Contenu de l'article

Titre Les guerres russo-lituaniennes (XVIe-XVIIe) entre les sources de l'époque et les historiens d'aujourd'hui
Auteur Aleh Dziarnovi?
Mir@bel Revue Cahiers du monde russe
Numéro volume 50, no 2-3, avril-septembre 2009 L'Europe orientale, 1650-1730
Rubrique / Thématique
Sources nouvelles, méthodes inédites
Page 301-314
Résumé Lorqu'ils décrivent les guerres, les historiens ne se privent pas d'impressionner et d'émouvoir leurs auditeurs en racontant les souffrances infligées aux civils. Le plus souvent, ils se bornent à reproduire leurs sources, suscitant ainsi la colère, l'indignation et le chagrin. Ces récits reposent sans aucun doute sur des faits réels. Mais sommes-nous en droit pour autant de traiter les informations contenues dans les documents des XVIe et XVIIe siècles comme si elles provenaient de témoins objectifs et, à plus forte raison, de bâtir des théories à partir de là ? Les annalistes et les chroniqueurs, les officiers, les auteurs de Mémoires lituaniens, polonais ou russes, écrivaient dans le cadre de normes éthiques et de systèmes politiques bien précis, un de leurs principaux buts étant d'accuser leurs adversaires de transgresser les règles de la morale chrétienne.De nombreux historiens d'Europe centrale et orientale ont pris ces invectives pour argent comptant, et s'en sont servis dans les luttes politiques qui ont marqué la fin des années 1980 et les années 1990. Leur démarche semblait d'autant plus justifiée que le volume des sources accessibles augmentait sans cesse. Mais, paradoxalement, l'abondance des sources n'est pas toujours une garantie contre leur manipulation.Les historiens biélorusses avaient pris des positions particulièrement risquées. Vers la fin des années 1980 et au début des années 1990, il fallait se débarrasser de l'histoire officielle, qui donnait une image idyllique des relations entre la Biélorussie et la Russie. Pour y parvenir, ils avaient affirmé que la Russie, en attaquant le Grand-Duché de Lituanie, lui avait fait une guerre totale, visant à la destruction. C'est à la lumière de la théorie moderne de la guerre totale que l'on interprétait les données provenant des sources des XVIe-XVIIe siècles, et on citait celles-ci à tour de bras sans les critiquer. Mais ces excès n'ont pas tardé à recevoir leur châtiment. Les nouvelles tendances politiques autoritaires ont dirigé contre les écrits des années 1990 des attaques sans complaisance, de nature quasi-officielle et administrative. Il n'est que juste de rappeler que ces derniers développements ont été déclenchés par l'usage inconsidéré des sources historiques.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Résumé anglais Descriptions of Russo-Lithuanian wars (sixteenth and seventeenth centuries) in primary sources and modern historiography. When some historians describe wars, they tend to create most impressing and emotional pictures, particularly when focusing on disasters inflicted to civilians. More often than not, they simply reproduce the contents of their sources, and arouse feelings of anger, indignation, and immense grief. These descriptions are undoubtedly based on real events. But can we relay information provided by sources of the sixteenth and seventeenth centuries as factual and then proceed to build up historiographic concepts? Authors of chronicles and annals, serving officers, memoirists of the Grand Duchy of Lithuania (GDL), Poland, and Russia wrote within definite state-political systems and ethical representations, and one of their main concerns was to charge the opponents with transgression of Christian ethics. Many of their invectives were taken at face value in modern Central and East European historiographies and used in political strife in the late 1980s and during the 1990s. This approach seemed all the more justified as the number of accessible sources was increasing. But, paradoxically, the increase in the quantity of sources does not always make it more difficult to manipulate them to support a particular viewpoint. Modern Belarusian historiography was especially vulnerable in that respect. In the late 1980s and early 1990s, it had to discard a deep-rooted, complacent version of the historical Belarus-Russia relationship. This was achieved, in specialized as well as popular historical writings, by asserting that Russia waged not simply aggressive wars against the GDL, but wars aiming at destruction. The data on wartime disasters derived from sources were interpreted in terms of the modern theory of total war and supported by uncritical quotations. But contemporary history has come back at Belarusian historiography with a vengeance. The new, authoritarian political trend has drastically changed the situation: much of what has been written in the 1990s has been subjected to not too mild, practically official and administrative, critics. It seems only fair to note that this was triggered in the first place by uncritical use of historical sources.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Article en ligne http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=CMR_502_0301