Contenu du sommaire : L'argent, circuits et circulation
Revue | L'Année sociologique |
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Numéro | vol. 63, no 1, 2013 |
Titre du numéro | L'argent, circuits et circulation |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
L'Argent, circuits et circulation
- Introduction - Pierre Lascoumes p. 9-15
- Financiarisation et fractures socio-spatiales - Olivier Godechot p. 17-50 L'article complète les travaux sur la financiarisation des économies contemporaines à partir de données portant non pas sur les comptes des entreprises, mais sur la composition de leur personnel. Il retient pour cela plusieurs indicateurs susceptibles de signer la puissance directe et indirecte de la finance contemporaine : l'importance et la concentration relative au sein des fractions les mieux payées des salariés travaillant dans le secteur de la finance, au sein des holdings des entreprises non-financières, dans le secteur du conseil aux entreprises ou comme cadres financiers des entreprises non-financières. La concentration des salariés de la finance au sein des salariés les mieux payés semble être le phénomène le plus marquant du processus de financiarisation. L'article examine ensuite les conséquences de la financiarisation sur les inégalités socio-spatiales. À l'accroissement des inégalités, phénomène déjà connu et mis en évidence dans nos précédents travaux, s'ajoute un phénomène de fractionnement du territoire entre la « ville globale » (le grand Paris et en particulier son quartier d'affaires de La Défense) qui possède un centre financier international et les autres parties du territoire. Ainsi, le processus de ségrégation spatiale devient massif dès lors qu'on monte assez haut dans la distribution des salaires et qu'on prend en compte le lieu de travail. Quoique de moindre ampleur, la concentration des salariés riches, produite par la financiarisation, participe à la ghettoïsation résidentielle des salariés les plus fortunés.Financialization and Socio-spatial Divides
Our paper contributes to the literature on financialization of modern economy and relies on firm staff data instead of the usual company accounts data. It uses for this aim several indicators that reveal the direct or indirect power of contemporary finance : importance and relative concentration within top paid wage-earners, of the finance sector, of holdings in non-finance firms, of business consulting, and of financial managers in non-finance firms. Concentration of the finance sector among top wage earners seems to be the most striking phenomenon of the financialization process. The article then examines the impact of financialization on socio-spatial inequalities. To the increase in inequality, a phenomenon already known and demonstrated in our previous work, adds a phenomenon of territory division between the “global city” (Greater Paris and in particular its business district of La Défense) which has an international financial center and other parts of the territory. Thus, the process of spatial segregation becomes massive once we climb high enough in the wage distribution and we take into account the workplace. Albeit on a smaller scale, the concentration of working rich produced by financialization contributes to the residential ghettoization of the wealthiest wage earners. - Les paradoxes de l'institutionnalisation de la lutte contre la pauvreté en France - Frédéric Viguier p. 51-75 Pour lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale qui augmentent dans les années 1980 en raison de la croissance du chômage et du sous-emploi, la France transforme son système de protection sociale. A côté des assurances sociales liées à l'emploi salarié stable, se met en place un système spécifique, subsidiaire, universel et minimal. Ce système vise en théorie à réparer les assistés ; il ménage un rôle important aux avocats des personnes pauvres ; il s'appuie sur une information économique et sociale qui scrute les dispositifs et leurs bénéficiaires. Près de trois décennies plus tard, le système n'a pas enrayé la pauvreté. Pire, il contribue à stigmatiser celles et ceux qui la vivent. L'argent des pauvres reste rare et insuffisant. S'il remédie aux pires situations de pauvreté, il fait aussi l'objet de soupçons d'intempérance et de contrôles accentués.Anti-poverty Policies in France : the Paradoxes of an Institutionalisation
In order to combat the poverty and social exclusion caused by rising unemployment and underemployment in the 1980s, France has changed its social welfare system. Parallel to the social benefits associated with regular employment, France has created a specific system for the poor – one that is subsidiary, universal and minimal. In principle, this system aims at rehabilitating assisted people ; it gives a key role to poor people's advocates ; it relies on a social and economic expertise that scrutinizes the new schemes and their recipients. Almost three decades later, this system has not been successful in curbing poverty. Even worse, it adds to the stigmatization of poor people. Their income has remained scarce and insufficient. While the minimum income does alleviate the worst situations, recipients are suspected of intemperance and submitted to increased controlling. - Entre « quantitatif » et « qualitatif ». Comment les investisseurs professionnels évaluent les gérants d'actifs financiers - Pierre de Larminat p. 77-105 Pour rendre compte de leurs placements, les investisseurs professionnels mobilisent des dispositifs d'analyse censés leur permettre de domestiquer l'incertitude financière. Ils les classent selon qu'ils sont « quantitatifs » ou « qualitatifs ». Cette représentation de leurs pratiques correspond aux ressources qu'ils ont acquises par socialisation et à la division sociale du travail d'analyse financière. En revanche, elle ne rend compte ni du sens technique des opérations d'analyse ni de la relation fonctionnelle qui les unit les unes aux autres. De ce fait, la forme de classification « quantitatif/qualitatif » opacifie les procédures d'analyse et préserve les professionnels de l'investissement du contrôle des fractions les moins initiées de leur clientèle.Between « Quantitative » and « Qualitative » Analysis. The Evaluation of Asset Managers by Professional InvestorsTo justify their investment decisions, investment professionals use analytic devices that are intended to curb financial uncertainty and classify these devices according to their “quantitative” or “qualitative” nature. This categorization describes investment practices in a way that is akin to the symbolic and cognitive resources that professionals have acquired through past processes of socialization and a social division of labor within financial analysis. However, such categorization accounts neither for the technical meaning of analytic practices nor for the functional relationship between them and therefore masks the latent function of analytic procedures. This shields investment professionals from interference by inexperienced clients.
- La « valeur » dans l'industrie financière : le prix des actions cotées comme « vérité » technique et politique - Horacio Ortiz p. 107-136 Ce texte analyse les pratiques d'évaluation des actions cotées à partir d'une enquête par observation participante auprès de courtiers à New York et de gérants de fonds à Paris entre 2002 et 2004. Les analystes financiers, traders, vendeurs d'information et gérants de fonds, utilisent tous la même théorie financière, en suivant des procédures standardisées qui définissent la « valeur » de manières différentes selon les professions, mais en la problématisant toujours par rapport à sa « vérité ». Dans ces pratiques, agissant au nom des clients réels ou potentiels dont ils sont censés représenter les intérêts, les employés se positionnent comme « investisseurs », dont les interactions auraient comme résultat la constitution de « marchés efficients ». Les employés sont liés par des relations de compétition et de complémentarité, qui s'articulent notamment à partir d'arguments techniques concernant les différentes définitions de ce qui fait la « vérité de la valeur ». Mais, comme le fait la régulation financière, ils mobilisent aussi des arguments sur le fait que la « vérité », qui serait reflétée dans les prix, fait partie du projet politique qui donne à l'industrie financière, en tant qu'espace social des « investisseurs qualifiés », le rôle de réaliser des « marchés efficients » pour atteindre une allocation sociale « optimale » du crédit. L'industrie financière est ainsi censée produire une « vérité » à travers les prix, qui est à la fois technique et politique.“Value” in the Financial Industry : the Price of Listed Stocks as a Technical and Political “Truth”This article analyzes stock valuation practices, based on participant observation in a brokerage company in New York and in an asset management company in Paris between 2002 and 2004. Financial analysts, traders, sales people and fund managers all use the same financial theory, by following standardized procedures, according to which “value”, defined differently by each profession, is always problematized in relation to its “truth”. Acting in the name of real or potential clients whose interests they are supposed to represent, employees position themselves as “investors” whose interactions would ensue in the creation of “efficient markets”. Employees are bound by relations of competition and complementarity, which are articulated in particular through technical debates about the different definitions of what constitutes the “truth of value”. Yet, just like financial regulation does, they also mobilize arguments according to which the “truth” that would be reflected in prices, is part of a political project in which the financial industry, as the social space of “qualified investors”, is expected to constitute “efficient markets” in order to obtain an “optimal” social allocation of credit. Thus, the financial industry is expected to produce a “truth” in prices, which is both technical and political.
- De la crise financière à l'impasse sociétale ? : Contribution à un débat contemporain - Jacques Lautman p. 137-155 Trois tournants majeurs sont interconnectés dans l'évolution économique et la science économique : en 1971 toutes les monnaies sont devenues des biens marchands ; peu après le néolibéralisme domine ; les mathématiques financières fascinent les économistes du modèle standard, qui oublient le Bien-être de tous, cœur de leur discipline. Le présent article examine les conséquences politico-sociales de ce triple tournant : déclin de l'État-providence ; montée des inégalités ; dettes publiques et instabilité des banques. Le pire est sans doute à venir, – ce que les gouvernants semblent refuser de voir.From the Financial Crisis toward the Dead End of a Socio-economic Model ?
Three major points in economy and in economics : in 1971 all the currencies became definitely tradable goods ; in conjunction with, slightly later neoliberalism dominates, and then the financial mathematics fascinate the major part of the economists who forget the sense of their science, the well being of everyone. This paper summarises the consequences : decline of the welfare state all over the West ; rise of inequalities ; huge public debt. But the worst is probably to come, – what the ruling class largely declines. - Conflits et marchandages autour du secret bancaire en Suisse à l'issue de la Grande Guerre - Sébastien Guex p. 157-187 Dans l'immédiat après-Première Guerre mondiale le secret bancaire helvétique devient l'enjeu d'affrontements exceptionnellement vifs entre les représentants de différentes classes ou couches sociales dont le conflit, pour diverses raisons, a accru le poids politique. Si l'afflux de capitaux étrangers en Suisse, lié aux bouleversements politiques, monétaires et fiscaux que connaît l'Europe, ouvre des perspectives très prometteuses pour la place financière et le monde des affaires helvétiques, deux dangers venant de l'intérieur du pays mettent en péril leur concrétisation. Le premier provient des attaques en règle contre le secret bancaire menées par un mouvement ouvrier renforcé et radicalisé par l'affiliation de salariés appauvris. Le second, plus inattendu, émane des menaces brandies contre ce même secret par l'organisation qui structure et exprime les intérêts de l'agriculture helvétique, l'Union suisse des paysans (USP). En effet, l'USP profite de la situation pour marchander son soutien au secret bancaire contre, notamment, un accroissement du protectionnisme agricole. Par le décryptage de cet habile marchandage, il s'agit d'analyser un moment décisif dans la longue histoire du secret bancaire helvétique ainsi que dans l'alliance conflictuelle entre grand patronat et paysannerie, deux caractéristiques qui marquent encore aujourd'hui le paysage politique de la Suisse.Conflicts and Bargaining about Banking Secrecy in Switzerland in the Aftermath of First World War
In the aftermath of First world war, Swiss banking secrecy became the issue of serious conflict between the representatives of different social classes or social groups for which the war, for several reasons, had reinforced their political weight. If the foreign capital inflow in Switzerland, which was linked to the political, monetary and tax upheavel in Europe, opened very promising perspectives for the Swiss financial centre und Swiss business, these perspectives were jeopardised by two main difficulties arising from within the country. The first of these difficulties arose from the attacks on banking secrecy carried out by the Labour movement, which has been reinforced and radicalised by the affiliation of impoverished wage earners. The second, more unexpected, arose from menaces against the banking secrecy by the organisation structuring and expressing the interests of agriculture, the Union suisse des Paysans (USP), also reinforced by the war. Indeed, the USP took advantage of the situation in order to bargain for the backing of banking secrecy, notably in exchange for increased agricultural protectionism. By decoding such a dexterous bargaining, I will analyse a decisive moment in the long history of the Swiss banking secrecy and in the conflictual alliance between big business and the peasentry, two features that still today have a significant influence on the Swiss political landscape. - Le financement de la vie politique française par les entreprises 1970-2012 - Éric Phélippeau p. 189-223 L'objectif de cet article est de revenir sur les mobilisations associées aux nouvelles règles qui ont prétendu encadrer le financement de la vie politique française, et plus spécialement certaines ressources d'origine privée : les dons des entreprises. Entre la fin des années 1980 et le milieu des années 1990, ces financements, d'abord occultes, furent soudain légalisés avant d'être de nouveau prohibés. L'analyse de ce processus livre un nouvel éclairage de ces brusques revirements. Elle montre combien la collecte et la gestion de telles ressources reflètent de sérieuses inégalités entre candidats. L'étude des débats parlementaires réformant cet enjeu lié au financement politique nous permet de pénétrer le sens pratique des députés impliqués dans ces réformes politiques. Finalement, l'examen du contexte de la prohibition des dons d'entreprises nous aide à comprendre comment les règles en matière de divulgation jouèrent un rôle important dans ce changement de cap. Par la suite, la mise en œuvre de ces nouvelles règles fut à l'origine d'incertitudes (progressivement tranchées par les juridictions), faisant naître dans le même temps d'autres manières de contourner les lois. Au final, toute l'enquête constitue plus généralement une occasion de poser la question du tracé fluctuant de la frontière symbolique entre sphère politique et milieux d'affaires ou cercles socio-économiques.The Financing of the French Political Life by Corporate Donations 1970-2012The purpose of that contribution is to go back over the mobilizations linked to the new regulations which pretended to frame the funding resources of the French political life, and particularly some of those coming from private origins : the corporate donations. Between the end of the 1980 and the mid 1990, these financing, first hidden, became suddenly legal, before being again prohibited. The analysis of that process sheds new lights on those abrupt reversals. It shows how the collect and the management of such resources reveal serious inequalities between candidates. The survey of the parliamentary debates reforming that issue related to political finance let us understand the “practical-minded” of the French MP's involved in those political reforms. Finally, the analysis of the context of the prohibition of the corporate donations helps us to realize how disclosure regulations took an important role in that change of course. Afterwards, the implementation of the new regulations revealed itself at the origin of uncertainties (progressively bring to a close by the jurisdictions), giving birth at the same time to other ways of circumventing the laws. At last, the entire enquiry is also more generally an opportunity to raise the question of the layout of the symbolic changing boundary between the political sphere and business or the socio-economical circles.
- Rapport à l'argent et conception de la corruption politique - Pierre Lascoumes, Viviane Le Hay p. 225-260 Les relations entre l'argent et le politique ont toujours été problématiques. C'est toujours la crainte d'une emprise des intérêts privés sur l'intérêt public qui est en cause, c'est-à-dire le dévoiement du bien commun par les besoins particularistes. Sur la base d'une enquête quantitative et de traitements statistiques cet article se propose de préciser dans quelle mesure les représentations de l'argent privé et des moyens d'enrichissement influent sur la conception de la fonction politique. La démonstration procède en quatre temps. Après avoir présenté les jugements généraux sur l'argent et l'enrichissement, nous montrerons leur relation avec l'appréciation du politique. Puis, nous traiterons des relations entre l'image de l'argent et les jugements sur la probité publique. Enfin, nous présenterons une typologie d'attitudes qui synthétise les variables précédentes.Manners of Relating to Money and Conceptions of Political Corruption
Money and politics have always existed in a problematic relationship to one another. At stake is the worry that private interests will take precedence over public ones ; in other words, that the common good will be perverted towards parochial ends. On the basis of quantitative analysis and statistical methods, this article seeks to understand the extent to which perceptions of personal fortune and of private gain influence the way in which politics is conceived. The demonstration proceeds in four steps. Having presented general judgments on money and private gain, we illustrate the relationship of these judgments to appraisals of the political sphere. We subsequently analyse the relationship between perceptions of money and the judgment of breaches of integrity. Finally, we present an attitudinal typology that summarizes the foregoing variables.
Note de lecture et recension thématique
- Quelle sociologie des institutions pour refonder l'économie ? - p. 261-281
- De la distinction à la diversité culturelle. Éclectismes qualitatifs, reconnaissance culturelle et jugement d'amateur - Hervé Glevarec, Michel Pinet
Analyses bibliographiques générales