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Né de longues tractations tant secrètes que publiques, le Compromis de 1867 accorda une large autonomie à la Hongrie et instaura le Dualisme. Bientôt objet de polémiques et désigné comme une des causes déterminantes de la chute de l'Empire, le Compromis mérite aujourd'hui un réexamen attentif et nuancé.

L'Autriche-Hongrie représente aux yeux du géographe français Elisée Reclus "un chaos politique compliqué de fantaisie administratives". Quel principe régulateur fallait-il adopter: le droit des nationalités ou le "droit historique"?

A Vienne, un fossé sépare la grande bourgeoisie d'origine juive liée à l'Empire et les immigrants de fraîche date, tournés vers leur passé; tandis que Budapest offre l'image d'une communauté plus homogène soudée par le consensus sur l'assimilation et marqué par un judaïsme réformé.

En l'espace de quelques décennies seulement, Budapest, ville à dominante germanophone, se magyarise à une vitesse vertigineuse. Se sentant jeune et neuve, elle se détourne progressivement de la vie culturelle viennoise.

Dans les rapports compliqués entre Vienne et Budapest, l'architecture, la statuaire comme les cérémonies revêtent une importance particulière. Chacune des deux villes tient à incarner l'image de l'Etat et à affirmer sa prédominance.

Vienne et Budapest entre 1867 et 1918 s'inscrivent distinctement dans le processus de la modernité européenne que ce au niveau des arts, des lettres ou de l'architecture tout en continuant à s'opposer dans ces mêmes domaines.

Les théories de Freud sont indissociables de la modernité viennnoise et constituent une réponse à la crise de l'identité du tournant du siècle. Elles trouvent un écho à Budapest où Ferenczi incarne l'école psychanalytique hongroise, qui se distingue par une orientation profondément sociale.

Après la chute de l'Empire, la proclamation et l'effondrement de la République des Conseils en Hongrie, les grandes figures de la vie intellectuelle, politique et artistique de Budapest affluent massivement à Vienne où ils côtoient, dans les cafés, les intellectuels viennois.

Dès la naissance du théâtre dit populaire en 1843, les pièces sont politiques et s'enracinent dans le milieu bourgeois, même si l'action se déroule souvent à la campagne. Les thèmes évoluent au rythme des évènements de l'histoire de l'Empire, tout en conservant leur nature essentiellement hongroise et nationale.

Considérée comme un genre mineur l'opérette ne cesse pourtant d'aborder l'actualité politique, fait office de médiateur de la modernité et invente tout un arsenal de codes culturels et musicaux aisément déchiffrables pour les nouvelles couches moyennes. Elle représente sans doute le seul genre artistique à manifester la pluralité ethnique de l'Empire et à incarner l'idée d'Etat unitaire.

De nos jours, le regard des intellectuels d'Europe Centrale sur la passé austro-hongrois change. On renoue avec une vision positive de la coexistence ethnique. Pourtant le projet d'une exposition internationale pour 1995-96 organisée conjointement par Vienne et Budapest tourne court, de même qu'ont échoué les tentatives d'une célébration symbolique et politique commune à la fin du XIXe siècle.