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Titre Un distant miroir : La campagne pour l'alimentation rationnelle et la fabrication du « consommateur » en France au tournant du XXe siècle
Auteur Martin Bruegel
Mir@bel Revue Actes de la recherche en sciences sociales
Numéro no 199, septembre 2013 Pauvre consommateur
Page 28-45
Résumé La malnutrition dans les classes populaires et l'écart de leurs pratiques à la norme physiologique résultent, selon les promoteurs de « l'alimentation rationnelle » au début du XXe siècle, d'une mauvaise gestion budgétaire. L'alimentation quotidienne s'offre alors comme activité à travers laquelle inculquer les principes qui sous-tendent le fonctionnement d'une économie de marché et qui identifient le type d'individu qu'elle requiert : le consommateur capable de faire des choix rationnels et qui possède l'esprit d'économie, connaît les règles d'épargne, prend en compte le temps, utilise les dispositifs de prévoyance. Trois raisons expliquent l'échec de la campagne : la distance sociale qui sépare les experts des milieux qu'ils souhaitent réformer, et qui se traduit en une ignorance des préoccupations de ces catégories sociales ; la méfiance qui caractérise l'attitude des classes populaires face à une science d'en-haut dont elles perçoivent les injonctions comme teintées de mépris ; et finalement des recommandations pour se libérer des comportements jugés à risque qui achoppent sur des conditions économiques antinomiques, trébuchent sur une culture rebelle et se heurtent à des goûts récalcitrants. Cependant, le « catéchisme de l'alimentation raisonnée » resurgit régulièrement en temps de crise. L'alimentation se prête particulièrement bien à fixer le blâme sur les classes sociales dont les pratiques ne correspondent pas aux normes dominantes. En rendant l'individu responsable de son sort lamentable, l'effort réformateur permet de faire l'économie d'une réflexion sur les inégalités sociales.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Résumé anglais A distant mirror
For the promoters of “rational nutrition” at the beginning of the 20th century, malnutrition among the members of lower class and the deviation from nutritional norms was the outcome of bad household economics. Eating habits thus became an object of reform through which it was possible to inculcate the principles that supported a market economy and defined the type of individual it required: the consumer, capable of making rational choices, who is thrifty and knows how to save money, takes time into account, and plans his future welfare. Three reasons explain the campaign's failure: the social distance between reformers and the groups whose practices they wished to modify – a distance that translated into an ignorance of the actual preoccupations among the targets of the educational efforts; the defiance that a “science from above” inspired among the lower classes who perceived recommendations as condescending; and finally economic conditions that impeded, and a restive culture that resisted, the implementation of advice aiming at changing risk-prone behavior. However, the “catechism of rational nutrition” regularly resurfaces during economic crises because eating practices are easily called upon to lay blame on social groups that do not conform to dominant norms. In making the individual responsible for his own dismal fate, the reform effort shifts attention away from social inequalities.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Article en ligne http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=ARSS_199_0028