- Ricœur, White et le retour de la question du réel - Clivaz Claire p. 10-26
Cet article commence par faire le point sur les derniers stades du face à face entre Ricœur et White autour de la question de l'écriture du réel. Il esquisse ensuite une histoire des liens entre l'histoire et les genres littéraires, pour envisager l'écriture d'une histoire « indisciplinée », en interaction avec le registre des émotions. Ce registre ne permet pas en effet d'établir une ligne de démarcation entre littérature fictionnelle et factuelle. L'article évoque ensuite les contacts actuels de la théorie littéraire avec l'histoire, via le New Historicism et le projet d'une corporeal narratology. La conclusion considère des mondes textuels émergents : l'ère digitale annonce de nouveaux modes d'écriture du réel et du fictionnel, notions qui auront à s'affronter au virtuel.
- Histoire, littérature et philosophie : un travail d'innovation langagière - Bonoli Lorenzo p. 27-38
L'article propose une analyse des relations qu'entretiennent l'histoire, la littérature et la philosophie au niveau des modalités de constitution de leurs connaissances respectives. Dans un premier temps, grâce à un survol historique sur les rapports existant entre ces trois disciplines, l'article souligne l'importance de l'apparition des positions constructivistes pour enfin revoir les frontières disciplinaires et ouvrir un dialogue interdisciplinaire. Dans un deuxième moment, l'article se concentre sur un point où il semble y avoir une analogie entre ces trois disciplines et leurs modalités de construction des connaissances. Histoire, littérature et philosophie présentent en effet un travail d'innovation analogue au niveau du langage : dans les trois disciplines en effet un des enjeux principaux est bien la tentative de porter au langage quelque chose de nouveau qui n'a pas encore été dit.
- L'histoire comme « opération », « deuil » et « meurtre ». Notes sur Michel de Certeau et les « arts de mourir » - Indermuhle Christian p. 39-48
L'histoire, selon Michel de Certeau, est d'abord l'opération d'une rupture et d'un deuil. Sous la figure du médecin-légiste, l'historien opère les cadavres du passé. Celui-ci rend étrange le présent, livré au braconnage des pratiques quotidiennes qui ne cessent de s'en nourrir. Une écriture de l'histoire est alors une attention extrême à ces découpes et à ces rapts paniques, tout autant qu'aux mesures de recouvrement qui ne cessent de les neutraliser, de les étouffer. Ainsi l'histoire n'est-elle ni une herméneutique, ni une dialectique, et encore moins une collection de lieux de mémoire, mais ouverture aux multiples fictions de l'aujourd'hui.
- L'expérience de la poésie. À propos de l'utopie de la littérature chez Adorno - Wiser Antonin p. 49-60
Par utopie de la littérature, j'entends le geste d'élection de la littérature comme réponse aux aspirations philosophiques laissées en souffrance par la philosophie elle-même. Ce geste caractérise le rapport de la pensée adornienne aux textes littéraires. Pour Adorno en effet, la littérature apparaît comme le paradigme d'une relation pacifiée du sujet avec son autre, le non-identique, et cela au travers d'un usage du langage dans lequel la maîtrise subjective se trouve suspendue. L'article se propose d'aborder plus particulièrement le rapport d'Adorno à la poésie par la lecture de deux textes des Noten zur Literatur, consacrés à Hölderlin et à Eichendorff. On verra se dessiner comme l'enjeu central de la poésie la transformation du langage « en seconde nature », tandis que la relation aux œuvres littéraires se laissera penser en terme d'expérience (Erfahrung).
- Espaces phénoménologiques d'Équipée de Victor Segalen - Métroz Aurélien p. 61-77
Cet article se concentre sur la problématique de l'espace au sein des récits de voyage de la première partie du XXe siècle en France en discutant l'exemple de la relation entre Victor Segalen et Nietzsche. L'étude en question s'efforce de donner une compréhension historique de l'élaboration d'espaces post-romantiques (particulièrement à l'œuvre dans les descriptions de paysages) en tenant compte de la réception de la philosophie nietzschéenne en France durant cette période. En questionnant également la phénoménologie en tant que savoir potentiellement convoqué par les voyageurs (ici est abordé le problème du statut de l'imagination dans son rapport à la perception), nous essayons d'évaluer les enjeux épistémologiques contenus dans une étude qui mêle les deux domaines distincts de la philosophie et de la littérature.
- « Dusky Sally » La femme esclave entre histoire et fiction - Chassot Joanne p. 78-91
Au travers d'une étude parallèle de deux femmes esclaves – l'une figure historique, l'autre personnage de fiction – et de la façon dont elles ont été inscrites dans, et surtout hors du récit historique et littéraire américain, cet essai vise d'une part à interroger les biais et les limitations de l'historiographie traditionnelle américaine dans sa représentation de l'esclave, et d'autre part à évaluer le rôle de la littérature dans la critique et la « re-vision » du discours historique. Le roman de Gloria Naylor Mama Day (1988) offre ainsi un détour intéressant pour mettre en lumière les processus discursifs, épistémologiques et idéologiques qui ont permis et perpétué l'absence de femmes comme Sally Hemings, esclave et maîtresse supposée de Thomas Jefferson, dans l'Histoire américaine.