Titre | La généralisation de l'insécurité salariale en Amérique. | |
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Auteur | Loïc J.D. Wacquant. | |
Revue | Actes de la recherche en sciences sociales | |
Numéro | no 115, décembre 1996 Les nouvelles formes de domination dans le travail (2) | |
Rubrique / Thématique | Les nouvelles formes de domination dans le travail (2) |
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Résumé | La généralisation de l'insécurité salariale en Amérique. Durant la décennie passée, les licenciements de masse sont devenus un instrument privilégié de gestion financière à court terme des entreprises américaines de sorte que les classes moyennes et managériales étatsuniennes ont fait l'amère découverte de l'insécurité de l'emploi en plein regain de croissance. A partir d'une vaste enquête du New York Times publiée sous forme de reportages puis d'un livre à succès, cet article décrit la mise en place de la thématique du "downsizing", vocable nouveau issu de l'industrie automobile qui désigne et masque à la fois la remise en cause du pacte social paternaliste qui protégeait jusqu'à récemment les employés des grandes firmes ainsi que les dispositifs bureaucratiques et symboliques sur lesquels s'appuit la normalisation forcée de la précarité salariale. Car le retour de la prospérité aux Etats-Unis s'est bâti sur une dégradation spectaculaire des termes et des conditions d'emploi : durant les quinze dernières années, trois Américains sur quatre ont connu ou frôlé le licenciement ; 41 % des personnels « dégraissés » n'étaient pas couverts par l'assurance-chômage et les deux tiers de ceux qui ont retrouvé du travail ont dû accepter un poste moins rémunéré. Aujourd'hui 82 % des Américains se déclarent prêts, pour sauvegarder leur emploi, à allonger leurs horaires, 71 % accepteraient d'amputer leurs congés, 53 % de réduire leurs avantages sociaux et 44% leur salaire. L'absence d'action collective face à la prolifération des débauchages commandés par les maneuvres boursières s'explique pour partie par la prégnance de l'ethos de l'individualisme méritocratique qui veut que chaque salarié soit seul responsable de son destin. Mais l'anxiété des classes moyennes étatsuniennes exprime bien plus qu'une simple « démocratisation » de l'insécurité socioéconomique. Elle traduit une crise structurale du mode de reproduction sociale qui touche avec une force particulière les occupants des zones intermédiaires de l'espace social. Faute d'un langage capable de donner une signification collective à la poussière des déboires et des désillusions individuels, la frustration suscitée par le dérèglement des stratégies de reproduction des classes moyennes américaines se retourne d'un côté contre l'Etat et de l'autre contre les catégories « déméritantes » ou soupçonnées de bénéficier d'avantages indus, Noirs, femmes, et pauvres jetés en pâture au pays afin d'exorciser la peur montante de la chute sociale. | |
Résumé anglais | The downside of America. As American corporations came to utilize mass layoffs as a prime instrument of short-term financial management over the past decade, the US middle classes have made the bitter discovery of insecurity in the midst of renewed economic growth. Drawing on an extensive study by the New York Times published as a series of reports and later as a best-selling book, this article recounts the rise of the thematics of "downsizing", a new terni originating in the automobile industry which simultaneously designates and obfuscates the overturning of the paternalistic social contract that used to protect the employees of large firms as well as the bureaucratic and symbolic devices which effect the forced normalization of wage-labor precariousness. The return to prosperity in the United States has indeed been built on a spectacular deterioration of the terms and conditions of employment : in the past fifteen years, three Americans in four have personnally experienced or been indirectly affected by a layoff ; 41 % of the "downsized" were not covered by unemployment insurance and two thirds of those who have found jobs since have had to settle for positions that pay less. Today 82 % of Americans are willing to increase their work hours to hold on to their job, 71 % would accept to cut their vacation, 53 % to trim their benefits, and 44 % to reduce their wages. The absence of collective action in response to the proliferation of layoffs triggered by stock market maneuvers can be explained in part by the pervasive influence of the ethos of meritocratic individualism according to which every wage earner is ultimately responsible for his or her own destiny. However the anxiety of the American middle classes is not merely an expression of the « democratization » of socioeconomic insecurity. It betrays a structural crisis of the mode of social reproduction that particulaiiy impacts the occupants of the intermediary zones of social space. For lack of a language capable of endowing scattered experiences of disappointment and disabusement with collective meaning, the frustration generated by the disruption of the strategies of reproduction of the American middle classes lias been diverted, on the one side, onto the State and, on the other, onto the categories deemed « undeserving » or unduly protected, blacks, women, and the poor, whose castigation serves to exorcise the growing fear of downward mobility. | |
Article en ligne | http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1996_num_115_1_3205 |