de Narendra Modi - Maya Mirchandani p. 59-76 Les médias jouent un rôle essentiel dans les démocraties. Ils informent le public et servent de garde-fou face aux abus du pouvoir. Lors d'une campagne électorale, les médias fournissent l'information nécessaire sur les candidats, leurs performances électorales et leurs manifestes politiques. Mais l'expansion rapide des réseaux sociaux offre une concurrence sérieuse aux médias traditionnels. Ils influencent en effet la conduite et la communication des affaires politiques. Les réseaux sociaux permettent aux politiciens de communiquer directement avec le public, à moindre coût et avec une portée plus large que les méthodes écrites et radiotélévisées traditionnelles. Le parti Bharatiya Janata au pouvoir, et son premier ministre Narendra Modi, a perfectionné l'utilisation des technologies numériques. Aidés par des données mobiles abordables et une armée d'abonnés sur les réseaux sociaux, ils ont utilisé les réseaux pour renforcer le programme politique nationaliste hindouiste du parti et la polarisation du débat politique. Cet article s'attarde tout d'abord sur cette utilisation des réseaux sociaux par le parti pour promouvoir son message politique. Ensuite, il cherche à montrer comment les algorithmes renforcent les biais publics et bloquent l'émergence de débats informés sur le développement du pays et sur sa gouvernance. Finalement, les réseaux sociaux permettent d'opposer des communautés ethniques, religieuses et idéologiques entre elles.The media plays a vital role in a democracy. It informs the public and acts as a watchdog against any abuse of power. During election campaigns, the media provides information on electoral performance, political manifestoes and candidates. However, the prolific spread of social media poses a serious challenge to mainstream media in the way it impacts how politics is both propagated and conducted. Rather than news offered through traditional print and broadcast platforms, social media gives politicians a method to connect directly with the national public at a reduced cost and often greater reach. India's ruling party, the Bharatiya Janata Party and Prime Minister Narendra Modi have perfected the use of the digital space to an art form. Cheap mobile internet data, and an army of social media followers have helped the ruling party fuel polarizing political debates and serve the party's majoritarian, Hindu nationalist political agenda. This paper aims to examine the use of social media by India's ruling party to promote its message, and analyse how algorithms reinforce public bias and obfuscate informed debate on development and governance by pitting communities against each other along ethnic, religious and ideological lines.
- Cartographier la propagation des contenus russes et chinois sur le Web africain francophone - Frédérick Douzet, Kévin Limonier, Selma Mihoubi, Élodie René p. 77-99 La Russie et la Chine ont développé des stratégies d'influence informationnelle au cours de la dernière décennie et déploient désormais leurs vecteurs sur le continent africain. Moscou comme Pékin ont implanté leurs médias internationaux en Afrique afin de diffuser des discours favorables autour de leur présence et de leurs activités sur le continent. Par ailleurs, les contenus informationnels de ces deux États sont repris et rediffusés par des relais africains en ligne, permettant une propagation de plus en plus importante des messages et représentations véhiculés par la Chine et la Russie à travers leurs médias. À quel point l'influence informationnelle de ces deux pays est-elle efficace sur le continent africain et comment cartographier ses vecteurs et relais ? Cette étude propose une méthodologie permettant d'identifier les acteurs du Web qui reprennent les contenus chinois et russes, ainsi qu'une analyse des stratégies d'influence des opinions publiques de ces États à destination de publics africains.Russia and China have developed informational influence strategies over the past decade and are now deploying their vectors on the African continent. Both Moscow and Beijing have implanted their international media in Africa in order to broadcast positive speeches about their presence and activities in the continent. In addition, the informational content of these two states is rebroadcasted by online African relays, allowing for an increasing spread of the messages and representations conveyed by China and Russia through their media. How effective is the informational influence of these two countries on the African continent and how to map its vectors and relays ? This study proposes a methodology to identify web actors who spread Chinese and Russian content, as well as an analysis of the public opinion influencing strategies led by these states for African audiences.
- Normalisation et domestication de la désinformation numérique : les opérations informationnelles d'interférence et d'influence de l'extrême droite et de l'État russe en Europe - Martin Innes, Daniel Grinnell, Helen Innes, Darren Harmston, Colin Roberts p. 101-123 Cet article présente le processus de normalisation et de domestication de l'utilisation de la mésinformation et de la désinformation numériques dans les campagnes électorales en Europe. Plus précisément, notre analyse retrace l'influence des innovations associées aux techniques numériques d'ingénierie de l'influence portées par des groupes de l'extrême droite et des agences liées au Kremlin. À l'aide de ressources conceptuelles et empiriques, nous présentons les similitudes et les différences entre les programmes et les intérêts de ces deux groupes d'acteurs.This article contends that there has been a process of normalizing and domesticating the use of digital misinformation and disinformation in the conduct of political campaigning in Europe. Specifically, the analysis traces the influence of innovations associated with the digital influence engineering techniques pioneered by far-right groups and agencies linked to the Kremlin. Marshalling a range of conceptual and empirical resources, the discussion shows how there are areas of alignment and differentiation in the agendas and interests of these two groups.
- #AffaireBenalla : déconstruction d'une polémique sur le rôle de la communauté Twitter « russophile » dans le débat politique français - Colin Gérard, Guilhem Marotte p. 125-147 Au mois d'août 2018, la Russie est soupçonnée d'avoir amplifié la controverse provoquée par l'affaire Benalla via l'activité générée par ses médias internationaux RT et Sputnik sur Twitter. Cette polémique, provoquée par la récupération politique et médiatique d'une étude publiée par l'ONG EU DisinfoLab, illustre l'émergence d'un paradigme sur la capacité de la Russie à manipuler l'opinion publique d'États tiers grâce à la stratégie d'influence qu'elle déploie sur les réseaux sociaux depuis le début de la décennie. L'article propose de déconstruire cette polémique grâce à une approche critique de données récoltées sur Twitter.During the summer of 2018, Russia was suspected of having amplified the controversy caused by the Benalla affair through the activity generated on Twitter by its international media RT and Sputnik. This polemic, provoked by the political hijacking of a study published by the NGO EU DisinfoLab, illustrates the emergence of a new paradigm in Russia's ability to manipulate the public opinion of foreign countries thanks to its digital activities. The article proposes to deconstruct this controversy through a critical approach of data collected on Twitter.
- Le cloud computing : de l'objet technique à l'enjeu géopolitique. Le cas de la France - Clotilde Bômont, Amaël Cattaruzza p. 149-163 L'utilisation du cloud computing ne cesse de croître depuis le début des années 2000, et la technologie est aujourd'hui communément adoptée par les acteurs privés et publics. Au travers du cas de la France, cet article montre comment l'informatique en nuage a progressivement été prise en compte par les pouvoirs publics, et comment s'est forgée en quelques années une stratégie d'utilisation et de développement de cet objet, intégrant les différentes dimensions (techniques, économiques, politiques, juridiques, etc.) qu'il revêt. Ce processus de politisation d'une technologie, avec ces errements, ses avancées et ses reculs, est analysé ici à travers l'évolution des représentations qu'en ont eues les acteurs publics au cours de la dernière décennie.The use of cloud computing has been steadily growing since the beginning of the 2000's. Nowadays, the technology is commonly adopted both by private and public actors. Through the case of France, this article shows how cloud computing has gradually been considered by public authorities, and how a strategy for using and developing this object has been built over the years. It analyzes how the technical, economic, political and legal dimensions of cloud computing have been integrated into the strategic thinking. This politicization process of a technology, with its errors, its advances and its setbacks, is analyzed here through the evolution of the representations that public actors have had of it over the last decade.
- La transformation numérique du ministère des Armées - Arnaud Coustillière p. 165-177 La révolution numérique en cours est un puissant moteur de transformation et d'accélération de la performance pour toute grande organisation. Le ministère et les armées ont résolument pris le tournant et saisi cette opportunité pour demeurer à la pointe des meilleures technologies et pratiques. Cette transformation vise, au travers de nouveaux usages, à s'approprier rapidement et dans les meilleures conditions les technologies émergentes, pour générer des ruptures dans les pratiques, les organisations et les modes de travail ou d'action. La donnée numérique est au centre de ces enjeux. Il est nécessaire d'apprendre à mieux la traiter, la sécuriser au niveau national, la stocker à travers le cloud notamment et la partager au bénéfice de l'action globale des armées en opérations et dans le fonctionnement quotidien du ministère des Armées. En tant que pilier de la confiance, l'identité numérique est un autre enjeu d'importance pour l'État. Son déploiement, sa sécurisation et sa viabilisation sont en effet indispensables à la généralisation des démarches dématérialisées. Toujours dans le cadre de l'ambition numérique du ministère, la souveraineté numérique s'exprime par la volonté du ministère d'amplifier les capacités de développements rapides. Au-delà de la technologie, il s'agit aussi de s'attacher de nouveaux talents d'innovateurs et d'injecter agilité et attractivité dans les métiers numériques du ministère.The ongoing digital revolution is a powerful driver for transforming and accelerating performance for any large organization. The ministry of Defense and the armed forces have taken the turning point and seized this opportunity to remain at the forefront of the best technologies and practices. Through new uses, this shift aims to appropriate quickly and under the best conditions emerging technologies, to generate breaks in practices, organizations and work or action methods. Digital data is at the center of these issues. It is necessary to learn how to better treat it, secure it at the national level and share it for the benefit of the global action of the armed forces in operations and in the daily work of the MoD. As a pillar of trust, digital identity is another important issue for the state. Indeed, its deployment, its security and its sustainability are essential to the generalization of dematerialized processes. Still within the framework of the ministry's digital ambition, digital sovereignty is express by the Ministry's will to boost its capacity for rapid development. Beyond technology, it is also about attracting new talents as innovators and injecting agility and attractiveness into the ministry's digital trades.
- Souveraineté numérique et autonomie stratégique en Europe : du concept aux réalités géopolitiques - Didier Danet, Alix Desforges p. 179-195 Conceptuellement distinctes mais très étroitement imbriquées les deux notions de souveraineté numérique et d'autonomie stratégique numérique renvoient à la volonté des acteurs politiques et économiques européens de conserver la maîtrise de leur destin dans l'espace numérique. Il s'agit pour les États membres et pour l'Union européenne de se doter d'une capacité autonome d'appréciation, de décision et d'action afin d'exercer leur souveraineté. Cette question suscite un intérêt croissant en Europe et l'article se propose d'en examiner tout à la fois le sens géopolitique et les conditions de réalisation économique et industrielle.There is a growing interest in Europe for the concepts of “digital sovereignty” and “strategic autonomy in cyberspace”. Although their meanings are different, they are closely linked and both refer to the will of European political and economic actors to maintain their autonomy in their strategic decision process. For the European states, it involves acquiring an autonomous capacity of appreciation, decision and action in order to exercise their sovereignty. This article sets out to examine both the geopolitical meaning and challenges of this strategic goal and the industrial conditions of its achievement.
- Trump contre Huawei : enjeux géopolitiques de la 5G - Kavé Salamatian p. 197-213 Le 15 mai 2019, le président des États-Unis signait un ordre exécutif sur la « sécurisation des technologies de l'information et la communication et de la chaîne logistique ». Cette initiative constitue une étape significative dans l'escalade de la guerre commerciale à laquelle se livrent les États-Unis et la Chine depuis janvier 2018. Mais d'autres considérations stratégiques entrent en jeu. Durant l'année 2018 et 2019, les États-Unis ont appuyé de tout leur poids sur leurs alliées pour qu'à leur tour ils prennent des décisions d'interdiction similaires, particulièrement à l'encontre de l'entreprise Huawei. L'interdiction de Huawei aux États-Unis doit se comprendre dans le cadre de la transition technologique des réseaux mobiles de la quatrième génération (4G) vers la cinquième (5G), dont les enjeux sont à la fois géopolitiques, technologiques et économiques. L'objectif de cet article est d'analyser le cas Huawei par une approche cyberstratégique et, par ce biais, d'étudier les tenants et aboutissants de la question hautement stratégique des infrastructures critiques.On May 15, 2019, the President of the United States signed an executive order on “securing information and communications technology and the supply chain.” This initiative is a significant step in the escalation of the trade war between the United States and China since January 2018. But other strategic considerations come into play. During 2018 and 2019, the United States have pressed their allies with all their weight in order for them to take similar prohibition decisions, particularly against the Huawei company. Huawei's ban in the United States must be understood in the context of the technological transition from the fourth (4G) to the fifth generation (5G) of mobile networks, the challenges of which are both geopolitical, technological and economic. The objective of this article is to analyze the Huawei case using a cyberstrategic approach and, through this, to study the ins and outs of the highly strategic question of critical infrastructures.
- Les enjeux de la neutralité du Net aux États-Unis - Charlotte Escorne p. 215-234 Fin 2017 la Federal Communication Commission (FCC) a supprimé le principe de neutralité du Net aux États-Unis. Sa suppression donne la possibilité aux fournisseurs d'accès à Internet (FAI) de favoriser, ralentir ou bloquer certains types de contenus sur Internet. Après de nombreuses mobilisations, des États ont porté plainte contre la FCC et/ou ont fait passer des ordres exécutifs pour rétablir ce principe dans leurs États. Un acte de réexamen a été lancé au Congrès.Notre objectif est de comprendre quels sont les enjeux de la neutralité du Net aux États-Unis, et plus particulièrement en Californie, berceau d'Internet et de l'industrie de la tech. Quelles raisons motivent ses détracteurs et ses défenseurs, quelles stratégies sont mises en place par chaque parti pour défendre ses positions, quelles représentations chaque parti se fait des enjeux autour de la neutralité du Net, et enfin quels mécanismes sont cachés derrière la défense ou la mise à mort de cette dernière, dans un monde qui tend à devenir entièrement numérique ?On 14th of December of 2017, the Federal Communication Commission (FCC) has cancelled Net neutrality in the United States. The suppression of this principle allowed the Internet Service Providers (ISP) to favor, slow down or block some online content going through their cables. Many mobilizations took place right after, as some federal states filed a complaint against the FCC, which passed a federal law to restore Net neutrality and a congressional review act is in the works regarding Net neutrality. The goal of this final dissertation is to shed some light on the issues around Net neutrality in the United States especially in California, birthplace of the Internet and of the tech industry. We will try to understand why there is such division about this topic, which we will do by figuring out who are the main actors, what strategies are in place and, finally, we will see how people see Net neutrality and what it means for them, what is secretly at play when it comes to Net neutrality, and what it entails for a world becoming more digital every day.
- La place des logiciels libres et open source dans les nouvelles politiques du numérique en Russie - Marie-Gabrielle Bertran p. 235-252 À partir du mandat de Dmitrij Medvedev à la tête de la Fédération de Russie, entre 2008 et 2012, le gouvernement russe s'est tourné vers la mise en place d'une économie du numérique ayant pour but de devenir un secteur de compétitivité et un outil de rayonnement majeur du pays sur le marché international.Cependant, les révélations d'Edward Snowden en 2013 ont justifié l'engagement du gouvernement russe pour le développement d'un marché des technologies domestiques, revendiquant la nécessité d'assurer la souveraineté numérique du pays contre la dépendance à des entités extérieures (en particulier les entreprises domiciliées aux États-Unis, dépendantes des autorités du pays).Ces nouvelles orientations ont amené les autorités russes à envisager de nouveaux modes de développement et de nouveaux standards pour le marché intérieur du numérique, en particulier dans le cadre des marchés publics, afin d'assurer le plus rapidement possible l'indépendance technologique du pays (d'ici à 2020 dans le cadre du « Programme d'État pour une société de l'information 2010-2020 » adopté en novembre 2010 ; puis à 2030, avec le « Programme d'État pour une société de l'information 2017-2030 »).Les solutions libres et open source se sont alors imposées grâce à leur code source ouvert, qui assure la faiblesse de leur coût d'exploitation et la possibilité de contrôler leur fonctionnement.When Dmitri Medvedev began his presidency in 2008 (and until 2012), the Russian government chose to promote the development of a new digital economy, with the idea that it would become a competitive sector and a tool for the external power of the country on the international market.However, in 2013, Edward Snowden's revelations happened to justify the interest of the Russian government in the development of a strong, diversified digital industry in the internal market, through the claim that it was necessary to ensure the digital sovereignty of the country against its dependency on external entities especially to the authorities and digital companies in the United States.This new tendency brought the Russian authorities to examine new kinds of development and new standards for the internal digital market, especially regarding the regulation frame of the public market, in order to ensure, as soon as possible (before 2020, in accordance with the “State Program for an information society 2010-2020” ; and then, before 2030, with the “State Program for an information society 2017-2030”), the technological independence of the country.In this regard, free and open-source software appeared as a practical solution, since its open (publicly readable) code ensures low exploitation costs and the possibility to control its functions.
- Cryptomonnaies et puissance de calcul : la Sibérie orientale, nouveau territoire stratégique pour la Russie ? - Hugo Estecahandy, Kévin Limonier p. 253-266 À travers le cas de la Sibérie orientale, cet article montre comment émerge une nouvelle industrie russe de minage de cryptomonnaies. Cette industrie constitue pour la Russie un enjeu stratégique majeur, en ce qu'elle permet au pays de disposer de capacités de calcul toujours plus importantes et constitue un potentiel catalyseur d'innovations, notamment dans le domaine du chiffrement. La Sibérie orientale constitue un point de concentration des industries du minage en Russie, car la région bénéficie de divers avantages géographiques, climatiques, économiques et politiques uniques au monde. La région d'Irkoutsk, et plus particulièrement les fermes géantes de Bratsk et Oussolie-Sibirskoïe, sera ici étudiée afin de montrer comment le minage de cryptomonnaie influence les rapports de force politiques et économiques, notamment via l'intérêt que les élites locales manifestent pour cette activité très lucrative. Ces transformations locales à l'œuvre en Sibérie orientale sont susceptibles de préfigurer de changements de plus grande ampleur à l'échelle du pays.This article studies the emergence of a new Russian crypto-mining industry through the prism of Eastern Siberia. This is a major strategic industry for the country as it provides her with an ever-growing calculation power and fosters potential innovations – in encryption especially. The crypto-mining industry has noticeably coalesced in Eastern Siberia as the region offers a series of geographic, climatic, economic and political advantages the magnitude of which is hard to find anywhere else in the world. The article focuses on the oblast that surrounds Irkutsk, and notably the giant farms in Bratsk and Usolye-Sibirskoye, and shows how crypto-mining influences the political and economic balance of the region, especially as the local elite vies for a stake in this lucrative activity. Ultimately, these local changes in Eastern Siberia are susceptible to announce larger transformations in the country.
- « E-Estonie » : le « nation-branding » numérique comme stratégie de rayonnement international - Léa Ronzaud p. 267-280 Dès le début des années 2000, l'Estonie s'est fait connaître pour la numérisation précoce et avant-gardiste de ses services gouvernementaux, connectant tout le pays et ses institutions. Après avoir été frappé par des cyberattaques d'ampleur nationale en 2007, le pays a très vite capitalisé sur ces événements pour se développer et s'affirmer en tant que puissance en matière de cybersécurité et de cyberdéfense. En incluant l'innovation technologique, la cybersécurité et la cyberdéfense dans sa stratégie de nation-branding, c'est par la visibilité médiatique lié à ces domaines que le pays a conservé sa place de leader mondial dans ces domaines, aidé par la menace hybride que représente la Russie dans le cyber mais aussi dans l'espace physique. Malgré plusieurs avancées disruptives dans ces domaines, la course à l'innovation estonienne commence à montrer ses limites, qu'elle soit liée à l'état embryonnaire de certaines technologies ou à des effectifs humains limités.Estonia became a key actor in digital governance at the beginning of the 2000's after it launched its governmental services online to become a digitalized country. After suffering cyberattacks that targeted the Estonian state in 2007, the country worked on building its reputation as one of the most capable nations in the areas of cyber security and cyber defense. Estonia used these attacks and the mediatic turmoil that followed to secure its position as an innovative country by including cyber defense, cybersecurity and digital governance in its nation branding strategies. Betting on disruptive technologies, innovative processes and using the hybrid threat Russia represents, Estonia succeed at becoming one of the most known cyber nations. However, the country soon got caught in an innovative race, forced to be one step ahead the international community in order to safeguard its leading position despite workforce restrictions and the infancy of potential new technologies to bet on.
- Le cyberespace israélien, un enjeu de puissance - David Amsellem p. 281-296 Depuis quelques années, Israël est parvenu à développer des outils particulièrement redoutables dans le domaine du cyberespace, qu'il s'agisse de virus informatiques, de systèmes d'espionnage ou de protocoles en cybersécurité. Cela a permis à l'État hébreu de devenir un acteur incontournable du secteur, à l'image des conférences annuelles qu'il organise depuis près de dix ans où s'y rencontrent les grands acteurs politiques, militaires et économiques internationaux.Néanmoins, l'étude du secteur cyber israélien est trop souvent abordée sous l'angle économique, lequel est consacré aux levées de fonds privés des start-up israéliennes et à leurs innovations technologiques pour le domaine civil. Celui-ci soulève pourtant d'importantes questions géopolitiques et relève d'enjeux de puissance qui font l'objet d'une réflexion stratégique permanente au plus haut sommet de l'État.Israel has been able to develop particularly redoubtable tools for cyberspace over the past couple of years, from computer viruses to spying systems and cybersecurity protocols. It has allowed the Hebrew state to become an unavoidable actor in the field, having organized annual conferences, that bring together leading international political, military and economic actors of cyberspace, for nearly ten years.That said, previous research on the cyber sector in Israel has relied too heavily on economic data, from the private capital raised by Israeli startups to the technological innovations in the civil sector. And yet, that sector raises a number of significant geopolitical questions pertaining to power issues that are the subject of an intense and permanent strategic thinking at the higher ranks of the Israeli state.
- Comment la Chine projette de devenir une cyber-puissance - Rogier Creemers p. 297-311 L'objectif de devenir une « cyber-puissance majeure » a été élevé au rang de priorité absolue par les autorités chinoises et est l'un des principes organisateurs de leur politique intérieure et étrangère dédiée au numérique depuis 2014. Mais comment cette cyber-puissance est-elle abordée par la Chine ? Comment perçoit et définit-elle la puissance dans le domaine numérique, et comment cherche-t-elle à l'utiliser ? Cet article utilise un corpus de documents politiques, réglementaires et légaux chinois pour y répondre. La vision chinoise de la cyber-puissance est influencée par une série de développements politiques internes au pays et par son inquiétude vis-à-vis des États-Unis, qui représentent une menace potentielle. En pratique, l'adoption de cette définition a eu des résultats mitigés : si la puissance et l'assurance de la Chine en sortent renforcées à l'intérieur du pays, notamment dans sa capacité à rattraper son retard technologique, son activité diplomatique demeure infructueuse.Since 2014, becoming a “major cyber power” has been a high-priority objective for China's leadership, acting as an organizing principle for both domestic and foreign policymaking on digital affairs. But what does it mean to be a cyber power from the Chinese perspective ? How does China perceive and define notions of power in the digital realm, and how does it seek to operationalize them ? This article will review these questions on the basis of the growing corpus of Chinese policy, legal and regulatory texts. It argues that China's view of cyber power is deeply influenced by combining Chinese domestic development policy with growing concern about the potential threat posed by the United States. Moreover, this article reviews to what extent China has realized its own definition of power, finding that the picture, thus far, remains highly uneven : where China acts with growing strength and confidence domestically, particularly in the catch-up of specific kinds of technology, its diplomatic engagement remains lacking in effect.
- Cyber opérations offensives et réaffirmation de l'hégémonie américaine : une analyse critique de la doctrine de Persistent Engagement - Stéphane Taillat p. 313-328 La publication par l'administration Trump de doctrines et de stratégies offensives pour les opérations numériques illustre une inflexion des représentations et des dispositifs de ce domaine. L'analyse de l'approche de Persistent Engagement du Cyber Command permet de saisir cette inflexion et d'en comprendre les logiques. Inscrit dans un consensus autour de la nature de la menace et des moyens d'y faire face, Persistent Engagement doit s'interpréter à l'aune des logiques politiques et bureaucratiques favorisant la reconnaissance des opérations cyber offensives. Néanmoins, cette posture de projection de puissance et de réaffirmation de l'hégémonie américaine n'est pas sans poser question au regard des objectifs de la sécurité nationale des États-Unis et de la stabilité internationale dans le cyberespace. Cet article entend donc contribuer à l'explication et à l'interprétation des représentations et des pratiques contemporaines en matière de cyberdéfense afin d'en mesurer les effets probables.The publication by the Trump administration of doctrines and offensive strategies for cyber operations illustrates an inflection of representations and measures in this domain. The analysis of the Cyber Command's Persistent Engagement approach allows us to grasp this inflection and understand its logic. As part of a growing consensus on the nature of the threat and the means to deal with it, Persistent Engagement must be interpreted in the light of the political and bureaucratic logic favoring the acceptance of cyber-offensive operations. Nevertheless, this posture of projecting power and reaffirming American hegemony is not without risks regarding the pursuit of both American national security and international stability in cyberspace. This article therefore aims to contribute to the explanation and interpretation of contemporary representations and practices of cyberwarfare in order to assess their likely effects.
- Le cyberespace, ça sert, d'abord, à faire la guerre. Prolifération, sécurité et stabilité du cyberespace - Frédérick Douzet, Aude Géry p. 329-350 Le cyberespace a complètement révolutionné nos modes de vie, bouleversé nos économies et permis des progrès importants pour nos sociétés. Mais les bénéfices apportés par la révolution numérique sont désormais menacés parce que le cyberespace sert, d'abord, à faire la guerre. Cet article explore le dilemme sécuritaire auquel sont confrontés les États pour répondre aux défis du cyberespace et l'ambivalence de la notion de sécurité dans le cyberespace. Il montre comment, en l'espace d'une décennie, le cyberespace est devenu un champ de bataille et une priorité stratégique pour de nombreux États, les conduisant à se représenter le cyberespace avant comme une menace géopolitique pour la sécurité nationale, justifiant sa militarisation malgré la prise de conscience progressive du risque systémique lié à la prolifération des outils et des opérations offensifs. Ce dilemme sécuritaire, qui oppose une représentation de la menace cyber comme un risque géopolitique à celle d'un risque systémique, est au cœur des tensions dans les discussions multilatérales sur la régulation du cyberespace, dans lesquelles des acteurs non étatiques s'invitent par un foisonnement d'initiatives qui démontre à la fois l'importance des enjeux et la difficulté pour les États à les traiter.Cyberspace has completely revolutionized our ways of life, disrupted our economies, and allowed for important progress in our societies. But the advantages of the digital revolution are now threatened by the use of cyberspace for war purposes. This article explores the states' security dilemma as they face cyber challenges and the ambivalence of the notion of security in cyberspace. It highlights how, in ten years, cyberspace has become a battlefield and a strategic priority for many states that have represented it as a geopolitical threat for their national security, hence justifying its progressive militarization. Meanwhile, they have become cognizant to the systemic risk of proliferation of offensive cyber-tools and cyber-operations. This security dilemma – one that opposes a representation of cyber-threats as a geopolitical risk to that of cyberspace as a systemic risk – is at the heart of the multilateral negotiations on the regulation of cyberspace. There, a multiplicity of non-state actors has forced their way to the table through a multitude of initiatives that emphasize the importance of the challenges at stake and how difficult it will be for the states to face them.
- Glossaire - Alix Desforges p. 351-354
- Hérodote a lu - p. 355-359