Contenu du sommaire : La méditation bouddhique et son acculturation en Asie
Revue | Revue de l'histoire des religions |
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Numéro | tome 239, no 4, octobre-décembre 2022 |
Titre du numéro | La méditation bouddhique et son acculturation en Asie |
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- La méditation bouddhique et son acculturation en Asie : Avant-propos - Kyong-Kon Kim p. 563-568
- Le prototype du sage antique et la figure construite du Buddha en dhyāna - Guillaume Ducœur p. 569-586 Les biographies traditionnelles du Buddha affirment que ce dernier serait passé par quatre degrés de contemplation (dhyāna) avant d'acquérir la triple science au moment de son éveil puis, plus tard, lors de son entrée dans l'extinction complète (parinirvā ṇ a). Pourtant, le terme dhyāna n'est guère attesté ni dans les quatre nobles vérités, ni dans l'octuple sentier, ni même dans la loi de production conditionnée, éléments de doctrine communs aux écoles bouddhiques anciennes. La présente contribution expose quelques éléments de réflexion sur la construction de la figure du « Buddha méditant » pour laquelle les hagiographes bouddhistes reprirent le prototype du ṛ ṣi antique de la tradition ṛgvédique, qui, par la capacité de sa pensée réflexive eut, le premier, la vision de l'ordre cosmique ( ṛ ta).The traditional biographies of the Buddha state that he passed through four states of contemplation (dhyāna), before attaining the three knowledges at the moment of his awakening, and then again, later, when he attained parinirvāṇa. However, there was never any use of the term “dhyāna”, whether it be in the Four Noble Truths, the Eightfold Path, or even in Conditioned Arising, doctrinal elements common to ancient Buddhist schools. The work presented here offers some reflections on the development of the “meditating Buddha” figure, for which Buddhist hagiographers drew on the prototype of the ancient ṛ ṣi of the Ṛgvedic tradition, who, through his capacity for deep reflection, was the first to have had a vision of the cosmic order ( ṛ ta).
- La méditation bouddhique sur la décomposition des cadavres dans l'art siamois - Dominique Le Bas p. 587-615 La pratique de la méditation bouddhique dite asubha-kamma ṭṭ hāna qui consiste à contempler des cadavres humains dans différents états de décomposition, encore pratiquée aujourd'hui en Thaïlande, est très peu représentée dans l'art siamois. Si les manuscrits, datant pour l'essentiel du xixe siècle, présentent rarement l'ensemble des dix méditations, une armoire à manuscrits du xviie siècle a fait, quant à elle, l'objet d'une décoration par la figuration de ces dix méditations bouddhiques, chacune d'entre elles accompagnée d'une légende explicative. Cette contribution vise à mettre en corrélation les sources textuelles bouddhiques de la tradition theravāda et les représentations des dix laideurs qui renvoient également, pour certaines, à des rites funéraires pratiqués au Siam.The practice of Buddhist meditation known as asubha-kamma ṭṭ hāna, which consists of contemplating human corpses in various states of decomposition, still practiced today in Thailand, is very little represented in Siamese art. Although the manuscripts, dating mainly from the 19th century, rarely present all ten meditations, a 17th-century bookcase was decorated with the ten Buddhist meditations, each accompanied by an explanatory caption. This contribution aims to correlate the Buddhist textual sources of the Theravāda tradition with the representations of the ten uglinesses, some of which also refer to funerary rites practiced in Siam.
- La cultivation de l'esprit-cœur d'après Chinul (1158‑1210) - Kyong-Kon Kim p. 617-647 Le moine bouddhiste Chinul demeure l'une des figures majeures dans l'histoire du bouddhisme coréen, en raison de sa synthèse conceptuelle des deux courants bouddhiques principaux à son époque, scolastique et méditatif, et de sa sotério-méthodologie plurielle, admises progressivement comme le modèle théorique et pratique à suivre au sein du sa ṃ gha bouddhique du pays du Matin calme. Cette contribution présente les pratiques méditatives préconisées par ce maître bouddhiste, avant d'examiner leur singularité, perceptible en tant qu'acculturation pragmatique opérée dans un contexte marqué par la contradiction entre l'idéal bouddhique et la réalité ambivalente du sa ṃ gha péninsulaire d'alors.The Buddhist monk Chinul remains one of the major figures in the history of Korean Buddhism, because of his conceptual synthesis of the two main Buddhist currents of his time, scholastic and meditative, and his plural soterio-methodology, which were gradually accepted as the theoretical and practical model within the Buddhist sa ṃ gha of the Land of the Morning Calm. This contribution presents the meditative practices advocated by this Buddhist master, before examining their singularity, perceptible as a pragmatic acculturation operated in a context marked by the contradiction between the Buddhist ideal and the ambivalent reality of the peninsular sa ṃ gha of that time.
- La notion du nembutsu chez Shinran (1173‑1262) - Shin Kimoto p. 649-678 Le présent article examine les rapports historiques entre les évènements de la vie de Shinran (1173‑1262) et la compréhension du nembutsu qu'il se faisait. Ainsi, la notion du nembutsu qu'il développa est replacée dans le contexte du concept fondamental de l'école Tendai implantée au Japon. À l'époque de Kamakura (1183‑1333), en effet, des moines à la pensée novatrice étudièrent dans cette école bouddhique pour ensuite la quitter. Leur motivation première fut de réaliser la nature de buddha qui, dans cette école, n'était considérée atteignable que théoriquement. Aussi Shinran répondit-il à cette question de l'inatteignabilité de la nature de buddha par une théorie novatrice selon laquelle le nembutsu permettrait à chacun d'accéder, sans condition, à cette même nature de buddha. Pour Shinran, cela signifiait qu'au moyen de la pratique la plus simple, à savoir le nembutsu, la délivrance de tous les êtres vivants pouvait être réalisée selon l'objectif premier de la doctrine bouddhique du mahāyāna.This paper examines the historical relationship between the events of Shinran's life (1173‑1262) and his understanding of nembutsu. The understanding of nembutsu that he developed is thus placed in the context of the fundamental concept of the Tendai School established in Japan. During the Kamakura period (1183‑1333), monks with innovative thinking studied in this Buddhist school before leaving it later. Their primary motivation was to realize the Buddha Nature, which in this school was regarded as attainable only theoretically. So Shinran responded to the question of the unattainability of the Buddha Nature with the innovative theory that the practice of nembutsu would enable everyone to attain the Buddha Nature unconditionally. For Shinran, this meant that the deliverance of all living beings could be achieved by means of the simplest practice, namely nembutsu, in accordance with the primary purpose of the Mahāyāna Buddhist doctrine.
- Pratiques et représentations du pèlerinage dans le Japon médiéval - Arnaud Brotons p. 679-695 Alors que la pratique du dhyāna semble tendre à résorber toutes les différences dans l'Un ultime, les courants issus de l'ésotérisme, du Tibet au Japon, inversèrent cette logique et élaborèrent un univers fondé sur un réseau de symboles capables de manifester le monde de l'éveil. Il en découla une géographie des lieux sacrés du Japon dont la nature secrète était consignée dans des « documents », kiroku. L'un d'eux, les Notes secrètes d'Ozasa, Ozasa hiyōroku (1465), dévoile le véritable sens du pèlerinage vers Kumano, haut lieu du syncrétisme shinto-bouddhique, comme une pratique d'éveil bouddhique. Deux paradigmes de la pratique semblent se dégager. Le premier, exprimé par la doctrine de l'éveil originel, hongaku, invite à dépasser toute dualité entre le pèlerin et le dieu vénéré. Le second, formulé par la métaphore de l'entrée dans la matrice et de la croissance de l'embryon, insiste sur la transformation et le cheminement.While the practice of dhyāna seems to resolve all differences in the Ultimate One, the esotericism schools, from Tibet to Japan, reversed this logic and developed a universe based on a network of symbols capable of manifesting the world of awakening. This led to a geography of sacred places in Japan, whose secret nature was recorded in «documents», kiroku. One of these, Ozasa's Secret Notes, Ozasa hiyōroku (1465), reveals the true meaning of the pilgrimage to Kumano, an important place of Shinto-Buddhist syncretism, as a practice of Buddhist awakening. Two paradigms of the practice seem to emerge. The first, expressed by the doctrine of original awakening, hongaku, invites one to go beyond any duality between the pilgrim and the venerated god. The second, formulated by the metaphor of the entry into the womb and the growth of the embryo, insists on the transformation and the journey.
- La méthode du kan huatou dans le bouddhisme chinois du xxe siècle - Daniela Campo p. 697-716 La méthode du kan huatou (« pénétrer le mot-clé ou la phrase critique ») représente l'un des nombreux exemples de sinisation du bouddhisme. Il existe de nombreuses études, tant sur la formulation de cette méthode et sa diffusion en Chine à partir du xiie siècle que sur sa fortune au Japon, au Vietnam et surtout en Corée, où elle est devenue la forme principale de méditation. Néanmoins, son héritage en Chine à l'époque moderne et contemporaine n'a jamais été considéré. Cet article revient d'abord sur l'histoire et le fonctionnement de la méthode du kan huatou, avant d'en montrer brièvement la continuité et l'importance en Chine au xxe siècle et jusqu'à aujourd'hui. La traduction annotée des instructions sur le kan huatou délivrées par le maître Xuyun (ca. 1864‑1959) en 1950 complétera cet aperçu en apportant un témoignage sur l'utilisation de cette méthode dans les monastères Chan.The kan huatou (“inspecting the critical phrase”) method of meditation represents one of the many examples of the sinicization of Buddhism. Many studies exist on the formulation of this method and its spread in China since the 12th century, as well as on how it fared in Japan, Vietnam and especially Korea, where it remains the main form of meditation to this day. However, its legacy in modern and contemporary China has never been considered. After outlining the history and functioning of the kan huatou method, this article will briefly show its continuity and importance in China in the 20th and 21st centuries. The annotated translation of the religious instructions on kan huatou delivered by Master Xuyun (ca. 1864‑1959) in 1950 will complete this overview by providing a first-hand account of the use of this method of practice in monasteries of the Chan tradition.