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Titre Présentation
Auteur Denis Salas
Mir@bel Revue Les cahiers de la justice
Numéro no 2017/4 La cour d'assises au XXIe siècle
Rubrique / Thématique
Dossier. La cour d'assises au XXIe siècle
Page 575-576
Résumé S'il fallait faire une infographie de la cour d'assises comme une scène où montent des acteurs, l'un d'eux est omniprésent à sa naissance lors des débats de la constituante de 1790 et 1791 : le jury. C'est lui à l'époque l'acteur majeur. Il fait l'objet de débats passionnés dans la presse et la doctrine. Ils sont mythiques, ces douze jurés comme les douze apôtres de l'Évangile. Pourquoi ? Parce qu'ils sont le reflet du peuple souverain qui s'impose dans l'appareil d'État, le gouvernement, le parlement, l'administration, la justice. Et, de fait, dans ce premier moment, le jury décide seul de la culpabilité d'un accusé, et même de sa mise en accusation. Seul le peuple peut rendre la justice car « pour juger il ne faut que des yeux » (Montesquieu). Il décide seul et souverainement de l'application d'une loi qu'il pourra même écarter avec les circonstances atténuantes depuis 1832. Vox populi vox dei. Impossible d'envisager l'appel qui serait un outrage au peuple souverain.Avec le temps, les régimes politiques (monarchiques ou césariens au XIXe) vont se méfier du jury. On redoute la force indomptable du nombre. On se méfie de la houle des émotions collectives. Au XIXe, on trouve les jurés aléatoires, mouvants, imprévisibles. C'est le thème des « acquittements scandaleux » et de « la pitié dangereuse ». Un second acteur entre en scène : il va être chargé de diriger le jury : le magistrat et plus exactement le président de la cour d'assises. Les régimes politiques postrévolutionnaires veulent en faire le maître du prétoire. On lui donne le pouvoir de « résumer » les débats avant le délibéré et même d'entrer dans la salle des jurés ; on donne aux préfets le pouvoir de choisir ceux-ci parmi les notables ; on veut, en somme, des jurés propriétaires terriens ; on modifie les règles de vote favorables à l'accusé... Une réforme sonne le glas de la toute-puissance du jury. En 1941 puis en 1945, il devra partager son pouvoir avec les juges puisqu'ils devront délibérer ensemble sur la culpabilité et la peine.C'est alors qu'un troisième acteur entre en scène : l'avocat. À l'origine, il n'a qu'un atout : plaider en dernier lieu. Voilà qu'il entre par la petite porte du dossier : fin XIXe, il pointe le bout de son nez dans le cabinet du juge d'instruction (présent lors des interrogatoires et accès au dossier, loi de 1897) au terme d'une très longue bataille parlementaire. À l'audience, il obtient le droit de récusation des jurés comme le procureur. Il pourra même accompagner le président dans la salle des jurés. Il entre aussi par la grande porte de la presse qu'il sait prendre à témoin et qui lui reconnaît une place éminente (sous la IIIe République les délits de presse sont jugés aux assises). Nous vivons à cette époque « l'âge d'or » de l'avocat. Ce rôle ne cessera de croître depuis lors dans la phase policière (présent à garde à vue) au cours de l'instruction (il peut demander des actes) et naturellement dans l'audience.Face au jury qui reste la voix du peuple, l'avocat va porter la voix de deux acteurs présents mais qu'on n'entendait pas : l'accusé et la victime. Nous sommes dans ce moment historique. C'est la fin du cycle long et l'entrée dans un cycle nouveau. On pourrait dire que l'avocat va particulariser un peuple abstrait en portant ses voix singulières. On y sent le souffle de la Cour européenne des droits de l'homme qui infuse dans notre droit un esprit - celui du « due process », qui ébranle notre vieux modèle inquisitoire. Nous allons désormais penser le procès pénal dans la référence aux droits de l'homme comme les textes de ce dossier le montrent.Le jury passe au second plan. Il est écarté de certains contentieux (comme le terrorisme). Le nombre des jurés est réduit (six membres en 1re instance, neuf en appel aujourd'hui en France). Des droits nouveaux sont reconnus à d'autres acteurs - l'accusé (ou le ministère public) - qui vont délégitimer la légitimité charismatique de la souveraineté populaire. Il en est ainsi du droit d'appel (« l'appel de seconde chance ») mais aussi de la motivation des arrêts justifiés par le besoin de rendre intelligibles pour l'accusé les verdicts des cours d'assises (v. textes de Philip Milburn, Vanessa Perrocheau et Djoheur Zerouki-Cottin). Il est de même pour la partie civile soutenue par les politiques publiques d'aide aux victimes, qui aura une position plus active au cours des débats et dans l'espace médiatique. Ainsi l'acteur collectif initial (le jury) ne disparaît pas mais il n'a plus le même rayonnement. Dans certains pays, il disparaît totalement (en Suisse au niveau fédéral), dans d'autres il est marginalisé (pratique de la correctionnalisation en Belgique). On lira sur ce point ci-dessous les textes de Sandrine Zientara-Logeay, Christiane Besnier, Anne Jolivet ainsi que le compte rendu de la table ronde avec Karin Gérard et Xavier Borremans pour la Belgique, Laurent Moreillon pour la Suisse et Edmondo Bruti-Liberati pour l'Italie.Dans notre pays, bien que le jury ne soit plus au centre du prétoire, il reste le seul ancrage de notre justice dans la démocratie. Le président reste l'axe central mais dans un débat bien plus contradictoire que par le passé. Il n'est plus « le monarque républicain » qu'on y voyait au XIXe siècle. Il instruit toujours à l'audience mais d'autres co-instruisent le procès avec lui dès l'instruction : le ministère public et les avocats. Les réflexions actuelles (v. les textes d'Alain Blanc, Caroline Nisand et Christine Lazerges) montrent que nous cherchons un équilibre entre l'office du juge et un respect des standards du procès équitable, notamment celui du délai raisonnable.Au total, il semble bien que le centre de gravité du procès d'assises se soit déplacé. Le législateur donne un rôle décisif à ces protagonistes que sont l'accusé mais aussi la partie civile. Ce qui explique que les professionnels s'orientent vers la construction d'une oeuvre commune (v. la table ronde avec Pascale Robert-Diard, Geneviève Ceyrac, François-Louis Coste, Hervé Stephan, Dominique Bourget, Marie Dosé). Il y a bien deux légitimités qui portent cette juridiction désormais : l'une historique incarnée par le jury mais qui n'a plus sa force d'antan ; une autre démocratique - celle des droits de l'homme - qui donne aux parties une place centrale.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Article en ligne http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=CDLJ_1704_0575