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Titre Marchés financiers, crédibilité et souveraineté
Auteur Frédéric Lordon
Mir@bel Revue Revue de l'OFCE (Observations et diagnostics économiques)
Numéro no 50, 1994 Revue de l'OFCE n°50
Page 103-124
Mots-clés (matière)marché financier monnaie politique économique souveraineté nationale théorie économique
Résumé La structure même de la décision financière de marché, par son jeu d'anticipations croisées et d'indétermination spéculaire, ouvre la possibilité de mouvements mimétiques et de prophéties auto-réalisatrices dont les produits sont marqués par l'arbitraire. Une croyance quelconque, aussi irrationnelle soit-elle, peut entrer dans la réalité du seul fait d'être collectivement partagée et validée. Conformément à un apologue désormais bien connu des économistes, si les opérateurs sont persuadés que la présence de taches solaires influence les cours à la baisse, une telle occurrence déclenchera des mouvements de vente qui ex-post valideront la croyance initiale. La maîtrise des techniques d'interventions déployées par les opérateurs ne doit alors pas masquer que leur rationalité n'est que conditionnelle, et qu'en amont de leur décision, la formation de leurs anticipations et de leur représentation du monde peut être d'une parfaite irrationalité. L'habillage de la décision par un discours qui veut prendre la forme du raisonnement économique n'est alors au mieux qu'une rationalisation légitimatrice. C'est au cœur d'une telle disposition que se logent les comportements les plus aberrants des marchés financiers. Ceux-ci peuvent en particulier prendre deux formes auxquelles on s'attache plus particulièrement dans cet article et qu'on qualifie respectivement de « paranoïaque » et de « machiavélique ». Dans la première forme, les inquiétudes liées à la préservation de la liquidité peuvent dégénérer en angoisse paranoïaque, où toute information est systématiquement interprétée en les termes les plus négatifs. Mais quand ils ne se laissent pas aller à leur humeur, les marchés sont aussi capables de projet. On interprète ainsi la crise monétaire du SME comme un affrontement proprement politique entre puissances financières et pouvoirs publics à propos du projet de construction européenne. Cette perspective éclaire alors d'un jour nouveau les problématiques de la crédibilité des politiques économiques. D'une part en tant qu'elle est l'expression d'une demande de tranquilisation, la crédibilité se présente comme une injonction virtuellement indéfinie. Une politique qui se propose d'apaiser l'angoisse de la liquidité en entrant dans sa logique et en satisfaisant les unes après les autres ses exigences apparaît alors comme une entreprise sans terme ni espoir. D'autre part on peut s'inquiéter de cette tutelle auto-dési- gnée que s'arrogent les marchés financiers sur les politiques économiques, surveillance qui ajoute l'illégitimité démocratique à l'ineptie fréquente des évaluations qu'elle dispense.
Source : Éditeur (via Persée)
Résumé anglais Financial markets, credibility, and sovereignty Frédéric Lordon The very nature of decisions on financial markets, characterized by crossed anticipations and specular indeterminacy, entails the possibility of mimetic movements and self-fulfilling prophecies, the outcomes of which may be quite arbitrary. Any belief, however irrational, may become a reality due to the sole fact of being collectively agreed. According to a tale now well known to economists, if financial investors are convinced that sunspots have a bearish influence, their occurring will entail sales movements which will ex post seem to confirm such a belief. The technical virtuosity of financial investors thus makes up only a conditional rationality : above their feed their decision-making the formation of their expectations and of their « views » on the world that feed their decision-making may be quite irrational. The rationalization of their decisions by a seemingly economically rational discourse is thus at best a search for legitimation. In such a structure are lying the most aberrant behaviors of financial markets. These behaviors may in particular appear under two forms and respectively labelled as « paranoiac » and « machiavelic ». In the firt case, the care for liquidity may degenerate into a paranoiac anxiety and lead to interpret systematically any news in the most negative way. When they are not driven by their mood, financial markets are also capable of making plans. In this line, the EMS crisis is interpreted as a genuine political confrontation between financial powers and governments around the European construction project. This perspective thus sheds a new ligth on the theme of the credibility of economic policies. On one hand, as the expression of a demand for definitive quietness, credibility appears as quasi indefinite injunction. An economic policy which intends to calm liquidity anxiety within its logic and to satisfy one after another all its demands would be endless and hopeless. On the other hand one may find worrying this self- nominated authority of financial markets on economic policies which is at the same time democratically illegitimate and frequently incompetent.
Source : Éditeur (via Persée)
Article en ligne http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ofce_0751-6614_1994_num_50_1_1375