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Titre "La liberté guidant le peuple" de Delacroix devant son premier public
Auteur Nicos Hadjinicolaou
Mir@bel Revue Actes de la recherche en sciences sociales
Numéro vol. 28, no. 1, 1979
Page 3-26
Résumé «La liberté guidant le peuple» de Delacroix devant son premier public L'histoire des interprétations du tableau allégorique de Delacroix La Liberté guidant le peuple rappelle que l'œuvre d'art ne livre pas d'elle-même le code selon lequel elle doit être comprise. Mais de la multiplicité et de la divergence des interprétations, on ne saurait déduire que l'œuvre ne porte pas un sens qui lui est propre. Les commentaires contemporains ont en commun de présenter le tableau de Delacroix comme l'expression idéalisée de la Révolution universelle et du Peuple unissant bourgeois et prolétaires en lutte pour la Liberté. Faute de rapporter le tableau aux conditions historiques dans lesquelles il a été produit et accueilli par les critiques à l'époque de sa création, les historiens de l'art ont en vue un tableau qui correspond à une œuvre que seule une minorité du public de 1831 a perçue comme telle. L'analyse de l'ensemble des jugements publiés en 1831 'établit que les interprétations du tableau de Delacroix, notamment la représentation qu'il donne des acteurs des journées de juillet, sont fonction de la position de leurs auteurs à l'égard de la révolution de 1830, c'est-à-dire de leurs intérêts de classe. Ainsi les critiques légitimistes, pour s'en louer, les commentateurs orléanistes, pour le déplorer, voient dans les personnages du tableau incarnant la Révolution le «peuple sale», la «populace», la «canaille». A l'inverse des partisans de Louis-Philippe qui regrettent le manque de «noblesse» des personnages, c'est-à-dire l'absence des «artisans honnêtes» et des «jeunes gens des écoles» qui, selon eux, ont fait la révolution, les républicains y retrouvent la «véritable physionomie des journées de juillet» avec, au premier plan, la masse des ouvriers et des artisans secondés par des éléments bourgeois déclassés. En individualisant les jugements des critiques ou en les subsumant sous un ensemble prétendument homogène de la Critique ou encore en ramenant les appréciations à des querelles doctrinales (les «classiques» contre les «romantiques»), bref en ne tenant pas compte du contenu social des interprétations de l'œuvre, l'histoire de l'art s'interdit, à la fois, de comprendre le fondement de ces oppositions et de saisir le sens de l'œuvre elle-même.
Source : Éditeur (via Persée)
Résumé anglais Liberty Guiding the People by Delacroix ; its First Viewing To review the myriad interpretations of Delacroix's allegorical painting Liberty guiding the people is to remind oneself that a work of art never spontaneously yields up the code according to which it is to be understood. But that such multiple and divergent interpretations exist does not necessarily mean that the work does not have an inherent meaning. Contemporary reviews all present Delacroix's painting as the idealised expression of the universal Revolution and of the People bringing together under Freedom's flag bourgeois and proletarian. By failing to refer the painting to the historical conditions under which it was produced and to the critical reception it was given at the time of its creation, Art Historians have in mind a painting which corresponds to a work which only a small minority of the 1831 public perceived as such. An analysis of all the critical assessments published in 1831 shows that the interpretations of Delacroix's painting, especially his representation of the chief participants in the events of July, are directly linked to the stand of their authors with regard to the 1830 revolution, that is to say, their class interests. Hence, whether it be the legitimist lobby of critics congratulating themselves on the fact, or the Orleanist commentators deploring the same, both see in the painting's characters an incarnation of Revolution by «the great unwashed», «the populace», «the rabble». Contrary to the supporters of Louis-Philippe, who regret the lack of «nobility» in the characters, the lack of «honest craftsmen» and «young students» who, as they would have it, were the mainstay of the revolution, the Republicans, for their part, find in it «the true face of the July events» with its foreground of workers and craftsmen seconded by downgraded members of the bourgeoisie. By individualising these critical assessments or by subsuming them under an allegedly homogeneous body of Criticism, by reducing the divergent opinions to doctrinal controversies (Classicism versus Romanticism for example), in a word, by discounting the social content implied by the interpretations of the work, Art History no only fails to grasp the basis of these conflicts, but also fails to grasp the significance of the work itself.
Source : Éditeur (via Persée)
Article en ligne http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1979_num_28_1_2637