Contenu du sommaire : (Re)Négocier la citoyenneté

Revue Cultures & conflits Mir@bel
Numéro no 127-128, hiver 2022-printemps 2023
Titre du numéro (Re)Négocier la citoyenneté
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  • Dossier

    • (Re)négocier la citoyenneté. Islam, immigration, mobilisations pour l'égalité : Introduction - Éric Savarese p. 7-17 accès libre
    • « On est devenus des experts de la laïcité ». Le légitimisme républicain inaudible de représentants musulmans - Margot Dazey p. 19-38 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      La laïcité est devenue en quelques années un des principaux axes de réaffirmation d'une grammaire républicaine, visant à reconfigurer les frontières nationales autour de l'adhésion des citoyens à un certain nombre de valeurs. Face à la résurgence d'une conception culturaliste de la citoyenneté, cet article s'intéresse à la façon dont certains responsables musulmans participent aux batailles sémantiques autour de la notion de laïcité. À partir d'une étude de cas des dirigeants de l'Union des organisations islamiques de France (devenus Musulmans de France en 2017), l'hypothèse est celle de l'élaboration d'une expertise sur la laïcité développée par ces dirigeants en réaction à la mise en accusation constante de leur loyauté républicaine. Cette expertise – qui se déploie sur le terrain du savoir technique et de la pédagogie tant à l'égard des coreligionnaires que du reste de la société – témoigne d'un effort (socialement marqué) de conformation aux attendus républicains. Elle s'accompagne d'une reformulation des principes laïques visant à faciliter la libre pratique de l'islam – reformulation légitimiste reflétant un idéal de pacification et de déconflictualisation des rapports sociaux mais qui se révèle inaudible dans l'espace public.
      Laïcité (French secularism) has become in a few years a main axis of reaffirmation of a republican grammar, reconfiguring national boundaries around citizens' adherence to certain values. In the context of a rising culturalization of citizenship, this article looks at the way in which certain Muslim leaders participate in semantic battles around laïcité. Based on a case study of the leaders of the Union des organisations islamiques de France (which became Musulmans de France in 2017), the hypothesis is that these leaders produce expertise on laïcité in reaction to constant questioning of their republican loyalty. This expertise – which implies the production of technical knowledge and pedagogical work with co-religionists and the broader society – testifies to a (class-laden) effort to conform with republican norms. It is accompanied by a reformulation of secular principles aimed at facilitating Islamic practices – a legitimist reformulation reflecting an ideal of pacification and deconflictualization of social relations but which proves inaudible in the French public space.
    • Le postcolonial comme moyen de mobilisation. Divergences stratégiques dans l'antiracisme en France - Roman Vareilles p. 39-58 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article propose une sociologie de l'espace antiraciste postcolonial en revenant sur les divergences stratégiques qui le traversent. À partir des cas du Mouvement de l'immigration et des banlieues et du Parti des indigènes de la République, l'étude des modes d'action et des usages de la référence coloniale donne à voir comment les rapports de concurrence et les carrières militantes orientent la structuration des mouvements antiracistes.
      This article proposes a sociology of the postcolonial anti-racist space by returning to the strategic divergences that cross it. Based on the cases of the Mouvement de l'Immigration et des Banlieues and the Parti des Indigènes de la République, the study of modes of action and uses of the colonial reference reveals how competitive relations and militant careers steers the structuration of anti-racist movements.
    • L'universalisme républicain à l'épreuve du politique : La contestation du statut de représentant des candidats minoritaires aux élections municipales - Samir Hadj Belgacem p. 59-79 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Le droit de vote comme de se faire élire compte parmi ceux qui sont supposés symboliser le mieux la citoyenneté politique en France. La vision universelle d'un citoyen tenu par ses engagements et ses liens avec la Nation chère à la théorie politique s'avère tenir difficilement l'épreuve des faits. L'égalité supposée des citoyens et l'existence légale des droits ne rend pas ces droits effectifs pour tous. En effet, la citoyenneté politique a été une conquête tardive et obtenue de haute lutte. Cet article interroge cette égalité théorique à la représentation politique à l'aune des expériences de discriminations et de stigmatisation des candidats appartenant aux fractions minoritaires des classes populaires lors des élections municipales. À partir d'une enquête ethnographique au long cours, il montre comment certains responsables associatifs, issus des familles immigrées des pays du Maghreb et d'Afrique Subsaharienne, qui se sont engagés aux élections municipales et se sont heurtés à la contestation de leur statut de candidat pouvant représenter l'ensemble des citoyens dans l'espace politique local. Les difficultés des candidats appartenant à des minorités ethnoraciales à contrôler les principes de représentation leur étant appliqués les conduisent à contester les logiques de représentation des intérêts des habitants des cités revendiqués par les cadres et militants de gauche. Au-delà de cette étude de cas, l'article cherche à montrer l'existence d'un universel « à géométrie variable » pour les candidats minoritaires pourtant engagés dans l'acte citoyen considéré comme le plus éminent, celui de la représentation politique.
      The right to vote and to be elected are among those that are supposed to best symbolize political citizenship in France. The universal vision of a citizen bound by his or her commitments and ties to the Nation, so dear to political theory, is proving difficult to put to the test. The supposed equality of citizens and the legal existence of rights does not make these rights effective for all. Indeed, political citizenship was a late and hard-won conquest. This article questions this theoretical equality of political representation in the light of the experiences of discrimination and stigmatization of candidates belonging to minority fractions of the working classes during municipal elections. Based on a long-term ethnographic survey, it reveals how certain associative leaders from immigrant families in the Maghreb and Sub-Saharan Africa who have run in municipal elections have come up against challenges to their status as candidates who can represent all citizens in the local political space. The difficulties of candidates belonging to ethno-racial minorities to control the principles of representation applied to them lead them to challenge the logic of representation of the interests of the inhabitants of the estates claimed by the left-wing managers and militants. Beyond this case study, the article seeks to show the existence of a «variable geometry» universal for minority candidates, even though they are engaged in what is considered the most eminent act of citizenship, that of political representation.
    • Être jeunes, musulmans et bruxellois : impact de la discrimination sur une identité ostracisée - Corinne Torrekens, Nawal Bensaid, Dimokritos Kavadias p. 81-100 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      En Belgique, comme en France, depuis 1989 et les premières affaires du port du foulard à l'école, il existe un débat public presque constant sur la place de l'islam et des personne de confession musulmane dans la société belge. Dans ce cadre, les jeunes musulmans occupent souvent une forme de survisibilité médiatique en tant que groupe dont l'identité est problématisée dans l'espace public (délinquance, émeutes, terrorisme, non-respect des règles du confinement). Dans cet article, nous nous appuyons sur le discours de 124 jeunes récolté lors de 16 entretiens collectifs et d'une vingtaine d'entretiens semi-directifs individuels. Nous montrons que la discrimination fait partie de la carte mentale des jeunes que nous avons interrogés, que celle-ci soit due à des expériences personnelles ou familiales ou qu'elle résulte de l'identification à un groupe perçu comme bafoué dans ses libertés fondamentales, en particulier dans le libre exercice public de sa religion. Nos données montrent également une identification forte en tant que musulman et musulmane, celle-ci n'étant pas exclusive d'autres types d'identifications simultanément revendiquées. Enfin, nous mettons en évidence les processus de réflexivité, d'appropriation et d'individualisation du croire ainsi que de négociation de certaines normes religieuses en cours au sein de la jeunesse musulmane bruxelloise.
      In Belgium, as in France, there has been an almost constant public debate on the position of Islam and Muslims within Belgian society ever since the first cases of headscarves in schools in 1989. In this context, young Muslims often experience a form of media over-visibility as a group whose identity is problematised in the public space (delinquency, riots, terrorism, lack of respect for the rules of lockdown). In this article, we draw on the discourse of 124 young people collected in 16 group interviews and some 20 semi-structured individual interviews. We show that discrimination is part of the mental map of the young people we interviewed, whether it is due to personal or family experiences or is the result of identifying with a group that is perceived as having been violated in its fundamental rights, particularly the free public exercise of its religion. Our data also shows a strong identification as a Muslim, which is not exclusive of other types of identifications claimed simultaneously. Finally, we highlight the processes of reflexivity, appropriation, and individualisation of belief, as well as the negotiation of certain religious norms underway among Muslim youth in Brussels.
    • Engagements militants tunisiens en exil entre « cause anti-régime » et « causes immigrées » - Mathilde Zederman p. 101-122 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      À partir de l'analyse croisée de mouvements politiques tunisiens antagonistes, islamiste et de gauche, exilés en France, cet article explore comment se redéploient et se recomposent les modes d'engagement pour des militants exilés et les structures associatives au travers desquelles ils agissent. Il compare la diversité des imbrications, voire des disjonctions, des modalités de luttes entre cause anti-régime et causes immigrées. Si les militants exilés tunisiens partagent une inscription de leur action sur le territoire français ainsi qu'une condition minoritaire en France, ces acteurs aux profils sociaux et ressources différenciés, et leurs organisations aux positions sociales et politiques plus ou moins légitimes, ne sont pas confrontés aux mêmes « règles du jeu » dans chaque espace militant. L'article montre que le continuum de l'engagement en contexte migratoire est central, mais doit aussi être relativisé à l'aune des rapports de pouvoir qui se révèlent et s'exacerbent dans l'imbrication de la cause anti-régime et des causes immigrées.
      Based on the cross-analysis of antagonistic Tunisian political movements – exiled Islamist and leftist movements in France – this article explores how exiled activists and the associative structures through which they act redeploy and recompose their modes of commitment. It compares the diversity of overlaps and disjunctions between anti-regime and immigrant struggles. If Tunisian exile activists share an inscription of their action on French soil as well as a minority condition in France, these actors with differentiated social profiles and resources, and their organizations with more or less legitimate social and political positions, are not confronted with the same ‘rules of the game' in each activist sphere. The article shows that the continuum of engagement in a migratory context is central. However, it must also be put into perspective in the light of the power relations that are revealed and exacerbated in the interweaving of the anti-regime and immigrant struggles.
  • Hors thème

    • Étudier les militaires pour comprendre l'humanitaire : Interprétations guerrières de l'aide par des soldats brésiliens en Haïti - Izadora Xavier do Monte p. 123-140 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article contribue à la sociologie militaire et les relations internationales à partir d'un cas d'utilisation des militaires pour la réalisation de tâches humanitaires : la participation des militaires brésiliens à l'opération onusienne de maintien de la paix en Haïti (MINUSTAH, 2004-2017. À partir de l'analyse de quarante entretiens semi-directifs avec des militaires brésiliens et de l'observation conduite dans la base militaire brésilienne, ainsi que dans les quartiers de Bel-Air et Cité Soleil en Haïti, cette étude montre que les militaires brésiliens reprennent l'interprétation de l'humanitaire inscrit dans le mandat des Nations Unies tout en insistant sur le caractère guerrier de l'opération. Cette interprétation guerrière a comme fondation les opérations de « lutte contre l'ennemi intérieur », caractéristiques de l'armée brésilienne depuis les années 1970, d'abord contre les guérillas urbaines contre la dictature, avant de devenir des opérations de « pacification urbaine » dans des quartiers à Rio de Janeiro.
      This article contributes to military sociology and international relations from the perspective of use of the military for humanitarian tasks: the participation of the Brazilian military in the UN peacekeeping operation in Haiti (MINUSTAH, 2004-2017. Based on the analysis of forty semi-structured interviews with Brazilian military officials and observation conducted in the Brazilian military base, as well as in the neighborhoods of Bel-Air and Cité Soleil in Haiti, this study shows that Brazilian military take up the interpretation of humanitarianism enshrined in the UN mandate while insisting on the warlike character of the operation. This warlike interpretation has its foundation in the «fight against the enemy within» operations, characteristic of the Brazilian army since the 1970s, first against urban guerrillas against the dictatorship, before becoming «urban pacification» operations in neighborhoods in Rio de Janeiro.