Contenu de l'article

Titre Engagement féminin en Kabylie et intersection des revendications (1980-2001). Dominations, expériences et négociations identitaires
Auteur Margherita Rasulo
Mir@bel Revue L'année du Maghreb
Numéro no 27, 2022 Dossier : Minorisations. Revisiter les conditions minoritaires
Rubrique / Thématique
Dossier : Minorisations. Revisiter les conditions minoritaires
Page 111-131
Résumé Cet article vise à comprendre les conditions d'émergence du tissu associatif féminin en Kabylie à partir des années 1980 jusqu'aux années 2000, ainsi que les modalités et les effets de la présence féminine dans les cadres de la société civile et des mouvements de revendication berbères. Il s'appuie sur un corpus archivistique et d'entretiens. Les données proviennent d'archives publiques et privées ainsi que d'entretiens réalisés au cours d'une enquête menée entre novembre 2018 et janvier 2019 dans la wilaya de Tizi Ouzou et la ville de Béjaïa, en Algérie. Le choix de la Kabylie implique une contextualisation spécifique en Algérie. Subalternes au sein d'un groupe minoré, les actrices de ce mouvement sont confrontées à des processus de minoration variés. La Kabylie est une région berbérophone caractérisée par la tension entre pérennité et renégociations des structures sociales et symboliques. Dans ce cadre, l'exclusion des femmes des espaces décisionnels, dont la tajmaεt (assemblée de village) constitue l'institution sociale principale, ainsi que l'existence d'un militantisme féminin dans la région sont des aspects qui reflètent la tension entre pérennisation et modernisation du système symbolique, des structures sociales et, par conséquent, des rapports de genre. Du point de vue méthodologique, au regard de son objet et de son contexte géographique, ce travail s'appuie sur une approche théorique hybride qui conjugue les études berbères/amazighes (Abrous, 1988, 1995, 2004 ; Chaker, 1988, 1998 ; Tilmatine, 1989, 2017 ; Ould Fella, 2021) et les études d'ethnologie kabyle (Bourdieu, 1998 ; Lacoste-Dujardin, 1985, 2008) avec l'approche expérientielle de la condition minoritaire (Chassain et al., 2016), les études de genre et les subaltern studies (Spivak, 1988). Une attention particulière est accordée à l'association Tiɣri n'Ttmeṭṭut, active de 1989 à 1995, et au Collectif de femmes du printemps noir, actif depuis 2001. L'hypothèse défendue dans cet article est que mouvements de femmes et mouvements identitaires s'inscrivent dans un rapport à la fois de tension et de complémentarité les uns par rapport aux autres engendrant des conséquences réciproques, dont nous essayons de mesurer la portée en particulier pour les femmes, minorées parmi les minorisé.e.s. Cette double minorisation se traduit par leur marginalisation dans la réalité sociale et leur invisibilisation dans les cadres théoriques de la connaissance et de la construction des savoirs en raison de facteurs historiques et sociaux. C'est pourquoi, le militantisme féminin s'avère être une perspective intéressante pour analyser les permanences et les changements des rapports de genre dans la réalité sociale des mouvements de revendications kabyles au cours du XXe et XXIe siècles. Cette démarche nous permet, en dépassant l'invisibilité historique du mouvement féminin kabyle, de déceler un processus, non linéaire dans son évolution et toujours en construction, de changement et évolution des rapports de genre qui se traduisent dans la renégociation des identités de genre et l'intersection des revendications des actrices et des acteurs étudié.e.s. Ces mouvements ont pour point commun d'avoir été dès l'indépendance du pays cantonnés par l'État au rang de groupes minorés. La définition d'une identité monolithique arabe et musulmane par le pouvoir central, a en effet eu comme conséquence la minoration de deux groupes de population : les berbérophones et les femmes. Nous expliquons tout d'abord comment l'État a placé les mouvements identitaires kabyles et les mouvements de femmes en position de minorités et comment les luttes de ces acteurs se sont organisées en parallèle ou en s'entrecroisant. Au cantonnement par l'État, a succédé, dans les années 1980-1990, des interactions puissantes entre mouvement féminin en Kabylie et mouvement de revendications culturelles kabyles. Les processus de définition et de négociation identitaire des associations féminines se sont exprimés à travers un mouvement dialectique d'appropriation et de contestation de la revendication identitaire et des identités de genre en référence aux cadres normatifs social, juridique et coutumier. Parallèlement, les revendications féminines et féministes ont été interrogées au sein des associations identitaires kabyles. La reprise des revendications spécifiques des femmes est demeurée toutefois extrêmement limitée et a même connu une régression à partir de 2001. Le « Printemps noir » a amené à une réaffirmation du système patriarcal, y compris dans la structuration du mouvement contestataire de cette période.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Résumé anglais This article aims to understand the conditions of emergence of the female associative fabric in Kabylia from the 1980s to the 2000s, as well as the modalities and effects of the female presence on the frameworks of civil society and Berber identity movements. It is based on a corpus of archives and interviews. The data come from public and private archives, and from interviews conducted during a survey between November 2018 and January 2019 in the wilaya of Tizi Ouzou and the city of Béjaïa, Algeria. The choice of Kabylia implies a specific contextualisation in Algeria. As subalterns within a minority group, the representatives of this movement are confronted by various processes of minimisation. Kabylia is a Berber-speaking region characterised by the tension between the perpetuation and renegotiation of social and symbolic structures. In this context, the exclusion of women from decision-making spaces, of which the tajmaεt (village assembly) is the main social institution, as well as the existence of female activism in the region, reflect the tension between the perpetuation and the modernisation of the symbolic apparatus, of social structures and, consequently, of gender relations. From a methodological point of view, with regard to its object and geographical context, this work relies on a hybrid theoretical approach that combines Berber/Amazigh studies (Abrous, 1988, 1995, 2004; Chaker, 1988, 1998; Tilmatine, 1989, 2017; Ould Fella, 2021), Kabyle ethnology studies (Bourdieu, 1998; Lacoste-Dujardin, 1985, 2008) and the experiential approach to the minority condition (Chassain et al., 2016), gender studies and subaltern studies (Spivak, 1988). Particular attention is given to the association Tiɣri n'Ttmeṭṭut, active from 1989 to 1995, and the Black Spring Women's Collective, active since 2001. The hypothesis of the article is that women's movements and identity movements are part of a relationship of both tension and complementarity, with each generating reciprocal consequences, the scope of which we try to measure in particular for women, who are minoritised among the minorities. This double minoritisation translates into their marginalisation in social reality and their invisibility in the theoretical frameworks of knowledge and knowledge construction, as a result of historical and social factors. This is why women's activism is an interesting perspective from which to analyse permanence and change in gender relations in the social reality of Kabyle protest movements during the 20th and 21st centuries. By going beyond the historical invisibility of the Kabyle women's movement, this approach allows us to detect a process, non-linear in its evolution and still under construction, of change and evolution of gender relations that is reflected in the renegotiation of gender identities and the intersection of the claims of those studied. What these movements have in common is that, since the country's independence, they have been confined by the state to the status of minority groups. The definition of a monolithic Arab and Muslim identity by the central power has in fact led to the undermining of two population groups: Berber speakers and women. We first explain how the state placed the Kabyle identity movements and the women's movements in a minority position and how the struggles of these actors were organised in parallel or intertwined. In the 1980s and 1990s, the state's confinement was followed by powerful interactions between the women's movement in Kabylia and the movement for Kabyle cultural demands. The processes of definition and negotiation of identity by women's associations were expressed through a dialectical movement of appropriation and contestation of identity claims and gender identities with reference to social, legal and customary normative frameworks. At the same time, women's and feminist claims were questioned within Kabyle identity associations. However, the revival of women's specific demands remained extremely limited and even regressed from 2001 onwards. The “Black Spring” led to a reaffirmation of the patriarchal system, including in the structuring of the protest movement of this period.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Article en ligne http://journals.openedition.org/anneemaghreb/10725