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Titre Présentation
Mir@bel Revue Les cahiers de la justice
Numéro no 2017/1 Sortir de l'impunité
Rubrique / Thématique
Dossier. Sortir de l'impunité
Page 13-14
Résumé Pourquoi mettre ce concept d'impunité à l'ordre du jour de ce numéro des Cahiers de la justice ? Sollicité dans différentes acceptions - par exemple, pour dénoncer le laxisme de la justice au nom d'un « sentiment d'impunité » -, il demande à être éclairci. Il parvient jusqu'à nous à travers l'expression « lutte contre l'impunité » (fighting against impunity) à l'occasion des débats sur la justice pénale internationale. En ce sens, il s'agit de mettre fin à une situation où un État s'exonère lui-même de ses propres crimes. L'impunité désigne un usage du droit - on pourrait même parler d'une torsion du droit - permettant de masquer des responsabilités criminelles massives. Notre dossier en donne un exemple avec l'usage des milices privées ou groupes paramilitaires par des États qui couvrent ainsi leurs exactions. Non seulement ceux-ci masquent leurs pires forfaits mais ensuite ils désignent les coupables pour se dédouaner de toute responsabilité (Cathy Leblanc et Hin-Yan Liu). De même, un État démocratique peut parfaitement légitimer la torture, malgré l'interdit des traitements inhumains et dégradants, en ouvrant des « espaces d'impunité » comme l'ont fait les États-Unis lors de la guerre contre l'Irak (Joël Hubrecht). On pourrait ajouter l'usage systématique de l'amnistie après les guerres, ce qui permet d'oublier les crimes au nom de la réconciliation. Le système de l'impunité est donc pensé politiquement et noué juridiquement pour faire obstacle à toute responsabilité pénale. Couverte par un régime politique, la transgression devient la règle. L'acte de tuer devient licite. Aucune limite ne lui est assignable. Aucun jugement ne peut l'atteindre. Ni aujourd'hui ni demain. L'ordre des valeurs est donc perverti dans toute la société. La situation d'impunité dérobe ses auteurs à la justice, ce qui rend difficile le rétablissement nécessaire de l'intégrité de la loi.Voilà pourquoi il faut une énergie inépuisable et une forte dose d'obstination pour remettre en selle les institutions démocratiques. Tel est le sens de la lutte contre l'impunité qui implique de refonder activement la société sur quatre piliers (droit de savoir, droit à la justice, à réparation, à la non-répétition)1. Lutte où s'affrontent des points de vue tantôt favorables (la défense des atteintes au droit à la vie par la Cour européenne des droits de l'homme), tantôt hostiles comme le projet de Cour africaine de justice qui exclut la responsabilité des chefs d'État (Olivier Beauvallet). Notre dossier évoque le rôle des acteurs comme le couple Klarsfeld dans la chasse aux nazis qui plaidaient l'obéissance aux ordres. Il faut savoir être illégal parfois - c'est-à-dire briser le mensonge qui faisait office de loi pour tous - afin de faire sauter le verrou de l'impunité (Sylvie Humbert). Aux usages pervers du droit ces acteurs veulent substituer un droit rendu à ses finalités humaniste et démocratique. L'exemple du Rwanda résume l'esprit de cette lutte : face à un crime de masse perpétré en grande partie par des groupes paramilitaires (Interahamwe), il fallait reconstituer la chaîne de responsabilités et rétablir le sens des mots, voire en inventer certains comme celui de génocide (Evariste Ntakirutimana). Tel est le sens de la justice des gacaca qui exploite les ressources de la société africaine pour la régénérer.L'impunité apparaît comme un détournement opéré à l'intérieur du droit, une perversion de ses fonctions et de ses finalités. C'est une manière de dérober le sens de la loi et le confisquer au profit d'une catégorie de bénéficiaires. Voilà pourquoi son dévoilement est une tache éminemment délicate. Du côté des victimes, toute dénonciation remet en scène des conflits de loyauté, de fidélité, de reconnaissance et de cohérence (Loick Villerbu). Du côté des auteurs, le retour de la démocratie suppose en une liberté de parole lors des procès. Des accusés peuvent ainsi continuer à dénoncer une « justice de vainqueurs » à la fo6is « sélective, partielle et limitée » (Damien Scalia) dès lors qu'ils ont une liberté de parole (y compris avec les chercheurs) et le droit de se défendre. On comprend mieux, dans un pays comme le Rwanda, à quel point la culture du génocide est une arme qui tient en respect les nouveaux visages de l'impunité que sont le négationnisme et le révisionnisme. Plus sûrement cependant, la Constitution et les tribunaux reconstruisent la légitimité du droit, ce que François Ost appelle « la scène du tenu pour juste ». « Avec le passage au droit, tout se formalise : plus d'arrangements mais des procédures, plus de faveurs mais des droits, plus de menaces mais des sanctions. On en appelle à des tiers et à des critères. En amont on cherche les précédents ; en aval on cherche à faire jurisprudence »2. Ainsi les fonctions de l'interdit pénal peuvent être purgées de leur usage pervers et servir à nouveau les idéaux de justice et de démocratie.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Article en ligne http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=CDLJ_1701_0013