Contenu de l'article

Titre Une lutte de confort ? : Proximités et distances de classe dans la grève des factures énergétiques au Royaume-Uni
Auteur Garance Clément
Mir@bel Revue Actes de la recherche en sciences sociales
Numéro no 255, décembre 2024 Écologie et dominations (1)
Page 58-79
Résumé Parce qu'elles entrent en contradiction avec les politiques de transition énergétique et la montée en puissance d'une norme « éco-citoyenne », les aspirations au confort domestique restent peu indexées sur les sensibilités environnementales. Si on peut expliquer cette tension par l'inertie des styles de vie, l'article montre que l'expression de besoins en termes de confort découle aussi d'une remise en cause, par les politiques d'austérité, du caractère protecteur de la vie domestique vis-à-vis des mécanismes marchands. Il s'appuie sur le cas de la « grève des factures énergétiques » organisée entre 2022 et 2023 par le collectif britannique « Don't Pay UK ! ». Alors que les fractions cultivées et désargentées des classes moyennes apparaissent comme les plus susceptibles de réformer leurs pratiques ordinaires en faveur de la sobriété, cet épisode a au contraire vu des militant·es jeunes, urbains, diplômé·es, en affinité avec la gauche anticapitaliste, se détourner de l'écologie pour réclamer une baisse des tarifs du gaz et de l'électricité. À rebours de la recherche des profits distinctifs offerts par l'adhésion à la morale écologique, cette requalification des enjeux énergétiques tournée vers un droit à la consommation permet d'interroger la manifestation des besoins en confort là où ils sont d'ordinaire les plus euphémisés. Après avoir présenté les contours sociaux de la mobilisation, l'article étudie d'abord les stratégies de cadrage et d'alliance mises en œuvre par les militant·es, avant de s'interroger sur l'inscription de cette « lutte énergétique » dans leurs mondes privés. Il expose comment le collectif organisateur de la grève a cherché à opérer un rapprochement entre classes moyennes et classes populaires, dans l'optique de construire un mouvement de masse. Cette stratégie a néanmoins débouché sur des tentatives d'encadrement de la consommation d'énergie réaffirmant les frontières sociales. En dernière instance, la mobilisation a buté sur une inégale exposition de la sphère domestique aux conséquences de la hausse des prix – la perspective d'un retour au confort offrant aux militant·es les plus doté·es en capital économique une forme de réassurance sociale.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Résumé anglais Because they are at odds with energy transition policies and the rise of the “eco-citizen” norm, aspirations for domestic comfort remain little indexed to environmental sensitivities. While this tension can be explained by the inertia of lifestyles, the article shows that the expression of comfort needs also stems from a questioning, by austerity policies, of the protective character of domestic life vis-à-vis market mechanisms. It draws on the case of the “energy bill strike” organized between 2022 and 2023 by the British collective “Don't Pay UK!”. While the cultured and penniless fractions of the middle classes appear the most likely to reform their usual practices in favor of sobriety, this episode, on the contrary, saw young, urban, university-educated activists, with an affinity for the anti-capitalist left, turn away from ecology to demand lower gas and electricity tariffs. In the opposite direction to the search for the distinctive profits offered by adherence to an ecological morality, this recharacterization of energy issues as a right to consum allows us to question the manifestation of comfort needs where they are usually the most euphemized. After presenting the social contours of the mobilization, the article first examines the framing and alliance strategies employed by the activists, before looking at how this “energy struggle” was inscribed in their private worlds. It explains how the collective organization of the strike sought to bring together the middle and working classes, in order to build a mass movement. However, this strategy led to attempts to regulate energy consumption, thus reaffirming social boundaries. Ultimately, mobilization was hampered by the unequal exposure of the domestic sphere to the consequences of rising prices – the prospect of a return to comfort offered a form of social reassurance to those with the most economic capital.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Article en ligne https://shs.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2024-5-page-58?lang=fr (accès réservé)