Contenu du sommaire : Politiques d'économisation

Revue Politix Mir@bel
Numéro vol. 24, no 95, 2011
Titre du numéro Politiques d'économisation
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial - p. 3-5 accès libre
  • Dossier

    • Tenir lieu de politique : Le paradoxe des « politiques d'économisation » - Dominique Linhardt, Fabian Muniesa p. 7-21 accès libre avec résumé
      Conçu dans une perspective introductive, cet article se propose de mettre en lumière certains enseignements qui émergent des différentes contributions qui composent le dossier sur les « politiques d'économisation ». En partant du constat que celles-ci mettent en jeu une forme paradoxale de politisation, l'objet est d'attirer l'attention sur trois figures analytiques qui se retrouvent, à des degrés divers et suivant différentes modalités, dans l'ensemble des études présentées. Ce premier inventaire indique que les politiques d'économisation gagnent à être abordées suivant trois dimensions : (1) dans la première dimension, il convient de les comprendre comme un contournement du politique ; (2) dans la deuxième dimension, il convient de les comprendre dans leur opposition au politique ; (3) dans leur troisième dimension, il convient de les comprendre comme des politiques qui ne disent pas leur nom. Ces trois dimensions sont désignées par les notions de « subpolitique », d'« antipolitique » et de « quasi-politique », et font chacune l'objet d'une tentative de caractérisation.
    • Une « Algérie californienne » ? : L'économie politique de la standardisation dans l'agriculture coloniale (1930-1962) - Antoine Bernard de Raymond p. 23-46 accès libre avec résumé
      Partant de l'expérience de standardisation des fruits et légumes dans l'Algérie coloniale, des années 1930 à l'indépendance, cet article décrit les différents sens que revêt la standardisation et comment celle-ci, en fonction du sens qui lui est donné et de sa portée, peut avoir une dimension politique. Dans son sens économique, la standardisation consiste a minima à homogénéiser certaines caractéristiques du produit fini, et a maxima à transformer l'ensemble des espaces sociaux parmi lesquels il circule pour les aligner sur un même espace de calcul. En l'occurrence, la politique de standardisation menée en Algérie vise à passer d'un capitalisme d'intermédiaires à une « économie concertée », maîtrisée par des coopératives de producteurs, en vue de la conquête de marchés de masse dans un contexte de libre-échange mondial. Mais la standardisation ne remplit pas qu'un but économique : elle s'inscrit dans une logique bureaucratique de technicisation du gouvernement, ainsi que dans un projet politique visant à relancer la colonisation en développant un peuplement dense d'agriculteurs européens à l'intérieur des terres algériennes. Enfin, la standardisation correspond à une logique de transformation des conduites de vie, à la massification de la production et des débouchés, et à l'uniformisation du goût, étant supposées favoriser une forme de pacification de la société. Dans cette dernière acception, la standardisation apparaît paradoxalement comme politique, en ce qu'elle cherche à éviter le politique pour le réduire à l'économique.
    • Faire la réalité ou s'y faire ? : La modélisation et les déplacements de la politique économique au tournant des années 1970 - Thomas Angeletti p. 47-72 accès libre avec résumé
      Comment se constitue, se consolide et se déploie une certaine réalité économique ? Cet article étudie la question à travers la situation du Commissariat général au Plan à la fin des années 1960. Si celui-ci occupe alors une place importante dans l'espace politico-administratif, il fait toutefois l'objet de nombreuses remises en cause, en raison particulièrement de la force alors accordée au marché et à la concurrence extérieure. L'introduction dans ce cadre d'un modèle macroéconomique dénommé « FIFI », élaboré par une équipe d'économistes de l'INSEE, s'accompagne de certains déplacements quant au mode de fabrication des politiques économiques et de leurs finalités. Il a ainsi été conçu de manière à dresser un tableau de l'économie française en 1975 si aucune décision n'était prise, afin d'identifier les problèmes économiques à venir et de déterminer les solutions pouvant être proposées. En ce qu'il est un instrument d'attribution de causalités (entre différentes entités telles que le salaire, le chômage ou encore la contrainte extérieure), le modèle FIFI tend à déplacer le type d'imputations sur lesquelles s'appuient les participants au Plan, et notamment les organisations syndicales. Ainsi, ces métrologies économiques n'ont pas pour seule conséquence de faire une réalité chiffrée et relativement autonome ; elles déstabilisent également d'autres formes politiques, celles-ci explicitement fondées sur des valeurs.
    • Du ministère à l'agence : Étude d'un processus d'altération politique - Dominique Linhardt, Fabian Muniesa p. 73-102 accès libre avec résumé
      Les études se multiplient qui constatent que l'État, qui a émergé de la modernité comme une réalité essentiellement politique, est aujourd'hui traversé par des logiques hétéronomes qui puisent leur inspiration dans les savoirs de management. Plus rares sont en revanche les études qui cherchent concrètement à observer et à documenter le passage d'une définition politique à une définition gestionnaire de l'État, et les incertitudes auxquelles cette transformation donne lieu. C'est ce que propose cet article à partir d'une analyse de la mise en oeuvre de la « Lolf » au ministère de la Recherche entre 2001 et 2007. L'intérêt de ce cas est qu'on y observe un conflit entre, d'un côté, une lecture de la réforme qui reste attachée au caractère politique des décisions publiques et, de l'autre, une lecture qui, à l'inverse, tend à indexer les décisions publiques à des contraintes économiques et budgétaires. L'enquête a permis de reconstituer par quelles opérations, indissociablement techniques et sémantiques, la seconde option l'a emporté sur la première, contribuant ainsi au déplacement de l'administration publique qui se trouve définie de façon croissante suivant le modèle de l'agence. Ce mouvement par lequel un « État-entreprise » se substitue pas à pas à un « État-ministère » est interprété comme un processus d'« impolitisation », compris comme une altération du politique ? au double sens du terme ?, dont il convient de prendre la mesure si les sciences sociales du politique souhaitent continuer à participer à l'intelligence des transformations contemporaines de l'État et de la politique.
    • De la « solution » au « problème » : La problématisation de l'obligation d'achat de l'énergie solaire photovoltaïque en France et en Allemagne - Ariane Debourdeau p. 103-127 accès libre avec résumé
      Cet article étudie, à partir du cas d'un instrument d'action publique spécifique, les tarifs d'achat du photovoltaïque, le mouvement qui va de la solution au problème. Dans un premier temps, il examine la manière dont cet instrument « providentiel » en Allemagne se transforme dans le contexte français en problème public, au point d'être suspendu provisoirement par un moratoire très controversé. Au-delà de la simple analyse de la construction d'un problème public, il montre dans un second temps que la controverse suscitée par l'instrument rend visible les modes de problématisation au principe de l'adoption d'une telle réponse fondée sur la création étatique de conditions de marché comme forme de gouvernement de l'énergie et du climat. Cette problématisation néolibérale actualisée par l'instrument fait émerger deux interrogations fondamentales relatives à la subsomption du citoyen sous le consommateur et à l'incertitude qui en découle quant aux collectifs destinataires de l'action publique.
    • La souveraineté est-elle privatisable ? : La régulation des compagnies de sécurité privée comme renégociation des frontières de l'État - Cyril Magnon-pujo p. 129-153 accès libre avec résumé
      À partir d'une analyse des régulations mises en oeuvre depuis une décennie autour des activités de violence privée, cet article se propose de revenir sur l'apparent constat de privatisation de l'État. L'usage croissant des compagnies de sécurité privée par les États traduit en effet l'extension et la normalisation de logiques marchandes comme mode de gouvernement, y compris dans la conduite de la guerre. Cependant, les limites de ce marché de la sécurité et le développement conséquent de contrôles autour de cette activité commerciale invitent à infirmer la vision d'un simple retrait de l'État. L'émergence, en trois séquences, d'une régulation où l'État se réinvestit progressivement, permet alors de constater in fine sa respécification en tant qu'autorité légitime et souveraine, au cours de ce processus de sous-traitance de la violence et de son contrôle.
    • Marchés efficients, investisseurs libres et États garants : trames du politique dans les pratiques financières professionnelles - Horacio Ortiz p. 155-180 accès libre avec résumé
      Au cours des trente dernières années, la régulation financière a été réorientée suivant un projet politique visant à établir des « marchés efficients » où des « investisseurs libres » contribuent à une « allocation optimale » des ressources et un « État minimal » réduit à un simple rôle de « garant » du fonctionnement du système. Cependant, l'établissement de nouveaux cadres de l'industrie financière informés par ces concepts a progressivement conduit à un effacement des marques de la généalogie politique dont ils procèdent : ils apparaissent ainsi finalement comme de simples outils techniques aux mains des professionnels aptes à les manipuler dans des contextes pratiques. L'analyse des pratiques quotidiennes de gérants de fonds investissant dans des dérivés de crédit avant la crise, en 2004 à Paris, confirme ce constat, mais montre aussi que cette technicisation n'est pas totale : dans des situations de changement et de conflits, les mêmes concepts sont susceptibles d'embrayer de nouveau sur des justifications morales et politiques selon les lignes des philosophies libérales dont ils sont issus. Cela révèle qu'alors que le système financier correspond à un cadre dans lequel la distribution inégale du crédit, en tant que question technique, ne peut pas être discutée comme un enjeu politique, c'est-à-dire comme un rapport de forces, cette technicisation ne se comprend que comme étant elle-même de nature politique et dès lors comme participant à ce rapport de forces : la tension qui se dessine entre le technique et le politique apparaît alors comme un rapport interne au projet politique dans lequel s'inscrit la finance contemporaine.
  • Varia

    • Organiser la résistance contre une restructuration lourde : Le travail de militants syndicaux - Rachel Beaujolin-Bellet, François Grima p. 181-206 accès libre avec résumé
      Les conflits d'opposition aux projets de restructurations lourdes sont souvent intenses. Pour comprendre la construction de ces formes de résistance, nous nous appuyons sur des récits de vie menés auprès de trente-cinq militants syndicaux ayant animé des luttes contre des restructurations lourdes. Dans une situation de fortes tensions comportant des enjeux importants, en termes de maîtrise des actions par le militant syndical, de maintien dans la durée de la mobilisation des salariés, de divergences potentielles sur les finalités de la lutte, mais aussi de conciliation de vies pour le leader syndical lui-même, il apparaît que les actions ouvertes et les actions cachées, les actions collectives et les actions individuelles sont articulées pour organiser la résistance. Cette organisation d'ensemble repose sur un travail d'animation en réseau, pour lequel le militant syndical s'appuie à la fois sur des alliés, sur des dispositifs d'interaction permanente avec les salariés, et sur une équipe restreinte de personnes de confiance. Se pose alors la question des facteurs individuels et contextuels tels qu'ils semblent favoriser l'émergence de ces ressources externes et internes.
    • Une xénophobie d'État ? : Les « médecins étrangers » en France (1945-2006) - Marc-Olivier Déplaude p. 207-231 accès libre avec résumé
      La xénophobie constitue le principal fondement des barrières légales qui ont été mises en place entre la fin du XIXe siècle et les années 1930 pour dissuader les étrangers d'exercer la médecine en France. Doit-on pour autant considérer que cette xénophobie, inscrite dans le droit, demeure le principal facteur explicatif du cantonnement des médecins originaires des ex-colonies et protectorats français à des emplois peu valorisés à l'intérieur du champ médical et des décisions publiques qui ont été prises à leur sujet avant les mesures de régularisation de la fin des années 1990 ? Prenant appui sur une enquête sociologique et historique, cet article propose d'apporter des éléments de réponse à cette question en analysant l'évolution de la situation des « médecins étrangers » et des débats et mesures dont ils ont fait l'objet de l'après-guerre au milieu des années 2000.
  • Notes de lecture