Titre | Comment contrôler la vérité - Remarques illustrées par des assertions dangereuses et pernicieuses en tout genre | |
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Auteur | Gilles Fauconnier | |
Revue | Actes de la recherche en sciences sociales | |
Numéro | vol. 25, no. 1, 1979 | |
Page | 3-22 | |
Résumé |
Comment contrôler la vérité. Remarques illustrées par des assertions dangereuses et pernicieuses en tout genre La tendance à autonomiser un champ d'études et les domaines à l'intérieur de ce champ est particulièrement forte en linguistique structurale, classique ou générative, et en philosophie analytique. Il arrive que cette optique soit féconde par les idéalisations opératoires qu'elle autorise ; mais trop souvent elle impose un cadre conceptuel arbitraire et étroit, qui même lorsqu'il fournit une simulation formelle des phénomènes ne permet pas de dégager les véritables principes de leur organisation. Un domaine important où ces méthodes sont en évidence est celui des «actes de parole» : les philosophes fournissent une taxinomie de ces actes fondée sur leurs «conditions de félicité» sans se soucier en profondeur de leur contexte social et sans rendre compte des propriétés grammaticales de leurs réalisations, tandis que certains linguistes cherchent à aborder ces problèmes au moyen des outils dont ils disposent en syntaxe : règles transformation-nelles et représentations abstraites sous-jacentes. Nous montrons ici qu'en fait les principes en jeu ne sont pas étroitement linguistiques ou logiques mais portent plutôt sur la nature des actes symboliques et des rituels sociaux en général. Deux de ces principes qui gouvernent les rituels et leur évolution, l'Incorporation et la Réduction, interagissent de façon régulière avec l'usage de la langue pour produire la gamme des expressions «perfor-matives explicites» et rendent compte directement de leurs caractéristiques superficiellement paradoxales : forme grammaticale, conditions de vérité, non-performativité de menacer, insulter, etc., aspects sui-référentiels et auto-vérifiants. Il est important pour comprendre la grande variété de forces illocutoires que peut recevoir une même expression linguistique d'abandonner l'idée, implicite en théorie des modèles, de valeurs de vérité descriptives portant sur un monde statique. Au contraire, les valeurs de vérité des propositions liées aux actes de parole, quels qu'ils soient, sont socialement contrôlées et relativisées aux rituels eux-mêmes. Ainsi on n'a pas d'un côté des propositions et de l'autre des forces illocutoires qui leur seraient arbitrairement surimposées : la signification des expressions ne change pas, mais leur fonction sociale sera différente en vertu de l'interaction de cette signification avec les principes qui régissent le rituel. L'interprétation d'un énoncé est ainsi déterminée à la fois par ses caractéristiques linguistiques explicites et par des conventions sociales hautement structurées qui s'appliquent à la situation où il apparaît. Ce sont ces dernières que l'on a l'habitude de reléguer dans une «pragmatique» floue et capricieuse régie par le «bon sens» et «l'évidence». Nous empruntons aux Jésuites des XVIIe et XVIIIe siècles plusieurs textes sur la promesse, le mensonge et le parjure qui ont la propriété remarquable de respecter scrupuleusement les lois étroitement «linguistiques» de la signification tout en s'attaquant aux principes «pragmatiques» d'interprétation les plus communs : l'attaque portée à ces principes a paradoxalement pour conséquence de mettre en lumière les complexités et les exigences de leur organisation, appuyant notre thèse centrale d'une vérité contrôlée et relativisée. Source : Éditeur (via Persée) |
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Résumé anglais |
How to Control the Truth The tendency to accord autonomy to a field of study and to the various domains within this field is particularly strong in structural linguistics, both classical and generative, as well as in analytical philosophy. It is true that this perspective is fruitful with regard to the operational idealizations that it permits ; but too often it imposes an arbitrary and narrow conceptual framework, which, even when it furnishes a formal simulation of the phenomena in question, does not allow one to discover the real principles of their organization. A important domain where the methods associated with this approach are clearly in evidence is that of «speech acts». The philosophers provide a taxonomy of these acts based on their «conditions de félicité» without seriously concerning themselves with their social context and without accounting for the grammatical properties displayed in the performance of the acts. Certain linguists, for their part, attempt to tackle these problems using tools borrowed from the study of syntax : transformational rules and underlying abstract representations. In this article we show that the principles involved here are in fact not linguistic or logical in the strict sense, but bear rather on the nature of symbolic acts and of social rituals in general. Two of the principles governing rituals and their modifications, incorporation and reduction, interact in a regular fashion with linguistic usage, producing the gamut of «explicit performative» expressions. At the same time, they account directly for the superficially paradoxical characteristics of these expressions : grammatical form, truth conditions, non-performativity (as in the case of threats and insults, etc.), and the phenomena of self-reference and auto-verification. In order to understand the great variation in illocutionary force displayed by a single linguistic expression, we must abandon the idea (which is implicit in the theory of models) of descriptive truth values conceived as applying to a static world. To the contrary, the truth values of propositions which are linked to speech acts (whatever types of acts these may be) are social-ly controlled and relativized in the rituals themselves. Thus, one does not encounter propositions existing independently of the illocutionary forces that, supposedly, are arbitrarily superimposed upon them. In other words, the meaning of expressions does not change, but their social function differs by virtue of the interaction of this meaning with the principles governing the ritual. The interpretation of a statement is thus determined simultaneously by its explicit linguistic characteristics and by highly structured social conventions applicable to the situation in which the statement appears. It is precisely these conventions that are usually relegated to a fuzzy and capricious «pragmatic» realm ruled by «common sense» and «obviousness». In this regard, we examine several texts written by Jesuists in the seventeenth and eighteenth centuries which deal with promises, lies, and perjury. These texts are remarkable inasmuch as they scrupulously respect the narrowly «linguistic» laws of meaning while at the same time attacking the most common «pragmatic» principles of interpretation. Paradoxically, the attack launched against these principles brings to light the complexities and exigences of their organization, supporting our central thesis of the control and relativization of truth in linguistic pratice. Source : Éditeur (via Persée) |
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Article en ligne | http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1979_num_25_1_2620 |