Contenu du sommaire : L'islam au-delà des catégories
Revue | Cahiers d'études africaines |
---|---|
Numéro | no 206-207, 2012 |
Titre du numéro | L'islam au-delà des catégories |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Les classifications en islam - Fabienne Samson p. 329-349
- La « question musulmane » en France au prisme des sciences sociales : Le savant, l'expert et le politique - Vincent Geisser p. 351-366 L'émergence d'une « question musulmane » au sein de l'espace hexagonal a suscité un nombre croissant de travaux en sciences sociales depuis le début des années 1980. Contrairement à toute attente, ce ne sont pas les chercheurs arabisants issus des cursus d'islamologie classique qui ont investi ce nouvel objet mais davantage les sociologues et les politologues en phase avec les demandes sociales et politiques du moment. Ce désengagement de l'islamologie classique des problèmes musulmans du temps présent s'explique très largement par le processus de « décolonisation mentale » qui a touché les sciences sociales et le discrédit idéologique jeté sur la tradition orientaliste, contrainte de se replier sur le milieu universitaire et le champ académique, créant ainsi un vide dans la compréhension des phénomènes islamiques contemporains. À l'inverse, les politologues ont très largement investi l'objet « islam de France », au risque de brouiller les frontières entre science et expertise.
- Trajectoires d'évolution de l'islam au Burkina Faso - Mara Vitale p. 367-387 Dans les derniers temps, les formes associatives islamiques au Burkina Faso ont connu une évolution importante, déterminée d'une part par l'accroissement de la dimension transnationale de l'islam et, d'autre part, par une implication plus directe de cette religion dans la vie sociopolitique du pays. Dans cet article, à travers la description et l'analyse de trois associations islamiques, nous essayons de comprendre les raisons de cette évolution ainsi que les stratégies mises en acte par les autorités religieuses dans la reconfiguration de leurs zawiyas ou associations, et leur repositionnement dans l'espace public burkinabé. Nous essayons en outre de décrire l'évolution de la figure même de guide spirituel, et proposons une possible classification des ces nouvelles formations associatives.
- Chérif Ousmane Madani Haïdara et l'association islamique Ançar Dine : Un réformisme malien populaire en quête d'autonomie - Gilles Holder p. 389-425 Ce texte analyse le mouvement islamique Ançar Dine fondé en 1991 par Chérif Ousmane Madani Haïdara, un personnage charismatique qui a bouleversé les modalités d'expression de l'islam dans l'espace public malien. Ançar Dine est une organisation dont la forme hybride oscille entre association de la société civile, ONG caritative, confrérie intramondaine et internationalisme fédéraliste. Comptant plus de 70 000 membres, essentiellement au Mali, en Côte-d'Ivoire et au Burkina Faso, Ançar Dine est devenue un espace de critiques à l'égard de l'establishment et la principale force d'opposition à la réforme sunnite communément appelée « wahhabite ». Il prône un réformisme « africain » et une confirmation islamique fondée sur le serment coranique appelé bay?a. Travaillé par une tension croissante entre le charismatique et le bureaucratique, Ançar Dine vise en final à mettre en place un espace d'autonomie spirituelle, sociale, économique et politique qui se fonde sur une « raison populiste ».
- Heirs of the Sheikh Izala and its Appropriation of Usman Dan Fodio in Niger - Abdoulaye Sounaye p. 427-447 Les études d'Izala au Niger ont surtout porté sur des caractères qui ont réduit ce mouvement de réforme islamique à un anti-soufisme. À travers les représentations qui mettent en exergue ses tendances wahabi-salafistes, Izala apparaît non seulement à l'opposé du soufisme, mais est aussi perçu comme un mouvement venu d'ailleurs. Cet article démontre que ces représentations ne font qu'une généalogie partielle d'Izala. En effet, malgré son appartenance à la confrérie Qadiriyya, Usman Dan Fodio inspire beaucoup les discours et les pratiques Izala. Dans les milieux Izala, son oeuvre, ses actes et ses idées sont aujourd'hui perçus comme de véritables moments izala. La thèse avancée par l'auteur repose sur les discours et les représentations de deux organisations qui illustrent toutes les deux la façon dont Izala se réapproprie et réinvente l'héritage d'Usman Dan Fodio tout en le célébrant comme le véritable sunnite et cheikh de la sunna. D'un point de vue théorique, l'intérêt de la démarche ici est moins d'analyser le mode d'action d'Izala, que de noter la façon dont la littérature sur ce mouvement s'est surtout inspirée d'une dichotomie soufi/anti-soufi, qui, dans le cas d'espèce, contribue à une rigidité des catégories et de l'appareil conceptuel que nous utilisons pour rendre compte de ce mouvement. De ce point de vue, en analysant comment Usman Dan Fodio est présenté comme un ?lieu de mémoire?, cet article voudrait porter un éclairage nouveau sur la généalogie de ce discours de réforme et en même temps interroger les catégories utilisées pour le décrire. En fait, l'intérêt de cette appropriation d'Usman Dan Fodio réside moins dans l'interpellation à redéfinir Izala que dans la nécessité de repenser notre dispositif conceptuel face à ce courant.
- Du wahhabisme aux réformismes génériques : Renouveau islamique et brouillage des identités musulmanes à Ouagadougou - Maud Saint-Lary p. 449-470 Depuis plus d'un demi-siècle, on assiste en Afrique de l'Ouest à l'émergence de mouvements dénommés selon les lieux par les termes de « wahhabites », « salafistes » ou encore « isâlistes ». Ces mouvements se distinguaient autrefois par leur lecture littéraliste des textes islamiques, leur tendance à prôner un retour aux sources et une purification des moeurs qui se marque dans les corps par la prière les bras croisés, le port de la barbe pour les hommes, la robe noire et le voile intégral pour les femmes, le refus des cérémonies ostentatoires et une critique de l'islam anciennement implanté d'influence soufie. Si leur implantation a souvent donné lieu à des conflits violents, cinquante ans après, on constate que leur conception de l'islam fait l'objet d'une relative banalisation dans les discours publics des élites islamiques. À travers un cas burkinabé, cet article décrit comment en dépit de son hétérogénéité, la sphère islamique arbore un langage qui homogénéise le discours « islamiquement correct » et les pratiques. Ceci conduit à une sorte de consensus autour de certains discours et marqueurs autrefois référés aux communautés wahhabites. Ce phénomène, symptomatique de la ville, conduit à faire l'hypothèse que le réformisme de type wahhabite s'est transformé progressivement en un réformisme que l'on peut qualifier de « générique ».
- Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin : Catégorisations, auto-identifications - Denise Brégand p. 471-491 Cet article interroge les catégories employées pour caractériser l'islam à partir d'enquêtes anthropologiques au Bénin, en s'intéressant particulièrement à la catégorie « réformiste » et à sa variante « fondamentaliste ». Comment « les autres », autres musulmans, non-musulmans et chercheurs, catégorisent-ils ces croyants et militants de la « réislamisation » et comment ces acteurs s'auto-identifient-ils ? Sur le terrain, les classifications ne sont pas aussi tranchées ; dans le brouillage des catégories qui caractérise le champ de l'islam, des passerelles existent entre les différents courants, et certains croyants passent d'un mouvement à l'autre, à la recherche du groupe qui réponde à leurs désirs de religion et de sociabilité.
- Du militant à l'entrepreneur : Les nouveaux acteurs religieux de la moralisation par le bas en Côte-d'Ivoire - Marie Nathalie LeBlanc p. 493-516 Dans cet article, nous abordons la question du rapport entre jeunesse et réforme en islam. Nous proposons ici d'examiner les diverses manières à travers lesquelles les jeunes musulmans construisent de l'intérieur les références à l'islam en Côte-d'Ivoire depuis les années 1990. Tandis que le militantisme de la jeunesse des années 1990 est relativement bien documenté en Côte-d'Ivoire, comme ailleurs dans la sous-région, le rapport à l'islam des jeunes issus de la crise militaro-politique reste beaucoup moins connu. De fait, depuis le début des années 1990, deux figures et deux manières de s'inscrire dans les diverses catégories de l'islam ivoirien se démarquent : celle du « militant » qui prévaut dans les années 1990 et celle de l'« entrepreneur » qui gagne du terrain dans la première décennie du XXIe siècle. Même si notre analyse s'inscrit dans la trame diachronique de ces deux figures, elle portera spécifiquement sur l'expérience, la façon de s'affirmer musulman et l'imaginaire religieux des jeunes issus de la crise militaro-politique. Nous tenterons de cerner les assises de la moralisation de la société évoquées par ces jeunes. Les données empiriques exploitées dans cet article proviennent d'une étude ethnographique menée en 2008 dans les villes de Bouaké et d'Abidjan, plus spécifiquement nous traitons de trajectoires de vie recueillies auprès de jeunes hommes et de jeunes femmes.
- The Muslim Minority of the Democratic Republic of Congo : From Historic Marginalization and Internal Division to Collective Action - Ashley E. Leinweber p. 517-544 L'histoire de la communauté musulmane minoritaire de la République démocratique du Congo peut être caractérisée comme celle de la répression et de la marginalisation, surtout pendant la colonisation belge. Ce qui a encore aggravé les luttes de cette minorité musulmane congolaise, ce sont les conflits internes à la communauté pendant la période post-indépendance. Ces luttes s'apparentent aux tensions sufi/réformistes dans certaines parties du continent, mais avec des variations importantes aux niveaux local, provincial, et national au Congo. Toutefois, dans la période de l'après-conflit, une direction nationale unie a émergé pour encourager la prolifération des associations islamiques et leur faire jouer un rôle dans le développement d'après-conflit. L'aspect le plus remarquable au sujet de la mobilisation de la communauté musulmane minoritaire au cours de ces dernières années est peut-être sa contribution à fournir une éducation publique de qualité.
- L'« islamisme » d'hier et d'aujourd'hui : Quelques enseignements de l'Afrique de l'Ouest - Ousmane Kane p. 545-574 Au lendemain de la révolution islamique iranienne de 1979, une abondante littérature a été produite en Occident sur l'islamisme en réponse à la demande des décideurs politiques. Jusque-là l'apanage de quelques orientalistes, l'étude de l'islam est devenue un champ de recherches multidisciplinaire impliquant des chercheurs dans toutes les branches des sciences humaines et sociales. Cet article, qui est axé sur l'Afrique de l'Ouest, questionne de nombreuses idées reçues concernant l'islamisme. L'idée maîtresse de l'article est que l'islamisme n'est pas un nouveau phénomène. L'auteur fait également valoir que les islamistes ne sont pas majoritairement salafi. Enfin, il défend l'idée que les islamistes ne sont pas violents par essence. Ce qui est nouveau, d'après l'auteur, c'est la perception que l'Occident a de l'islam comme danger en Occident.
- La diversité du fondamentalisme sénégalais : Éléments pour une sociologie de la connaissance - Mame-Penda Ba p. 575-602 Cet article s'intéresse à l'analyse des processus de pluralisation religieuse au Sénégal. Plus spécifiquement, il étudie la diversification religieuse au sein de la mouvance fondamentaliste sénégalaise qui se traduit par exemple par l'émergence de nouveaux groupes, de nouvelles figures d'entrepreneurs religieux ou encore par une démultiplication de l'offre religieuse. Deux objectifs majeurs sous-tendent cette recherche. Il s'agit d'abord de déconstruire la manière de rendre compte de ces dynamiques de pluralisation religieuse dans la mesure où les modes de production d'une telle connaissance ne respectent pas toujours les conditions élémentaires de scientificité. Nous montrons l'importance de construire une pratique de recherche qui prenne en charge en amont un certain nombre de précautions méthodologiques et épistémologiques. Ensuite, nous proposons une typologie opératoire du fondamentalisme au Sénégal, qui est une véritable « mouvance plurielle et contradictoire » et une interprétation dynamique de ce phénomène de pluralisation religieuse en termes de « tournant axial » moderne.
- Les catégories dénominatives de l'islam à l'épreuve d'un objet « mutant » : Le cas du Parti de la justice et du développement marocain - Haoues Seniguer p. 603-633 L'islamisme (ou islam politique) au même titre que l'islam est une construction sociale d'acteurs situés dans l'espace et le temps et mus par toutes sortes de représentations auxquelles ils souhaitent donner une consistance pratique. De la même manière qu'il est inapproprié de parler de l'islam au singulier, compte tenu de la diversité des modes d'appartenance et d'identification à cette religion (ou philosophie de l'existence), il est tout aussi inconvenant de parler de l'islamisme au singulier. En effet, même si l'islamisme consiste en une politisation (conflictuelle) de l'islam qui s'abreuve généralement aux mêmes sources doctrinales, c'est-à-dire essentiellement dans les oeuvres des Frères musulmans d'Égypte mais pas seulement, il n'en demeure pas moins tributaire, dans la forme qu'il prendra, de facteurs historique et politique à chaque fois spécifiques selon les pays concernés. Tout comme les grandes idéologies séculaires telles que le socialisme et le libéralisme, après des décennies, l'islamisme ou l'islam politique, connaît, partout où il s'est implanté, un phénomène de reconfiguration (terme préféré à ceux d'« échec », de « déclin » ou de post-islamisme) de son idéologie, successive à la crise de sens et de projet qui le traverse, notamment à l'épreuve de l'expérience parlementaire. L'expérience des islamistes marocains du PJD en est une parfaite illustration.
- Les mutations paradoxales de l'islamisme en Mauritanie - Zekeria Ould Ahmed Salem p. 635-664 L'entrée dans la scène politique officielle des mouvements islamistes impose des recentrages idéologiques d'autant moins réductibles à la dynamique de la « modération » qu'ils vont souvent de pair avec l'apparition de courants extrémistes, fut-ce aux marges. L'exemple de la trajectoire des islamistes mauritaniens permet d'illustrer cette ambivalence en prêtant attention au poids des conditions concrètes de l'action politique et au rôle de l'environnement institutionnel.
- Les petites « liturgies » politiques de l'islam au Gabon : Ou comment lire les liens entre le politique et l'islam minoritaire - Doris Ehazouambela p. 665-686 Ce texte analyse les liens qui existent au Gabon entre le pouvoir politique et l'islam minoritaire. D'une religion introduite par des vagues d'immigrations successives, l'islam connaît sa conjoncture au début des années 1970, avec notamment la conversion des « Mamadou », des hommes politiques autour de la figure tutélaire de l'ancien président Omar Bongo-Ondimba. Par une stratégie politique d'accumulation des pouvoirs, El Hadj Omar Bongo-Ondimba devient le « calife général » des musulmans de son pays. Ce positionnement donne à son pays accès à des pétrodollars dont les pays du monde arabo-musulman sont pourvoyeurs. Mais aussi à travers la mise en visibilité de l'islam sur le plan local, le Gabon développe une coopération multilatérale avec les mondes musulmans. De plus, l'organisation de l'islam en Conseil supérieur des affaires islamiques du Gabon (CSAIG) permet à l'État d'organiser la communauté musulmane et de conserver ainsi la cohésion sociale de son hétérogénéité. Ce texte tente de répondre au questionnement suivant : quel type de rapports le politique entretient avec l'islam au plan local et international ? Comment se structure l'umma gabonaise ?
- Analyses et comptes rendus - p. 687-722