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Titre L'invention du "troisième âge"
Auteur Remi Lenoir
Mir@bel Revue Actes de la recherche en sciences sociales
Numéro vol. 26, no. 1, 1979
Page 57-82
Résumé L'invention du troisième âge. Le découpage des âges et les définitions des pratiques légitimes qui leur sont associées tiennent à l'apparition d'agents spécialisés dans la prise en charge des générations. L'invention d'une nouvelle étape du cycle de vie venant s'intercaler entre la maturité et la vieillesse —«le troisième âge» — résulte pour une large part de la généralisation des systèmes de retraite et des modes de traitement collectif de la vieillesse qui lui sont liés. Alors qu'elle n'était réservée qu'à une certaine catégorie d'individus, non spécifiés sous le rapport de l'âge, les indigents, la gestion collective des «vieillards» tend à devenir la formule normale de l'entretien des personnes dorénavant qualifiées «d'âgées». L'institutionnalisation de l'entretien de la vieillesse s'est accompagnée de l'emploi de techniques bureaucratiques de gestion administrative et financière, de la formation d'agents permanents et spécialisés et simultanément de la production de taxinomies visant à désigner et à distinguer l'activité de ces organismes. La différenciation progressive des agents manipulant la vieillesse tient à la généralisation des systèmes de retraites à l'ensemble des catégories sociales. Les caisses de retraite ont été confrontées à des demandes de formes nouvelles de prise en charge et ont trouvé dans l'augmentation des fonds affectés, par leur intermédiaire, à l'entretien de la vieillesse, les moyens financiers d'y répondre. Ces fonds, qui se sont considérablement accrus avec l'apparition des caisses de retraite complémentaires, constituent l'un des enjeux qui sont au principe de la formation d'un champ relativement autonome d'agents en concurrence pour leur contrôle et leur gestion. La production de nouveaux services en faveur des «personnes âgées» et la représentation de la vieillesse qui lui est liée (la «vieillesse, une nouvelle jeunesse») résultent pour l'essentiel de cette lutte. La formation de ce champ et, corrélativement, la constitution de la vieillesse comme classe d'âge autonome dont les propriétés tiennent fondamentalement à l'avance en âge —«les personnes âgées»— ont pour conséquence d'occulter le fait que la définition de la vieillesse est l'objet de conflits entre les classes sociales, ce que rappelle l'histoire de la mise en place des modes de traitement collectif de la vieillesse réservés à l'origine aux classes populaires. L'apparition du «troisième âge» ne saurait cependant être réduite à une sorte de manipulation des besoins à laquelle concourraient l'ensemble des agents intéressés par l'entretien de la vieillesse; le développement et la précocité de la prise en charge des personnes âgées par des institutions spécialisées résultent de la transformation des rapports entre générations. Ces transformations ont, semble-t-il, affecté plus particulièrement les classes moyennes qui trouvent dans le «troisième âge» une sorte d'identité sociale et un débouché à leur besoin d'activités.
Source : Éditeur (via Persée)
Résumé anglais The Invention of the «Senior Citizen» The distribution into age-groups and the definitions of the legitimate practices associated with them follows the emergence of instruments specialized in the welfare of the different age-groups. The invention of a new stage in the life-cycle bridging maturity and old age «the third age»* - is to a large extent the resuit of the widespread development of Systems of retirement and the modes of collective treatment of old age which are linked to these. Whereas it was formerly only reserved for a certain category of individuals, indeterminate with respect to age —the destitute-the collective management of «old people» is tending to become the current formula for the maintenance of persons henceforth labelled «the elderly». The institutionalisation of the maintenance of old people was accompanied by the implementation of bureaucratic techniques of administrative and financial management, by the training of full-time specialized officers and at the same time by the production of classifications intended to designate and distinguish the area of activity of these different agencies. The progressive differenciation of the agencies handling the needs of old people is directly linked to the spread of retirement Systems to encompass ail social categories. Pension aid funds have had to face demands for new forms of welfare, and have been able, by increasing the funds held by them and allotted to the care of old people, to meet these demands financially. These funds, which have increased considerably with the emergence of supplementary pension funds, constitute one of the elements at stake which are at the root of the formation of a relatively autonomous field of agencies competing for their control and management. The production of new facilities catering for «the elderly» and the representation of old age which is associated with this («old age is a new lease of life») are essentially offshoots of this struggle. The formation of this field and, associated with this, the constitution of old age as an autonomous age-class whose properties are basically a function of advancing years i.e., «the elderly» — all these phenomena necessarily obscure the fact that the definition of old age is the object of conflicts between the social classes, a fact we are reminded of by the history of the setting up of modes of collective treatment of old people which initially catered for the working classes. The emergence «the third age» may not however be solely accounted for in terms of a manipulation of those needs competed for by the entire body of agencies concerned by the care of old people. The evolution of the maintenance of the elderly by specialized institutions, and the increasing earliness at which it takes place result from deep changes in the relations between generations. It would seem that these transformations affected more particularly the middle classes who find in the concept and functions of the «third age» a sort of social identity and an outlet for their need to fulfill certain activities. *«Troisieme âge» here translatee neutrally as «third age», corresponds to the earlier years of retirement, whether supported or not by a pension-assured income. The French formula corresponds to the Anglo-saxon formula «senior citizen».
Source : Éditeur (via Persée)
Article en ligne http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1979_num_26_1_2630