Titre | Dynamiques socio-politiques et territorialités de l'immigration ivoirienne en Tunisie | |
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Auteur | Camille Cassarini | |
Revue | L'année du Maghreb | |
Numéro | no 27, 2022 Dossier : Minorisations. Revisiter les conditions minoritaires | |
Rubrique / Thématique | Varia & Recherches en cours |
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Page | 201-221 | |
Résumé |
À l'instar des autres pays maghrébins, la Tunisie est, au moins depuis vingt ans, au cœur de circulations et de mobilités diverses en provenance de l'ensemble du continent africain, notamment de sa partie subsaharienne. À bas bruit, cette immigration majoritairement ivoirienne prend progressivement place dans la société tunisienne et soulève d'importants débats et enjeux sociaux. À rebours des représentations et des travaux sur des migrations dites « de transit » vers les côtes européennes, cet article – fondé sur une enquête ethnographique multisituée menée entre 2016 et 2019 – donne à comprendre les stratégies migratoires de ces hommes et femmes de Côte d'Ivoire, dans une perspective historique, ainsi que leurs logiques d'ancrage en Tunisie. Autour de quelles filières migratoires s'articulent ces mobilités ? Quelle place occupe la Tunisie dans les stratégies des voyageurs ivoiriens et autour de quels espaces se tissent leurs mobilités ? Et leurs insertions ? Loin de la figure du « réfugié » ou du « migrant en transit » au Maghreb, nous proposons d'analyser ce que ces voyageurs et voyageuses ainsi que leurs pratiques de la mobilité nous disent des transformations plus globales des migrations intra-africaines. Dans un premier temps, cette contribution revient sur les modalités de positionnement de la Tunisie comme nouvelle destination de choix pour l'immigration ivoirienne. Elle montre que ces réseaux migratoires se sont construits à la faveur de la ré-installation de la Banque Africaine de Développement (BAD) à Tunis, à la suite du conflit en Côte d'Ivoire et de l'arrivée de plusieurs centaines d'ivoiriens et d'ivoiriennes dans le pays. Ces primo-arrivants ont réussi à investir plusieurs secteurs professionnels et à développer un tissu relationnel entre la Côte d'Ivoire et la Tunisie. C'est à partir de leurs réseaux qu'à la fin des années 2000, de plus en plus de ressortissants ivoiriens ont choisi de venir en Tunisie. La deuxième partie de cet article revient sur le rôle qu'a joué le changement socio-politique en Côte d'Ivoire dans leur mise en mobilité. En effet, de nombreux ivoiriens et ivoiriennes justifient leurs départs en Tunisie par le changement de régime ayant suivi la crise post-électorale de 2011. En mobilisant le registre de l'ethnicité et de leur exclusion du jeu politique, ces personnes mettent en récit, dans leurs mobilités, les changements structurels de la société ivoiriennes de ces vingt dernières années. En effet, au-delà du changement de régime, ces circulations ivoiriennes laissent à voir un changement des imaginaires politiques du succès et des figures de la réussite dans le pays. Ainsi, notre travail rend compte de la manière dont, dans un même mouvement, les stratégies migratoires ivoiriennes, à partir des dynamiques socio-politiques, reconfigurent le lien et les possibles entre mobilité géographique et réussite sociale. Dans une dernière partie, cet article interroge la manière dont ces stratégies migratoires structurent les modalités d'insertion de ces personnes dans l'espace en Tunisie. À travers les exemples de Tunis et Sfax, sont analysées les stratégies d'insertions, les modalités d'ancrage et les nouvelles pratiques sociales de ces Ivoiriens et Ivoiriennes. L'attention est portée aux instances de sociabilités, notamment associatives et leur articulation aux espaces locaux. Plus globalement, il s'agit ici de dessiner les contours de la territorialité produite par ces personnes et de montrer en quoi leurs stratégies de mobilités sont construites autour de pratiques professionnelles servant des projets de réussite sociale. Ainsi, cet article, inscrit dans une perspective afrocentrée, contribue à l'éclairage d'une nouvelle dynamique migratoire ivoirienne en Tunisie. Il interroge également les liens possibles entre l'exploration d'une dynamique migratoire et le rôle que peuvent les imaginaires politiques. Il contribue, par-là, au champ des connaissances sur la situation de l'immigration africaine dans le pays et plus largement sur les routes des migrations entre les Afriques. Source : Éditeur (via OpenEdition Journals) |
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Résumé anglais |
Like other Maghrebi countries, Tunisia has been at the heart of various flows and mobilities coming from all over the African continent, especially from its sub-Saharan portion, for at least twenty years. Quietly, this mainly Ivorian immigration is gradually taking place in Tunisian society, and raises important debates and social issues. Contrary to representations and works on so-called transit migration towards the European coast, this article – based on an ethnographic survey carried out between 2016 and 2019 – provides an understanding of the migratory strategies of these men and women from Côte d'Ivoire, in historical perspective, as well as their rationale for anchoring in Tunisia. Around which migration channels are these mobilities articulated? What place does Tunisia occupy in the strategies of Ivorian travellers, and around which spaces do their movements develop? And their integration? Far from the figure of the “refugee” or “migrant in transit” to the Maghreb, we propose to analyse what these travellers, as well as their practices of mobility, tell us about the wider transformations of intra-African migration. First, this article returns to the ways of positioning Tunisia as the new destination of choice for Ivorian immigration. It shows that these migratory networks were built thanks to the relocation of the African Development Bank (BAD) to Tunis, following the conflict in Côte d'Ivoire, and to the arrival of several hundred Ivorians in the country. These first arrivals succeeded in entering many professional fields and in developing a relational web between Côte d'Ivoire and Tunisia. It is starting from their networks that, at the end of the 2000s, more and more Ivorian citizens chose to come to Tunisia. The second part of the article returns to the role played by socio-political change in Côte d'Ivoire in their mobility. Indeed, many Ivorians justify their departure for Tunisia by the change in regime that followed the post-election crisis of 2011. By mobilising the register of ethnicity and their exclusion from the political game, these people expressed, in their mobilities, the structural changes to Ivorian society over the last twenty years. Indeed, beyond the change of regime, these Ivorian flows make visible a change in the political imaginary of success and of the figures of success in the country. Thus, our work accounts for the way in which, in a single movement, Ivorian migratory strategies, starting from socio-political dynamics, reconfigure the link and the possibilities between geographical mobility and social success. In the final section, the article interrogates the way in which these migratory strategies structure the modes of integration of these people in the Tunisian space. The examples of Tunis and Sfax are used to analyse the strategies of integration, the modes of anchoring and the new social practices of these Ivorians. Attention is given to bodies of sociability, especially associative, and their articulation in local spaces. More globally, it is about drawing the contours of the territoriality produced by these people and showing how their strategies of mobility are built around professional practices serving projects of social success. Thus, this article, in the scope of an Afrocentric perspective, helps to illuminate the new Ivorian migratory dynamic in Tunisia. It also questions the possible links between the exploration of a migratory dynamic and the role the political imaginary can play. In this respect, it contributes to the field of knowledge on the situation of African immigration in the country and, more broadly, on migration routes within Africa. Source : Éditeur (via OpenEdition Journals) |
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Article en ligne | http://journals.openedition.org/anneemaghreb/10925 |