Titre | Les enjeux de l'ouverture à l'Est pour l'économie mondiale | |
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Auteur | Françoise Milewski | |
Revue |
Revue de l'OFCE (Observations et diagnostics économiques) Titre à cette date : Observations et diagnostics économiques |
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Numéro | No 34, 1990 | |
Rubrique / Thématique | Deuxième partie : Problèmes et perspectives |
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Page | 157-194 | |
Résumé | L'intégration de l'Europe de l'Est au commerce mondial dépend à la fois de l'évolution des économies de l'Est et des comportements des pays de l'Ouest. A l'Est, l'espoir d'améliorer à terme les niveaux de vie des populations repose sur la transformation de systèmes économiques qui ont révélé leur inefficacité. L'introduction du marché, censé résoudre au mieux l'équilibre entre l'offre et la demande, est à l'origine d'un débat important. La forme de la propriété, privée ou publique, ne suffit pas à elle seule à définir l'économie socialiste ou capitaliste. Le mode de régulation qui est associé la définit tout autant, sans être mécaniquement lié à la forme de propriété. Pour passer du socialisme au capitalisme, les dirigeants des économies d'Europe orientale ont dû trancher un débat sous-jacent sur la transition, même si ce débat perdure par ailleurs. Dans tous les pays les mêmes mesures sont prônées ou d'ores et déjà adoptées : développement d'un secteur privé, suppression de la planification imperative, libération des prix, transformation du système bancaire, convertibilité des monnaies. Si le fondement des réformes est unique — instaurer à terme des marchés où s'échangent les biens et services, les actifs financiers et la main-d'œuvre — deux conceptions s'opposent quant à la séquence des réformes : l'approche gradualiste et la thérapie de choc. L'une vise à créer d'emblée la rupture avec le système antérieur, l'autre à introduire l'économie de marché progressivement, dans la crainte d'une désorganisation trop brutale de la production et d'un coût social trop élevé. A court terme, l'impact des réformes est récessif : la production est désorganisée faute de centres de décisions clairement définis ou en l'attente de privatisations potentielles. Les niveaux de vie reculent en raison de la libération des prix et du développement rapide du chômage. Le risque d'hyperinflation, l'incertitude sur l'utilisation des surliquidités existantes et la gravité de la dette extérieure dans certains pays limitent les marges de manœuvre de la politique économique. A moyen terme, on espère l'intégration aux échanges mondiaux, la remontée des niveaux de vie et l'accroissement de la producti- vité du capital, une fois que seront opérants les mécanismes de la nouvelle régulation. Mais la réussite de ce processus de développement dépend autant de la politique des réformes à l'Est que des réactions de l'Ouest. Ceci nécessite d'abord d'amplifier les aides financières de l'Ouest afin de développer les infrastructures et de solvabiliser la demande. Les transferts de technologie liés aux investissements étrangers pourraient alors jouer un rôle clé de confrontation pour les industries désuètes et d'entraînement pour l'ensemble de l'économie. Mais l'incertitude sur l'ampleur et la destination, tant géographique que sectorielle, des transferts de capitaux demeure importante. Le choc de demande que les pays de l'Ouest espèrent de l'ouverture d'un marché de plus de 400 millions d'habitants ne peut être massif à court terme ; la demande potentielle est certes considérable mais la progression des débouchés ne sera pas linéaire. L'éclatement du COMECON devrait précipiter l'intégration au commerce mondial, mais il accélérera aussi la différenciation des pays. La facturation en devises, et non plus en roubles, de l'énergie soviétique aggrave en effet la contrainte extérieure des six pays de l'Est. La crise du Golfe accroît les divergences d'intérêt entre l'URSS, premier producteur mondial de pétrole, et les autres pays d'Europe orientale, dont les ressources pour importer des biens industriels seront amputées par renchérissement de leurs factures énergétiques. Deux conclusions ressortent de l'analyse : la première est que n'apparaissent ni un bloc Est ni un bloc Ouest. A l'Est, les différences entre pays s'accentuent. La mise en œuvre des réformes dépend de la reconnaissance et de l'autorité acquises par les gouvernements actuels des différents pays ; elles ne sont pas homogènes. La croissance économique que l'on peut escompter à moyen terme, une fois surmontée la désorganisation due aux bouleversements des modes de propriété et de régulation, sera plus aisément financée en RDA que dans les autres pays, et parmi ceux-ci, là où l'endettement extérieur est encore modéré. A l'Ouest, la RFA sera le premier bénéficiaire de l'ouverture de l'Est parce qu'elle est déjà le pays le plus engagé dans l'ensemble de la zone. La seconde conclusion porte sur les délais. L'Est fait l'expérience, prévue dans son principe sinon dans son ampleur, d'une réduction drastique du niveau de vie de la population et l'expérience, imprévue, de la réticence des investisseurs privés de l'Ouest à s'engager à l'Est à bref délai et de l'étalement dans le temps des capitaux publics. Or les risques de ruptures sont importants si, rapidement, des signes de redressement économique ne sont pas perçus. Ceux-ci sont la condition nécessaire pour que certains gouvernements conservent leur crédibilité. Le danger de crise sociale est d'autant plus grand dans la présente période où se forgent des comportements individuels et collectifs nouveaux. | |
Résumé anglais | The integration of Eastern Europe into world trade depends on both the evolution of Eastern European economies and the behaviour of Western countries. In Eastern Europe it is hoped that the transformation of economic systems that have revealed their inefficiency will eventually lead to improvements in the populations' living standards. The introduction of market mechanisms, that are supposed to best achieve the equilibrium between supply and demand, is currently under debate. The nature of ownership — private or public — does not in itself suffice to define the nature — capitalist or socialist — of the economic system; the associated mode of regulation is just as important and is not strictly determined by the nature of ownership. In order to switch from socialism to capitalism, Eastern European governments have had to select an option for the transition process, although the debate on this issue is going on. All countries have proposed or even already adopted the same measures: the creation of a private sector, the abolition of the centralized command system, price liberalization, the transformation of the banking system, and currency convertibility. Though all these reforms share a common inspiration — the eventual creation of markets for goods and services, for financial assets and for labour — , there are two distinct positions concerning the sequencing of reforms: the gradual approach and the shock therapy. The latter aims at an immediate break from the previous system, while the former seeks to introduce market mechanisms only progressively in an attempt to avoid too brutal a disruption of production processes and too high a social cost. The short-term impact of reforms is contractionary: production is disorganized by the inexistence of clearly defined decision units and by the expectation of privatization; living standards are curtailed by price liberalization and by the rapid rise in unemployment. The margins for maneuver of economic policies are strictly limited by the risks of hyperinflation, uncertainty about the way excess money balances will be used, and the burden of external indebtedness in some countries. At a medium-term horizon, it is hoped that the integration into world markets and the functioning of the newly created regulation mechanisms will allow for a rebound in living standards and an improvement in the productivity of capital. However whether the process succeeds or not depends as much on the reform options implemented in Eastern European countries as on the reactions of Western partners. What is required first is an increment in Western financial aid in order both to improve infrastructures and to finance demand. Technology transfers might then play a key part in sorting out obsolete industries and in stimulating growth in the whole economy. But there still is a great uncertainty about the amount and — geographical and sectoral — distribution of capital transfers. The positive demand shocks that Western economies expect to benefit from due to the opening up of a market of more than 400 million consumers cannot be very strong in the short run: potential demand is indeed considerable, but the growth of sales to the East is unlikely to develop regularly. The breakdown of COMECOM will fasten integration into world markets, but will also accelerate the différenciation amongst member countries. The balance of payments constraint of the six European countries will be exacerbated by payment in hard currency, instead of rubles, of energy imported from the USSR. The Gulf crisis thus aggravates the divergencies between the USSR, which is the world leader in oil production, and the other Eastern European countries, confronted with an energy bill hike that will curtail their possibilities of financing manufactured imports from the West. Two major conclusions emerge from the analysis. First, there do not exist such things as an Eastern bloc or a Western bloc. In Eastern Europe, the differences amongst countries tend to widen; reform implementation depends on governments' credibility and democratic support, which is not the same in all countries; once the disruptions caused by the changes in ownership and in regulations are over, economic growth may be expected to resume, but it will be more easily financed in East Germany than elsewhere and, amongst other countries, more easily in the least heavily indebted ones. In the West, Germany will benefit most from the opening up of Eastern markets, since it already has the most developed economic relations with the East. The second major conclusion is about timing: Eastern Europe is currently suffering from a drastic reduction in living standards, as expected though not always predicted to be of such a magnitude; but it also experiences the rather unexpected unwillingness of Western private investors to immediately put money into Eastern economies, together with the relatively slow implementation of Western public aid. The risks of major turmoil are paramount if signs of improvement are not quickly forthcoming: such signals are a condition for some governments to retain their credibility. The danger of a social crisis is all the more important in the current phase when new individual and collective behaviours are emerging. | |
Article en ligne | http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ofce_0751-6614_1990_num_34_1_1224 |