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Titre « Sous ombre de protection ». Stratégies et projets politiques pendant les « affaires de Provence » (France-Espagne-Italie, 1589-1596)
Auteur Fabrice Micallef
Mir@bel Revue Revue historique
Numéro no 656, octobre 2010
Page 763-794
Résumé Durant la première modernité, la protection est une pratique politique extrêmement répandue dans les relations internationales : en réponse à une situation de crise, des entités politiques demandent à un prince étranger de les assister. Quel est alors le sens du titre de « protecteur » que l'on décerne, ou du traité de « protection » qui est signé ? Les « affaires de Provence » (1589-1596) permettent d'étudier en détail les conceptions, les enjeux et les motivations de la protection. Ces « affaires » sont une série de crises diplomatiques liées aux troubles de la Ligue en France : pour faire face à leurs ennemis, les catholiques de Provence, et des villes de Marseille et Arles sollicitent successivement la protection du roi d'Espagne, du pape, du duc de Savoie et du grand-duc de Toscane.Pour les détracteurs de la protection ce lien politique est dangereux et subversif : les protecteurs sont des usurpateurs et les protégés des sujets désobéissants. Mais au-delà de ces positions de principe, on constate que les détracteurs, eux-mêmes sont capables d'envisager l'usage de la protection lorsqu'il devient nécessaire. Pour les acteurs qui sollicitent la protection, ce lien politique est justifié comme l'expression de la solidarité chrétienne et de la liberté politique des contractants. Mais la demande de protection est surtout un rite de déférence, un piège rhétorique situé dans l'horizon d'attente du prince chrétien ; elle est destinée à faciliter l'obtention d'un soutien logistique contractuel. Les puissances qui acceptent de prendre leurs solliciteurs sous leur protection le font souvent avec l'arrière-pensée d'une annexion territoriale. Mais tout en laissant cette possibilité ouverte, la protection a le mérite de servir des projets plus réalistes et pragmatiques : ascension politique d'États subalternes, possibilité de jouer un rôle d'arbitre, neutralisation des ambitions d'un tiers, stratégies militaires.Au final, la pratique de la protection s'explique par les potentialités qu'offrent les ambiguïtés de ce lien, qui permettent de tenir en équilibre les risques et les opportunités d'une situation de crise. Cette pratique révèle le partage d'une culture politique valorisant l'adaptation et le pragmatisme. Jeu de dupes à mi-chemin entre la coopération et la compétition, elle comporte le risque de déceptions et de tensions.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Résumé anglais In Early Modern Europe, protection was an extremely common political practice of international relations. To answer situations of crisis, political entities appealed to a foreign prince to assist them. What then was the meaning of the title of “protector” which was awarded, the meaning of the treaty of protection which was concluded? The “Affairs of Provence” (1589-1598) allow to study in detail conceptions, stakes and motivations of protection. These “Affairs” were a series of political crises, linked to the unrests of the League in France. To face their enemies, Catholics of Provence and of cities like Arles and Marseilles successively solicited the protection of the King of Spain, Papacy, the Duke of Savoy, and the Grand-Duke of Tuscany.From the point of view of protection's detractors – royalists, but also members of the League – this political link was dangerous and subversive: protectors were seen as usurpers, and protected people as disobedient subjects. The warnings of Jean Bodin certainly influenced this conception. But beyond the ideological positions, we find that the blames should be understood in a context of controversy, especially since the detractors themselves were able to consider the use of the protection when it became necessary. For actors who sought protection of foreign princes, this political link was justified as expression of Christian solidarity and of political freedom of the contracting parties. This conception was also present in La République by Bodin. In rare case protection was a long-term project, influenced by republican or monarchomach sensibilities, which allowed the actors to expect a dependence more flexible than that binding them to the King of France. But the demand for protection was primarily a ritual of deference, a rhetorical trap corresponding to the horizon of expectation of Christian princes, and it was intended to facilitate the acquisition of logistics support contract, by flattering the model of charitable prince, and by suggesting more or less explicitly the possibility of territorial gains in exchange of the requested help. Powers that agreed to take their solicitors under their protection often did with the ulterior motive of territorial annexation. But even leaving that possibility open, protection could serve projects more realistic or pragmatic: political rise of subordinate States (Savoy, Tuscany), prestige operation, access to the status of arbiter (Papacy), neutralization of ambitions of others powers (Papacy against Spain), military strategies (Spain), and free use of the harbour of Marseilles (Spain).Finally, the importance of this protection's practice was due to the potential offered by the ambiguities of this political link, which allowed to balance the risks and opportunities of a crisis. This practice reveals a collective political culture valuing pragmatism and adaptation. Fool's game halfway between cooperation and competition, it carried the risk of disappointments and tensions.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Article en ligne http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=RHIS_104_0763