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Titre The 1963 Krasnodar Trial : Extraordinary Media Coverage for an Ordinary Soviet Trial of Second World War Perpetrators
Auteur Vanessa Voisin
Mir@bel Revue Cahiers du monde russe
Numéro volume 61, no 3-4, juillet-décembre 2020 Écritures visuelles, sonores et textuelles de la justice
Page 383-428
Résumé Dans la ville de Krasnodar, capitale du Kuban´ russe, se déroula du 10 au 24 octobre 1963 un procès public très particulier. Ses neuf accusés incarnaient les plus sombres aspects de la Seconde Guerre mondiale en URSS. Membres auxiliaires et gradés du Sonderkommando 10a, ils avaient pris part aux violences extrêmes commises par cette sous-unité de l'Einsatzgruppe D, chargé du « nettoyage » du sud de l'Ukraine et de la Russie dans le sillage de la Wehrmacht. L'écho qui fut donné à ce procès le distingue clairement des dizaines d'autres procès tenus à travers l'Union soviétique après l'amnistie partielle des collaborateurs en 1955, et des procès tenus dans le sud de la RSFSR plus spécifiquement. De multiples articles, dans la presse locale et centrale, une rediffusion radiophonique, un film documentaire (Au Nom des vivants), un livre à grand succès (L'Abîme), ainsi , enfin, qu'un projet de film de fiction avorté superposèrent des strates de récits, de sons et d'images portant sur l'histoire de ces neufs hommes, de leurs victimes et des enquêteurs qui les amenèrent devant la justice. Les variations de retransmission de l'histoire en fonction des divers médiums utilisés constituent l'un des fils rouges du présent texte, qui s'intéresse par ailleurs à la façon dont ces œuvres contribuèrent à étirer l'écho du procès de Krasnodar dans le temps. L'exemple de la médiatisation du procès de Krasnodar va à l'encontre de plusieurs idées reçues sur les rapports entre professionnels de l'art et professionnels de police ou de justice. Il confirme la marge de liberté dont ont pu parfois bénéficier les artistes sous le dégel, mais aussi quelques années au-delà. Il illustre diverses modalités de filmage d'un procès (1963 et 1965) et plus encore la riche variété des retransmissions possibles de l'acte judiciaire, de la rediffusion simultanée dans l'espace urbain à la nouvelle très littéraire d'un auteur engagé. Ce cas montre aussi comment un même artiste a retransmis sa vision du procès selon qu'il agissait en tant que journaliste, scénariste ou écrivain. L'étude confirme l'importance des ressources politiques dont disposaient les divers acteurs de cette histoire en ce qui concerne les limites du dicible et du montrable dans les années 1963-1967. Le rôle crucial d'un artiste très engagé, Ginzburg, eut ainsi raison d'un certain nombre de résistances institutionnelles et idéologiques jusqu'à ce que l'écrivain finisse par payer le prix de son engagement. La représentation extrêmement audacieuse de la collaboration durant la guerre et celle – tout-à-fait atypique – de l'idéologie nazie et de la Shoah font la singularité des œuvres de Ginzburg, tout privilégié qu'il fut dans les milieux littéraires. Il convient enfin de souligner que l'intensité de la couverture médiatique de ce procès, le rôle particulier de Ginzburg dans les relations germano-soviétiques et, enfin, les démarches confidentielles menées en parallèle par le Procureur général de l'URSS contribuèrent sans nul doute à la (ré)ouverture d'instructions à l'Ouest contre les criminels allemands mis en cause durant le procès, et jugés en RFA entre 1972 et 1980.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Résumé anglais In the city of Krasnodar, capital of the Russian Kuban´, a very special public trial took place from 10 to 24 October 1963. Its nine defendants embodied the darkest aspects of the Second World War in the USSR. Former auxiliary members and officers of Sonderkommando 10-a, they had taken part in the extreme violence committed by this subunit of Einsatzgruppe D, a paramilitary group in charge of the “cleansing” of southern Ukraine and Russia in the wake of the Wehrmacht. The echo given to this trial clearly distinguishes it from the dozens of other trials held throughout the Soviet Union after the 1955 partial amnesty of collaborators, and from trials in the south of the RSFSR more specifically. Numerous articles in the local and central press, a radio broadcast, a documentary film (In the Name of the Living), a best-selling book (The Abyss), and an aborted fiction film project added layers of stories, sounds and images to the story of these nine men, their victims, and the investigators who brought them to justice. The variations in the way the story is told in these various media constitute one of the common threads of the article, which also looks at how these works helped prolong the echo of the Krasnodar trial. The example of the media coverage of the Krasnodar trial goes against several preconceived ideas about the relationship between arts professionals and the police and judiciary. It confirms that artists sometimes enjoyed a margin of freedom during the Thaw and some time beyond. It illustrates various ways of filming a trial (1963 and 1965) and more still the wide array of renditions of court proceedings, from a live broadcast in the urban space to an engagé author's highly literary short story. This case also shows how the same artist conveyed his vision of the trial depending on whether he was acting as a journalist, a screenwriter or author. The study confirms the importance of the political resources available to the various actors in this story between 1963 and 1967 with regard to the limits of the speakable and the demonstrable. The crucial role of a very committed artist, Lev Ginzburg, overcame great institutional and ideological resistance until the writer finally paid the price for his commitment. Ginzburg's extremely daring depiction of wartime collaboration and – quite atypically – of Nazi ideology and the Holocaust makes his works singular, privileged though he was in literary circles. Last, it should be stressed that the intensity of the media coverage of this trial, Ginzburg's particular role in German-Soviet relations, and the confidential steps taken in parallel by the Prosecutor-General of the USSR undoubtedly contributed to the (re)opening in the West of investigations of Germans involved in the crimes of Sonderkommando 10a and to their trial in West Germany between 1972 and 1980.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Article en ligne http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=CMR_613_0383