Contenu de l'article

Titre « Traditions communautaires » paysannes et socialisme en Yougoslavie
Auteur Marie-Paule Canapa
Mir@bel Revue Revue d'études comparatives Est-Ouest
Numéro vol. 21, no 2, 1990
Page 25 pages
Résumé Quand le Parti communiste de Yougoslavie accède au pouvoir en 1945, la société yougoslave est composée avant tout, avec des variations régionales, de paysans et d'éleveurs qui ont grandement contribué au succès de la révolution dans la lutte de libération nationale. On pouvait se demander quelle serait l'influence des traditions de cette paysannerie sur l'édification du socialisme, en particulier celle des traditions communautaires, de la zadruga, le groupe domestique indivis longtemps présent dans la population sauf en Slovénie. Au XIXe s., dans la lignée des populistes russes, le socialiste serbe Svetozar Markoviô avait estimé que ces traditions communautaires permettraient le passage au socialisme sans le capitalisme. En fait, il n'apparaît pas qu'elles aient contribué à l'édification du socialisme en soi, par exemple lors de la collectivisation entre 1948 et 1953. D'une part, ces traditions, la zadruga, étaient en déclin et, d'autre part, institutions communautaires paysannes et organisations collectives communistes n'étaient similaires qu'en apparence. Cependant dans le socialisme d'autogestion, les traditions paysannes, les traditions communautaires, ont influencé le fonctionnement du système politique de façon favorable pour le pouvoir. Le maintien de traditions a été un des facteurs du consensus entre le pouvoir et la classe ouvrière, la population. Ce consensus a été lié à la structure de pouvoir, décentralisée au niveau des républiques et aussi des communes, et il s'est appuyé sur une modernisation économique (industrialisation) qui a permis d'assurer aux paysans une promotion sociale (des emplois bien que sans rentabilité et subventionnés). Les solidarités de parenté, les solidarités traditionnelles ont facilité la modernisation économique, le passage à la ville. Ce processus est présent dans nombre de pays sous-développés et il est caractéristique que le pouvoir communiste ait utilisé ces traditions et que ces traditions de leur côté aient pris un sens et un contenu nouveaux. En plus des traditions communautaires paysannes, des solidarités traditionnelles auraient aussi imprégné le contenu du système et l'autogestion. Mais le maintien de traditions paysannes communautaires a eu des conséquences négatives ; il a été l'un des facteurs d'une modernisation inefficace (égalitarisme, etc.), et d'une autogestion pas vraiment démocratique, sans toutefois gêner l'intégration des paysans dans la nation au niveau des républiques. Et ce maintien de traditions peut être aujourd'hui un frein au changement qui apparaît nécessaire aux dirigeants mêmes (réforme politique, réforme économique), alors que le consensus pouvoir/population a été ébranlé par la crise économique et qu'il est nécessaire de rentabiliser l'économie.
Source : Éditeur (via Persée)
Résumé anglais Peasant community traditions and socialism in Yugoslavia When the Yugoslav communist party came to power in 1945, Yugoslav society consisted primarily of peasants and stockbreeders, with regional variations, and they made a major contribution to the success of the revolution in the struggle for national liberation. It might be asked to what extent the traditions of this peasant society might have influenced the building of socialism, and particularly, what might be the influence of community traditions as exemplified by the zadruga, a long-standing domestic grouping within the population, except in Slovenia. In the 19th century, the Serbian socialist Svetozar Markovic, who belonged to the Russian populist tradition, had held the view that these community traditions would facilitate the transition to socialism without passing through capitalism. In fact, it would no appear that peasant co-operative traditions made any contribution per se to the building of socialism, for example during the years of the collectivization beween 1948 and 1953. For one thing, traditions such as the zadruga were on the decline, and, for another, these peasant community institutions, and communist collective organizations, bore only an apparent resemblance to one another. However, under socialist self- management, peasant community co-operative traditions did influence the working of the political system, to the advantage of the authorities. The upholding of tradition was one of the elements of consensus between the leadership and the workers. This consensus was embodied in the structure of decentralized power at republican and also commune level, and was supported by economic modernization (industrialization) which made it possible to offer the peasants social advancement (jobs, albeit non- profitable and subsidized). Family ties, traditional solidarities, eased the process of economic modernization, the transition to the towns. In this process, which is common to a number of under-developed countries, it is typical that the communist authorities drew on such traditions, which for their part acquired a new sense and a new content. In addition to these peasant co-operative traditions, it would seem that traditional solidarities also penetrated the system and had an effect on self-management. However, the maintenance of peasant community tradition also had negative results : it was one of the factors which contributed to inefficient modernization (egalitarianism, etc.) and to a level of self-management that was not genuinely democratic, although it did not obstruct peasant integration into the nation at republican level. And this preservation of traditions may to-day act as a brake on the changes that appear necessary to the authorities themselves (political and economic reform) at a time when the consensus between the leadership and the population is weakened by economic crisis, and it is essential to make the economy profitable.
Source : Éditeur (via Persée)
Article en ligne https://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_1990_num_21_2_1584