Contenu de l'article

Titre Incertitude du temps révolutionnaire
Auteur Sophie Wahnich
Mir@bel Revue Socio
Numéro n° 2, novembre 2013 Révolutions, contestations, indignations
Rubrique / Thématique
LE DOSSIER
Page 119
Résumé L'incertitude du temps révolutionnaire que nous analysons ici concerne aussi bien les historiens ou spécialistes de sciences sociales qui observent les événements passés et présents que le vécu des acteurs. Ces deux dimensions du temps, temps observé et catégorisé et temps vécu, sont appréhendées dans une approche résolument comparative entre notre présent de « Révolutions, contestations, indignations » et la période de la Révolution française. L'objectif est de comprendre ce qui est de fait aujourd'hui récusé quand le mot « révolution » est déclaré inadéquat à la compréhension de notre présent. En revisitant la période de la Révolution française, l'article montre que c'est souvent la méconnaissance de cet événement qui a pourtant donné sa réserve empirique au concept de révolution des temps modernes, qui conduit à cette mise en doute. Il s'agit donc de montrer les analogies entre divers moments révolutionnaires ou nommés tels par les acteurs, pour tenter de saisir en quoi ce concept de révolution des temps modernes reste adéquat à l'analyse de notre temps, mais aussi de montrer ses limites et la nécessité de feuilleter à nouveau la sémantique historique du mot « révolution ». À ce titre, en historienne de cette sémantique, il nous paraît peu pertinent de récuser les mots des acteurs, même si nos représentations de la révolution sont parfois éloignées de ce que nous observons. Cependant, s'il faut prendre la mesure du neuf et du singulier, il nous paraît tout aussi important de tenter de mettre au jour un nomos du temps révolutionnaire. Non pas pour affirmer que toute révolution est avènement d'un temps glorieux reconnaissable à ce titre, mais pour montrer que l'ouverture du temps révolutionnaire s'opère dans un double mouvement. Celui que l'on pourrait nommer la grâce du précipité révolutionnaire où le temps se condense et s'emballe dans des moments de crises qui effacent les barrières sectorielles, les barrières de classe, de genre et d'âge, mais surtout donnent le sentiment d'un dépassement inouï du champ d'expérience comme de l'horizon d'attente. Celui de l'utopie des lignes brisées où le temps devient plus chaotique et où la conflictualité reprend ses droits. Le temps du précipité est alors aussi bien ce qui arrive, que ce qui bien sûr arrive par les acteurs mais à leur insu. Ce temps du précipité est avènement irréversible non dans ses effets empiriques et sociaux mais dans ses effets subjectifs. De tels événements marquent un avant et un après et le désir partagé par les parties prenantes de l'événement révolutionnaire de porter le projet ouvert par cet événement de façon à ce que la césure événementielle ne soit pas escamotée par le devenir. La peur d'une réversibilité et l'espérance d'une conquête sont alors les modalités subjectives émotives qui accompagnent cette temporalité. À ce titre, le temps révolutionnaire appelle le courage. Ce courage doit se déployer d'une manière plus lucide dans la séquence d'utopie des lignes brisées car alors que la grâce est vécue d'une manière synchrone, désormais règne un sentiment de chaos lié à une grande désynchronisation sociale. Le double risque révolutionnaire est alors le découragement lié à la déception, mais aussi la guerre civile liée à cette conflictualité désynchronisée. La question des effets de sillage des révolutions pose la question importante d'une synchronie possible entre des sociétés qui n'ont pas la même histoire, celles du Nord face à ces sociétés des printemps arabes. Nous proposons ici de prendre la mesure de cet écart mais aussi du commun, une requête de dignité, de reconquête d'humanité, de reconquête démocratique. À ce titre, il s'agit de redonner forme à la possibilité de penser non seulement « global », puisque la déshumanisation peut apparaître aujourd'hui telle à nombre d'acteurs, mais sans doute aussi « universel ». S'il n'y a pas synchronie des lieux de révolution et d'indignation, chaque lieu singulier semble bien receler une revendication de ré-humanisation qui, sans certitude, pourrait bien être révolutionnaire.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Résumé anglais The uncertainty in revolutionary time which we analyze here concerns not only the historians or social science specialists who observe past and present events but also the experience of the actors. These two dimensions of time, time observed and recorded and time experienced are addressed in an approach which compares our present day ‘revolutions, challenges and ‘indignados' with the period of the French revolution. The aim is to understand what is in fact being objected to today when the term ‘revolution' is declared inadequate for an understanding of our present. By going back to the time of the French Revolution, the article demonstrates that it is often our lack of understanding of this event which is the origin of our reserve concerning the concept of revolution in the modern era. It is therefore a question of showing the analogies between various revolutionary periods, or referred to as such by the actors, in an effort to grasp how this concept of revolution in modern times remains relevant to the analysis of our own times. We also wish to show its limits and the need to take another look at the history of the semantic of the word ‘revolution'. Hence, as a historian of this semantics, it seems to us of little interest to refute the words of the actors, even if our representations of the revolution are sometimes remote from what we see. However, while we must assess the new and the unusual, it seems to us to be equally important to endeavor to update a nomos of revolutionary time. This is not to assert that any revolution is the coming of a glorious time recognizable under this title, but to show that the beginning of revolutionary time takes place in two phases. The phase which could be called the gift of the revolution, a precipitate in which time is condensed and races out of control in times of crises which erase sectorial barriers of class, age and gender but above all, give the impression of exceeding in an unprecedented manner both the field of experience and the horizon of expectations. This is the utopia of blurred lines where time becomes more chaotic and where conflictuality reigns supreme. The point at which the revolution precipitates is then both what happens, as well as what happens through the actors but unknown to them. This moment of the precipitate is irreversible – not in its empirical and social effects but in its subjective effects. Events of this type are watersheds; they mark a before and after and the desire shared by the parties involved in the revolutionary event to advance the project thus launched to ensure that the opportunity not be lost. The fear of reversibility and the desire for victory are then the subjective, emotive modes which accompany this phase. Thus the revolutionary moment calls for courage. This courage must be deployed in a more lucid manner in the phase of the utopia of blurred lines for, while the moment of grace is experienced as synchronous, there is now a feeling of chaos associated with the massive social de-synchronization. The two-fold risk with revolutions is then discouragement linked with disappointment, but also civil war associated with this desynchronized conflictuality. The question of what happens in the wake of revolutions raises the important question of a possibility of harmony between societies which do not have the same history, those in the North are confronted with those of the Arab Spring. We intend here to assess this distance, but also what is shared: a demand for dignity, rediscovery of humanity, a recovery of democracy. In this respect it is a question of restoring the possibility of thinking not only ‘globally', since today dehumanization may appear to be global to many actors, but also undoubtedly ‘universally'. While the locations of revolution and indignation may not be synchronous, each individual place does seem to harbor a demand for re-humanization which, while nothing is less certain, could well be revolutionary.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Article en ligne http://socio.revues.org/422