Contenu du sommaire : Revisiter Adorno

Les concepts de négativité et de critique sont centraux pour Adorno : ils renvoient à ce qui déborde la réalité factuelle en préservant la possibilité d'une société autre. Son esthétique explicite une idée de l'art comme débordement de « ce qui est », y compris de l'art lui-même. Simultanément, l'art est aussi fait social, il incorpore un élément historique. C'est en refusant la contrainte de l'empirique - et non pas en y abdiquant - que ce dernier est présent sous forme sublimée dans les œuvres. Adorno privilégiait la seule musique capable d'incarner cette négativité en exprimant des expériences de bonheur : celle issue des expérimentations des avant-gardes, en marge du système totalisant de l'industrie culturelle abîmant toute négativité. Cette fixation sur ce type de musique, vue comme la seule assurant la négativité, a enfermé Adorno dans une certaine tradition musicale en le rendant insensible aux innovations subversives et aux expériences d'écoute collective au sein de la musique pop.

En puisant dans les analyses de Th. W. Adorno concernant le spectateur et ses rapports avec l'œuvre d'art, cet article esquisse d'abord un double questionnement. D'une part, celui de savoir comment le philosophe se rapporte au spectateur-contemplateur classique, naturalisé et figé par le type d'autonomie de l'art élaboré par Immanuel Kant. D'autre part, celui de comprendre pourquoi Adorno affirme que le spectateur réifié dans l'art classique par ses règles constitutives facilite le déploiement des industries culturelles. Ceci montré, il débouche sur une troisième perspective. Qu'en est-il alors de l'art moderne qu'Adorno loue pour ses pratiques participatives ? Cette participation favorise-t-elle ou non la critique du poids des industries culturelles sur les consciences ? Sur ce plan, les réponses d'Adorno ne nous semblent pas convaincantes. Il échoue nous semble-t-il à donner corps à une pratique de l'émancipation, laquelle ne se contenterait pas de pousser chacun de nous à se réapproprier la culture mais se proposerait de réveiller en chacun de nouvelles capacités à lutter pour son émancipation.

La présente étude tente de recadrer la critique de la culture d'Adorno : souvent considérée comme centrée sur le contenu des produits culturels, nous essayons de montrer qu'elle vise avant tout la forme « marchandise » en ce que cette dernière transforme la culture en objet. Si le monde de la culture est compris, avec Adorno, au sens freudien de « civilisation », cette chosification du culturel signifie l'impossibilité matérielle, pour les individus singuliers, de participer aux pratiques culturelles qui sont les leurs. C'est cette exclusion des individus de l'agir commun qui se trouve au centre de la critique. D'un point de vue de la méthode la question centrale d'Adorno est donc « que fait faire la culture aux individus d'un univers culturel donné ?

Partie intégrante du vocabulaire courant de la sociologie de la culture, des médias et de la communication, le terme d'« industrie culturelle » décrit couramment les entreprises économiques œuvrant dans le domaine de la culture et de la communication. Sous la plume de ses initiateurs, Theodor W. Adorno et Max Horkheimer, le concept avait cependant une portée plus large, au carrefour de l'esthétique, de l'économie politique et de la psychanalyse. La première se penche sur l'étude interne des œuvres culturelles, la seconde examine les transformations du capitalisme, la troisième s'intéresse au devenir de l'individu et aux mutations des structures familiales. À ne pas saisir la relation entre ces différents domaines, on fait perdre au concept d'industrie culturelle sa portée singulière. Ce texte retrace la genèse et l'élaboration de ce concept dans les travaux d'Adorno, jusqu'à ses reprises tardives, en insistant sur le rôle qu'a joué la recherche empirique interdisciplinaire au sein de l'Institut de recherche sociale. Un tel examen vise à faire ressortir la portée de ce concept et à en proposer une reconsidération contemporaine.

Une rétrospective critique du texte de Theodor W. Adorno “The Psychological Technique of Martin Luther Thomas' Radio Addresses” apporte un nouvel éclairage sur une tension souvent sous-estimée de sa pensée concernant la capacité de la culture de masse à exprimer de la résistance face à la domination. En approchant les débuts de la radio chrétienne de droite de façon cohérente avec sa défense de la dimension autonome de la culture, Adorno va au-delà de la dénonciation de la culture de masse en tant qu'industrie culturelle. Cette étude s'inscrit en même temps dans le travail préparatoire de la théorie de l'industrie culturelle, qui guide les conclusions de l'étude. Cette critique confirme l'ambivalence d'Adorno vis-à-vis des aptitudes négatives de la culture de masse puisque cette approche fait autant appel à la théorie de l'industrie culturelle qu'à une version modifiée de la méthode de la critique immanente permettant d'identifier de manière dialectique les éléments idéologiques ainsi que les moments de résistance de la radio de chrétienne de droite actuelle.

Les sites de rencontres apparaissent comme un mode de coordination congruent à une société en réseaux où la grandeur des individus est avant tout marquée par leur capacité à se prendre en main et à concevoir leur vie comme un projet. Ces sites posent cependant deux principaux problèmes qu'il est possible d'analyser avec les catégories de l'économie des conventions. Ils impliquent de s'extraire d'une logique calculatoire, alors que le design des sites, comme les systèmes d'appariement qu'ils proposent, invitent à une mise en équivalence et à un traitement en propriétés. Ils conduisent ensuite à renoncer à l'abondance des possibles proposés pour prendre acte du caractère limité de l'attention et laisser s'exprimer différents registres émotionnels. C'est finalement à un déplacement des épreuves de la rencontre amoureuse et aux compétences mobilisées pour la réussir qu'invite l'usage des sites de rencontres.

Cet article, inscrit dans une recherche sur les usages sociaux de sites de rencontres, se propose d'analyser la manière dont se structure la toile de ces espaces internet en France. À partir notamment d'un inventaire de plus de mille sites nous présentons à la fois la diversité des plates-formes proposées et la manière dont l'organisation de celles-ci diffère en fonction de la population ciblée. Dans un contexte scientifique où la rencontre en ligne est généralement étudiée à travers les pratiques majoritaires et les sites dominants, l'objectif consiste à montrer comment les internautes sont approchés et se voient proposés des outils différents selon leurs caractéristiques sociales. Avec l'idée qu'une connaissance de l'interface constitue une condition préalable à la compréhension de l'usage qui en est fait, nous proposons une analyse des champs des possibles que dessinent différents sites à travers à la fois l'architecture, le design et le cadre discursif employé.