Contenu du sommaire : Le racisme à l'oeuvre

On constate une participation croissante des institutions à la production du racisme. Celles-ci sont en effet amenées à gérer des situations en rapide changement qu'elles ne sont pas préparées à affronter et qui ne sont pas en accord avec les idéaux sur lesquels elles sont fondées. Les diverses formes de racisme se nourrissent de ces contradictions, particulièrement perverses en France où Ion discrimine des populations au prétexte de leur différence culturelle , différence qui n'a théoriquement pas d'existence dans l'espace public.

Le mouvement syndical français défend traditionnellement les droits de tous les travailleurs. Sa référence à la solidarité ouvrière devrait le placer au premier rang des acteurs de la lutte contre le racisme dans les entreprises. Aujourd'hui , pourtant le syndicalisme éprouve des difficultés pour endiguer la montée des pratiques racistes dans le travail dont la discrimination à l'embauche est lune des manifestations les plus visibles.

Dans la lutte contre les discriminations, toute invocation de l'ethnique ou du racial est taboue, ce qui a pour effet d obliger les institutions à des " bricolages " destinés à contourner la lettre de la loi pour tenter de mieux en appliquer l'esprit. A Marseille, les entreprises de Grand Littoral et les pouvoirs publics locaux ont mis en place des procédures de recrutement préférentiel des populations des quartiers nord, ce qui a conduit à instaurer une " discrimination positive " qui ne dit pas son nom. Une expérience qui, malgré ses promesses et son côté iconoclaste, n est pas sans risques.

L'invisibilité institutionnelle des populations issues de l'immigration ne facilite pas la tâche du statisticien. Certains travaux , dont l'enquête MGIS faite par l'Ined avec la collaboration de l'Insee , permettent néanmoins de quantifier la perception par les immigrés du racisme dont ils sont victimes de la part des institutions Police , Justice , services publics. Dans le domaine du logement par exemple, et en particulier dans le parc social , la politique des services d'attribution vise à éviter, au nom de la mixité sociale, les regroupements d'immigrés, remettant en cause le principe d'égalité et la mise en œuvre du droit au logement.

la multiplication des actes de discrimination va de pair avec une ségrégation spatiale de plus en plus marquée : les ethnicités se construisent pour se différencier , au besoin par les insultes ou la violence. Sur le plan individuel , l'intégration ne semble pouvoir s'opérer que par le biais de la consommation , mais la culture de la consommation est en contradiction quotidienne avec la situation vécue. De ce fait l'individu ne peut se définir que par un manque , un déficit, et ne peut affirmer son intégration que de façon négative : racisme, mais aussi sexisme ou violence exercée à l'égard des enfants. Tout langage alternatif est impossible, car il est aussitôt perçu comme une manifestation de communautarisme.

Si la réislamisation des jeunes d'origine musulmane issus de l'immigration inquiète certains , qui y voient une entorse à la laïcité républicaine, il est de plus en plus flagrant que ce retour aux valeurs religieuses représente pour de nombreux jeunes une possibilité de se structurer et d'apprendre certaines des règles de la vie en société L'islamisme radical quant à lui , ne touche qu'une infime minorité des jeunes et constitue une rupture, en réponse au racisme , a l'exclusion et à la mondialisation.

Au fil des ans , le parti lepéniste a étendu son implantation électorale dans les catégories populaires. D'abord plus réticents a l'égard de la formation d'extrême droite que les petits patrons de l'artisanat et du commerce avec lesquels ils ont en partage un faible niveau d'instruction , les employés et surtout les ouvriers ont contribué à l'essor du FN (Front national), au point qu'au premier tour de l'élection présidentielle de 1995 un quart des électeurs ouvriers ont choisi de voter pour Jean-Marie Le Pen. Celui-ci devance alors tous les autres candidats dans cette catégorie sociale, comme il le fait également parmi les chômeurs.

Dans la plupart des pays de l'Union européenne , malgré des législations et des traditions différentes , la discrimination est a l'œuvre. Elle s exprime de façon plus ou moins marquée selon les pays, en fonction du statut et de la visibilité des migrants qui s'y trouvent. Ce racisme semble opérer de manière routinière, sans même que les racistes avérés aient a s'en mêler. Mais cette discrimination, dont certains voudraient faire croire qu'elle est un phénomène "naturel", ne nourrit-elle pas à son tour les idéologies racistes ?

L exigence d égalité, qui est au fondement de l'identité de la gauche , équivaudrait dans le domaine de la politique des flux migratoires , à l'abandon des frontières nationales. Aussi les débats actuels autour de la politique d'immigration entre gauche " réaliste " et gauche " morale recoupent-ils l'opposition entre partisans et adversaires de l'Etat-nation.

La signature du traité d'Amsterdam remet en question les prérogatives historiques des Etats en matière d'immigration , en renforçant sensiblement les moyens d'action de l'Union européenne dans ce domaine. L'asile et l'immigration devraient désormais dépendre de normes communautaires à caractère obligatoire pour les Etats. Perte de souveraineté ou évolution logique de la construction européenne , le débat est ouvert.

Adri : l'intégration locale contre la discrimination. In: Hommes et Migrations, n°1211, Janvier-février 1998. Le racisme à l'oeuvre. p. 128.