Contenu du sommaire : Sous contrôle
Revue | Mouvements |
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Numéro | no 62, avril-juin 2010 |
Titre du numéro | Sous contrôle |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Sous contrôle, Gouverner par les fichiers
Surveiller
- Gouverner par la trace - Mattelart Armand p. 11-21 Qui mieux que l'auteur de Histoire de l'utopie planétaire1 et de La globalisation de la surveillance2 pouvait retracer la genèse des doctrines et des dispositifs de surveillance pour éclairer les liens entre concepts, logiques institutionnelles et développements technologiques ? À travers une synthèse socio-historique des notions clé de la société de surveillance et du contrôle, Armand Mattelart met en lumière le rôle des techniques dans les transformations de l'État de droit, lorsque leur usage tient lieu de substitut à la résolution politique des problèmes sociaux.
- Les formes de gouvernementalité libérale à l'heure des NTIC : regards sur l'Allemagne contemporaine - Lechevalier Arnaud p. 22-31 Avec deux récents exemples de tentatives de fichage massif, Arnaud Lechevalier illustre les théories foucaldiennes de la gouvernementalité libérale comme rationalisation de l'art de gouverner. Toutefois, la mise en échec, suite aux mobilisations de la société civile allemande, du fichier Elena des assurés sociaux comme de la loi de transposition de la directive européenne sur la rétention des données, pour partielle qu'elle soit, reflète aussi la spécificité du néolibéralisme allemand, inscrite dans une histoire de tension critique entre nouvelle rationalité de gouvernement et remise en cause de ses abus au nom de la société.
- Le bel avenir de la vidéosurveillance de voie publique - Le Blanc Noé p. 32-39 Malgré le nombre de ses détracteurs et la démonstration du fiasco de ses résultats apportée par les rapports officiels étrangers, notamment ceux du ministère britannique de l'Intérieur, la vidéosurveillance de voie publique a encore de beaux jours devant elle en France. Après un passage en revue de ce qui fait de la vidéosurveillance « une solution imaginaire à un problème imaginaire », Noé Le Blanc souligne avec justesse que la vidéosurveillance menace la mixité sociale plutôt que les libertés, et montre que, ce faisant, la vidéosurveillance constitue une privatisation de l'espace public.
- Surveillés et surveillants : des professionnels en résistance - Dumont Françoise, Vitran Jean Claude p. 40-45 La nécessité des actions et campagnes contre la surveillance et le contrôle social menées par les militants des droits de l'homme n'est plus à démontrer. Mais elles ne seraient rien sans la désobéissance, durement sanctionnée, de ceux qui se voient imposer dans le quotidien de leur travail de traquer toutes les supposées déviances. Françoise Dumont et Jean-Claude Vitran identifient les premiers bataillons de ces professionnels entrés en résistance contre les fichiers : directeurs d'écoles, enseignants, travailleurs sociaux, salariés de Pôle-Emploi…, auprès desquels ils mènent la lutte au nom de la Ligue des droits de l'homme.
- Variations sur le thème de la banalisation de la surveillance - Bellanova Rocco, De Hert Paul, Gutwirth Serge p. 46-54 Les études de la surveillance (Surveillance studies) sont-elles en mesure d'appréhender dans leur globalité des formes atypiques de surveillance où le présupposé d'un contrôle disciplinaire ne peut être démontré ? Comment saisir ces formes de surveillance qui se développent dans le quotidien de nos activités ? Rocco Bellanova, Paul de Hert et Serge Gutwirth se livrent à cet exercice réflexif sur leur discipline de recherche. Pour dépasser les points d'achoppement des Surveillance studies, ils explorent le concept polysémique de « surveillance banalisée ».
- Gouverner par la trace - Mattelart Armand p. 11-21
Contrôler
- Nouvelles technologies et droits de l'homme : faits, interprétations, perspectives - Rodota Stefano p. 55-70 Le respect des droits fondamentaux, notamment du droit à la vie privée, est toujours invoqué en opposition aux usages des techniques de surveillance et de contrôle social, mais comment s'analyse, de manière rigoureuse et holistique, la traduction de ces droits dans un monde largement globalisé et informatisé ? Stefano Rodota, éminent juriste italien et spécialiste de la protection des données personnelles, conjugue sa double expérience scientifique et politique à une approche humaniste pour analyser la « nouvelle anthropologie » résultant du développement des sciences et techniques, et les transformations qu'elle induit sur les droits de l'homme.
- Sur quelques enjeux sociaux de l'identification biométrique - Dubey Gérard p. 71-79 Le recours à l'identification biométrique, c'est-à-dire liée à la génétique, n'est pas à proprement parlé récent, même si elle a connu une diffusion spectaculaire depuis une dizaine d'années. Utilisée dans de nombreux contextes, cette identification ne pose pas seulement des questions de protection de la vie privée. Elle s'appuie sur des postulats déterministes et essentialistes, nous dit Gérard Dubey, qui contredisent le principe d'une pluralité de l'identité, fusse-t-elle biologique.
- La technologie du soupçon : tests osseux, tests de pilosité, tests ADN - p. 80-83 Édité pour la première fois en 2009 par le collectif éponyme,Cette France-là entend mobiliser les savoirs et expériences des sciences sociales, du journalisme et du travail social pour établir un contre-bilan de la politique d'immigration engagée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. L'ouvrage offre des évaluations détaillées de la mise en œuvre de cette politique et de ses conséquences, aussi bien par la qualité d'expertises serrées qui s'attachent à la politique elle-même qu'à des récits et témoignages de la violence, de l'absurdité et des ravages qu'elle produit sur celles et ceux qui en vivent l'arbitraire, mais aussi sur la société qui l'a acceptée et en subit les effets collatéraux dans son tissu social et la disqualification de ses principes fondamentaux. Chronique aiguisée d'un désastre annoncé, Cette France-là entend agiter nos consciences en commençant par celles des concepteurs et acteurs de la politique d'immigration dont les portraits sont déclinés dans l'ouvrage. Nous reprenons ici l'un des textes du premier volume de la collection qui couvre la période du 6 mai 2007 au 30 juin 2008. Le choix de republier ce texte s'est imposé par sa résonance avec les thèmes abordés dans le dossier, mais également pour saluer à notre manière le travail nécessaire et précieux réalisé par le collectif. Nous saisissons l'occasion pour annoncer la parution du deuxième volume de Cette France-là sur lequel nous reviendrons dans une prochaine livraison.
- Fichiers : logique sécuritaire, politique du chiffre ou impératif gestionnaire ? - Marzouki Meryem p. 85-98 Peut-on se contenter de convoquer la figure de Big Brother pour analyser la question du fichage ? Ou doit-on aussi la penser par une recherche d'efficacité, de rationalisation, et de réduction des coûts des procédures ? À travers le cas des fichiers des étrangers, Meryem Marzouki formule l'hypothèse qu'une logique de management est tout autant à l'œuvre que la logique sécuritaire, dans un triple objectif de contrôle des populations, de gestion de l'exercice de ce contrôle et d'évaluation du résultat de sa mise en œuvre.
- Au nom de la lutte contre l'absentéisme scolaire. L'Extension du contrôle des corps à l'épreuve des contradictions de l'institution scolaire - Douat Étienne p. 99-107 À la fin des années 1990, l'absentéisme scolaire est devenu une question de sécurité intérieure. Il s'agit de « socialiser » voire de « civiliser » des jeunes des classes populaires, particulièrement décrocheurs et donc potentiellement dangereux. Cette insistance a produit un arsenal législatif et de pratique qui a conduit les établissements à exercer un contrôle toujours plus serré et un « pointage » des élèves visant à les soumettre à l'autorité. Cette gestion permet de traiter le problème de l'absentéisme comme extérieur à l'école et évacue la responsabilité de l'institution et des enseignants dans ces situations de décrochage.
- Le durcissement des contrôles, ou la fabrique sociale de la haine - Kokoreff Michel p. 108-116 Le contrôle social dans les quartiers populaires prend de plus en plus la forme d'une présence policière intrusive et répressive. Contrairement aux clichés martelés par le ministère de l'Intérieur et les médias, les forces de l'ordre n'ont pas déserté les quartiers, ce sont leurs missions et leurs modes d'intervention qui se sont modifiés, nous explique Michel Kokoreff. Les conséquences de ce contrôle pesant et délibérément disciplinaire sur la population la plus vulnérable sont illustrées par la défiance à l'égard des institutions publiques et par les émeutes récurrentes observées ces dernières années.
- Du contrôle social. Entretien Avec Michalis Lianos - Simon Patrick p. 117-124 L'extension des domaines du contrôle et de la surveillance semble confirmer les pires anticipations contenues dans la figure du Big Brother. Pour autant, nous dit Michalis Lianos, il convient de ne pas se laisser abuser par les possibilités ouvertes par les moyens techniques de localisation et d'identification personnelles. Il importe de replacer les développements de la surveillance et du contrôle social dans les transformations du système capitaliste pour en construire une critique plus ajustée. Réfutant les théories du complot, Michalis Lianos nous invite à nous concentrer sur les conséquences du contrôle et d'agir pour cibler les véritables atteintes à l'exercice démocratique.
- Nouvelles technologies et droits de l'homme : faits, interprétations, perspectives - Rodota Stefano p. 55-70
Gouverner
- La statistique : un outil au service de la lutte contre la discrimination - Ringelheim Julie p. 125-135 S'il y a un domaine où la question du fichage est particulièrement critique, c'est bien celui des « statistiques ethniques ». Utilisées dans l'histoire pour exclure, dominer et parfois exterminer, ces statistiques font l'objet de nombreuses controverses en France et plus généralement en Europe. Cependant, la conception de la lutte contre les discriminations, qui s'est développée dans la suite du droit européen, accorde une place importante aux statistiques qui deviennent un outil de défense des droits. Ce paradoxe est analysé ici par Julie Ringelheim, qui montre que les risques du fichage ne doivent pas faire oublier la protection apportée par la surveillance statistique. Le droit de l'antidiscrimination propose en quelque sorte une inversion du sens de la surveillance : ce sont les institutions et les entreprises qui font l'objet des contrôles, et les statistiques permettent de révéler les discriminations.
- Gouverner par les chiffres - p. 136
- Des chiffres de la politique à la politique du chiffre. Entretien avec Renaud Epstein - Simon Patrick p. 137-142
- Révéler les inégalités. Entretien avec Louis Maurin - Simon Patrick p. 143-146
- La statistique : un outil au service de la lutte contre la discrimination - Ringelheim Julie p. 125-135
Itinéraire
- Prison et écriture : haute surveillance. Entretien avec Abdel Hafed Benotman - Osganian Patricia, Flory Julienne, Oppel Jean-Hugues p. 147-165
Thèmes
- Un réalisme intransigeant. À l'occasion du cinquantenaire de la New Left Review - Keucheyan Razmig p. 167-175 Née en 1960, la NLR « première mouture » est animée par des intellectuels critiques du « vieux » mouvement ouvrier issus majoritairement des Cultural Studies (Stuart Hall, E.P Thompson, Raymond Williams). L'équipe est rajeunie en 1962 avec l'arrivée d'une nouvelle génération d'intellectuels qui reste en partie aux commandes de la revue aujourd'hui (Tariq Ali, Robin Blackburn, Alexander Cockburn, Perry Anderson). La NLR s'engage contre le sous-développement théorique de la gauche britannique et son éloignement du marxisme. S'inspirant des Temps modernes sartriens, la NLR est depuis 50 ans une revue de gauche radicale, ouverte au monde, attentive aux mouvements politiques et sociaux, mais aussi à la culture, surtout depuis sa refonte en 2000.
- Le mouvement de solidarité avec la Palestine après la guerre de Gaza. La puissance de la colère ! - Alsoumi Omar p. 176-181 En janvier 2009, durant l'offensive israélienne à Gaza, des milliers de manifestants ont battu le pavé dans de nombreuses villes, en France et dans le monde, reconfigurant en partie le mouvement de solidarité avec la Palestine. Incarnant une nouvelle génération de militants, Omar Somi, 28 ans, impliqué dans l'association Génération Palestine, considère que la campagne Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) contre Israël permet d'offrir un « débouché politique à la révolte populaire » aperçue lors de ces mobilisations.
- L'islam et les lignes de fracture au sein de « la gauche ». Sur le dernier livre de Laurent Lévy « La gauche », les Noirs et les Arabes, La Fabrique éditions, 2010 - Cohen Jim p. 182-184
- Un réalisme intransigeant. À l'occasion du cinquantenaire de la New Left Review - Keucheyan Razmig p. 167-175