Titre | Présentation | |
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Revue | Les cahiers de la justice | |
Numéro | no 2014/2 Pour qui écrivent les juges ? | |
Rubrique / Thématique | Dossier. Pour qui écrivent les juges ? |
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Page | 175-176 | |
Résumé |
La motivation de ses décisions est un indicateur de l'évolution récente du juge. Motiver, on le sait, c'est d'abord donner ses raisons, faire comprendre le sens d'une décision, échapper à l'arbitraire. C'est aussi une manière de produire la jurisprudence et d'en contrôler la cohérence par l'appareil juridictionnel. Selon les cultures, le style de la motivation dépend de la conception du pouvoir reconnu au juge. Alors qu'en common law, les juges détaillent leur argumentation dans de longues motivations (y compris avec des opinions séparées), la tradition continentale préfère la motivation brève, sèche ou « cachée » (Pascale Paquino).Mais l'intérêt de ce dossier des Cahiers de la justice est de montrer qu'au contact des sociétés démocratiques, les juges (et le législateur) prennent conscience des exigences inhérentes à leur rôle nouveau. Naturellement l'héritage issu des cultures juridiques subsiste mais il se réduit. La volonté de contrôle des écarts de jurisprudence traditionnellement appelées « rebellions des juges » tend à s'effacer (C. Otero). À cette relation verticale où la Cour de cassation est « la sentinelle de la loi » se substitue une relation horizontale. L'argumentation conséquentialiste (l'art de juger selon les conséquences socialement utiles) fréquemment utilisée en common law apparaît dans les cours suprêmes françaises. L'article de Fabrice Hourquebie prolonge ceux, publiés jadis dans les Cahiers, de Pierre Legrand sur le raisonnement des juges de la Cour suprême américaine et de Ruth Sefton-Grenn sur les policy considerations du droit anglais.
1Malgré la tradition de brièveté, nos cours souveraines savent désormais motiver pour un auditoire universel en y voyant « non seulement une obligation légale mais aussi une exigence démocratique » comme l'observe Gilles Pélissier pour le Conseil d'État. C'est un renversement majeur analysé par Mathilde Cohen d'un point de vue comparatiste : « aujourd'hui l'obligation de motiver est souvent présentée comme un droit du justiciable et du public plutôt que comme une contrainte visant à restreindre le pouvoir judiciaire. » Cécile Chainais évoque aussi, d'un point de vue historique et philosophique, le passage d'un système où l'absence de motivation signifie l'autorité (sous l'Ancien régime) à un autre système où l'exigence de motivation est, à l'inverse, un facteur de légitimité et d'autorité au sens d'un « souci de persuasion. »Nos cours d'assises changent elles aussi sous l'influence des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme. C'est ainsi que depuis la loi de 2011, elles motivent leur arrêt dans une feuille spéciale. Même si cette loi est à parfaire comme le souligne la tribune de François Saint-Pierre, les présidents de cour d'assises interviewés dans ce numéro des Cahiers sont unanimes pour en montrer l'intérêt mais aussi le paradoxe persistant entre l'intime conviction et la raison écrite.Plus profondément, cet effort de justification témoigne d'une recherche de légitimité du juge. Comme le souligne le vice-président du Conseil d'État Jean Marc Sauvé « au service du justiciable, le juge est acteur de sa légitimité qui n'est pas acquise et qui, au contraire, tend à être régulièrement remise en cause »
2. Le juge argumente toujours pour persuader. Mais il sort de l'ordre juridictionnel ou de la sédimentation jurisprudentielle. Sa communication est interne mais aussi externe. Elle s'adresse potentiellement à tous les citoyens en utilisant les moyens électroniques qui lui sont offerts. Elle concerne les cours suprêmes bien sûr, les cours d'assises, les tribunaux correctionnels dont on sait l'attention portée aux victimes, mais aussi toute décision de justice dès lors qu'elle est attendue par le public.Alors qu'il n'a pas de légitimité démocratique au sens strict du terme, le juge-écrivain adresse son oeuvre à un auditoire multiple qu'il s'agisse des cours supérieures (pour faire jurisprudence), de la partie perdante, du public (pour en faciliter la compréhension) ou du système judiciaire lui-même dont il donne une image de transparence et d'autolimitation. C'est un mouvement qu'avait anticipé le grand logicien Chaim Perelman dans les années 1970. Nos juridictions, à l'image des tribunaux internationaux et de ceux de common law, donnent, disait-il, un supplément d'autorité à leurs décisions en nous persuadant qu'elles sont « équitables, opportunes, socialement utiles ».
3 Source : Éditeur (via Cairn.info) |
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Article en ligne | http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=CDLJ_1402_0175 |