Contenu du sommaire : Politique des algorithmes

Revue Réseaux (communication - technologie - société) Mir@bel
Numéro vol. 31, no 177, 2013
Titre du numéro Politique des algorithmes
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Présentation - Dominique Cardon p. 9-21 accès libre
  • Dossier : Politique des algorithmes. Les métriques du web

    • La manufacture de l'évaluation scientifique : Algorithmes, jeux de données et outils bibliométriques - David Pontille, Didier Torny p. 23-61 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Contre la vision d'une bibliométrie considérée comme un tout unifié et cohérent, cet article distingue trois composants majeurs des infrastructures informationnelles qui soutiennent l'évaluation de la recherche scientifique : les algorithmes, les jeux de données et les outils bibliométriques. En retraçant la genèse et le succès de certains de ces composants, de 1960 à nos jours, les auteurs identifient plusieurs configurations dans lesquelles s'articulent de manière différentielle la position des producteurs de jeux de données, la cible privilégiée des algorithmes et la forme des outils bibliométriques. Cette histoire montre des croisements répétés entre bibliométrie et webométrie, et rappelle que toute évaluation s'appuie nécessairement sur une définition des pairs jugés pertinents.
      The manufacturing of scientific evaluation
      In contrast with the image of bibliometrics as a unified and coherent whole, this article identifies three major components of information infrastructures that support the evaluation of scientific research: algorithms, datasets, and bibliometric tools. Tracing the genesis and success of some of these components, from 1960 to the present day, the authors identify several configurations which differentially articulate the position of dataset producers, the target of algorithms, and the form of bibliometric tools. This diachronic narrative shows repeated encounters between bibliometrics and webometrics and highlights the fact that any assessment is necessarily based on a definition of relevant peers.
    • Dans l'esprit du PageRank : Une enquête sur l'algorithme de Google - Dominique Cardon p. 63-95 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'algorithme du moteur de recherche de Google, le PageRank, est une machine morale. Il enferme un système de valeurs, donnant la prééminence à ceux qui ont été jugé méritants par les autres, et déploie une volonté : faire du web un espace où l'échange des mérites n'est ni freiné ni déformé. En revenant sur les origines du PageRank en sociométrie et en scientométrie, cet article dégage les principales propriétés épistémiques d'un système de mesure de l'autorité des documents qui s'appuie sur les liens hypertextes que s'échangent les pages du web. Une condition essentielle de sa pertinence, décrite par les modèles statistiques qui fondent la thèse de la « sagesse des foules », est de présupposer que l'outil qui enregistre les comportements des internautes soit extérieur au monde qu'il mesure. Google a mis en place un ensemble de règles pour satisfaire cette condition : séparer le référencement naturel et les liens sponsorisés, ne pas toucher à la main l'algorithme, encourager les internautes à ne pas agir en fonction de l'algorithme. Mais la massification des usages du web et la multiplication des stratégies des internautes pour se faire voir de l'algorithme rendent de plus en plus fragile l'ordre que le PageRank a imposé au web.
      Inside the mind of PageRankThe Google search engine algorithm, Page
      Rank, is a moral machine. It holds a value system, gives prominence to those that have been deemed worthy by others, and displays an intention to make the web a space where the exchange of merit is neither curbed nor deformed. By looking back at the origins of PageRank in sociometrics and scientometrics, this article identifies the main epistemic properties of a system which measures the authority of documents, and which relies on the hypertext links exchanged between web pages. One crucial condition of its pertinence, described by statistical models underpinning the “wisdom of crowds”, consists in presupposing that the tool which records the behaviours of internet users is external to the world it measures. Google has established a set of rules to satisfy this condition: separating natural ranking from sponsored links, not manually interfering with the algorithm, encouraging internet users not to act according to the algorithm. But the massification of uses of the web and the multiplication of internet user strategies to be visible to the algorithm make the order that PageRank has imposed on the web increasingly fragile.
    • La mise en chiffres de soi : Une approche compréhensive des mesures personnelles - Anne-Sylvie Pharabod, Véra Nikolski, Fabien Granjon p. 97-129 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Marginales et intimes, les pratiques de quantifications personnelles - mesures de poids, d'exercices physiques, de temps de sommeil, etc. - sont aujourd'hui promues par le développement d'outils, allant de discrets capteurs aux sites de partage de données personnelles en ligne. L'enquête qualitative auprès de personnes effectuant régulièrement de telles quantifications, avec ou sans outils sophistiqués, met en évidence trois manières principales de faire chiffre de soi : la surveillance d'un paramètre à risque, la routinisation d'une pratique jugée souhaitable et la performance à atteindre un objectif défini. Interrogeant l'efficacité de telles notations à guider en retour l'action, l'analyse montre notamment que la réflexivité chiffrée, plutôt qu'une prise de recul pour mieux se connaître, focalise l'attention sur un aspect partiel de soi et inscrit l'individu dans une série orientée, une trajectoire. Elle discute enfin la place des valeurs de référence (records, moyennes, seuils...) dans ces pratiques personnelles, une place qui apparaît d'autant plus importante avec l'usage d'outils standardisés et le partage des données en ligne.
      Self-quantifying
      Both marginal and intimate, personal quantification practices – measuring weight, physical exercise, sleeping time, etc. – are currently encouraged by the development of tools ranging from discreet sensors to personal data-sharing sites online. Through the qualitative survey of individuals who regularly carry out such quantifications, whether with or without sophisticated tools, three main ways of self-quantifying become apparent: the monitoring of a risk parameter, the routinization of a practice deemed desirable, and the performance needed to reach a defined objective. Calling into question these notations' effectiveness for guiding action, the analysis particularly shows that thinking in numbers, rather than taking a step back to better get to know oneself, focuses the attention on a partial aspect of oneself and situates the individual within oriented biased series, a trajectory. Finally, the paper discusses the role of benchmarks (records, averages, thresholds, etc.) in these personal practices – a role which seems all the more important with the use of standardized tools and the sharing of data online.
    • Notes et avis des consommateurs sur le web : Les marchés à l'épreuve de l'évaluation profane - Thomas Beauvisage, Jean-Samuel Beuscart, Vincent Cardon, Kevin Mellet, Marie Trespeuch p. 131-161 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Parmi les différentes sources d'information disponibles en ligne, les avis de consommateurs sont aujourd'hui très couramment utilisés. Ce dispositif de classement et de recommandation des biens et services se retrouve sur la plupart des sites de e-commerce mais également sur des plateformes dédiées, généralistes ou spécialisées (Ciao, Tripadvisor, Allocine, etc.). Il prend une forme relativement standardisée, combinant, modulo quelques variations, agrégation de notes et commentaires rédigés. À partir de l'observation de l'architecture de ces sites, du traitement de jeux de données collectées à cette fin et d'entretiens, l'article rend d'abord compte de la diffusion du dispositif « Note et Avis » en soulignant le mimétisme ou au contraire les aménagements spécifiques établis par les plateformes en fonction des équipements préexistants sur les marchés. L'article analyse ensuite les différentes façons dont, sur le Web, la parole profane est mise en forme par le dispositif et s'articule ou entre en conflit avec les formes expertes de l'évaluation des produits. Une typologie est enfin proposée pour cartographier le monde des sites de Notes et Avis, à partir, d'une part, des caractéristiques des produits qui sont évalués et, d'autre part, de la nature de l'incertitude sur la(es) qualité(s) qui pèse sur le consommateur dans sa phase de prospection.
      Online consumer reviews
      Among the different sources of information available online, consumer reviews are now widely used. This ranking and recommendation system for goods and services is found on most e-commerce sites, as well as on dedicated platforms, both general and specialized (Ciao, Tripadvisor, Allocine, etc.). Its form is relatively standardized and combines, give or take a few variations, an aggregate of ratings and written comments. By analysing the architecture of these sites, processing data sets collected for this purpose, and drawing on interviews, this article first reports on the spread of the “Rating and Review” system. It highlights the imitation or on the contrary the specific arrangements introduced by the platforms based on pre-existing facilities on the market. The article then analyses the different ways in which, on the Web, lay speech is formatted by the system and articulates or conflicts with expert forms of product assessment. Finally, it offers a typology to map out the world of Ratings and Reviews sites, based on both the characteristics of the products assessed and the nature of the uncertainty about the quality(ies) weighing on consumers in the exploratory phase.
    • Gouvernementalité algorithmique et perspectives d'émancipation : Le disparate comme condition d'individuation par la relation ? - Antoinette Rouvroy, Thomas Berns p. 163-196 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La gouvernementalité algorithmique se caractérise notamment par le double mouvement suivant : a) l'abandon de toute forme d'« échelle », d'« étalon », de hiérarchie, au profit d'une normativité immanente et évolutive en temps réel, dont émerge un « double statistique » du monde et qui semble faire table rase des anciennes hiérarchies dessinée par l'homme normal ou l'homme moyen ; b) l'évitement de toute confrontation avec les individus dont les occasions de subjectivation se trouvent raréfiées. Ce double mouvement nous paraît le fruit de la focalisation de la statistique contemporaine sur les relations. Nous tentons d'évaluer dans quelle mesure ces deux aspects de la « gouvernementalité algorithmique » ainsi dessinée, avec l'appui qu'elle se donne sur les seules relations, pourraient être favorables, d'une part, à des processus d'individuation par la relation (Simondon) et, d'autre part, à l'émergence de formes de vie nouvelles sous la forme du dépassement du plan d'organisation par le plan d'immanence (Deleuze-Guattari). Par cette confrontation aux principales philosophies contemporaines de la relation, il apparaît alors qu'une pensée du devenir et des processus d'individuation par la relation réclame nécessairement du « disparate » - une hétérogénéïté des ordres de grandeur, une multiplicité des régimes d'existence - que la gouvernementalité algorithmique ne cesse précisément d'étouffer en clôturant le réel (numérisé) sur lui-même. La gouvernementalité algorithmique tend plutôt à forclore de telles perspectives d'émancipation en repliant les processus d'individuation sur la monade subjective.
      Faced with algorithmic governmentality
      Algorithmic governmentality is characterized primarily by the following dual movement: a) abandoning all forms of “scale”, “benchmark”, or hierarchy, in favour of an immanent normativity evolving in real time, from which a “dual statistics” of the world emerges and which seems to do away with the old hierarchies devised by normal or average people; and b) avoiding all confrontation with individuals, whose opportunities for subjectification have become increasingly scarce. This dual movement seems to be the fruit of contemporary statistics' focus on relations. We seek to assess the extent to which these two aspects of the “algorithmic governmentality” thereby outlined, with its sole reliance on relations, could facilitate, first, processes of individuation through relations (Simondon) and, second, the emergence of new forms of life through the plane of immanence overtaking the plane of organization (Deleuze-Guattari). Through this comparison with the main contemporary philosophies of relations, it thus appears that thinking about the evolution and processes of individuation through relations necessarily pertains to the “disparate” – a heterogeneity of orders of magnitude, a multiplicity of regimes of existence – which algorithmic governmentality precisely incessantly suppresses by enclosing (digitized) reality on itself. Algorithmic governmentality tends rather to foreclose such emancipation perspectives by centring individuation processes on the subjective monad.
  • Varia

    • « Le tout est toujours plus petit que ses parties » : Une expérimentation numérique des monades de Gabriel Tarde - Bruno Latour, Pablo Jensen, Tommaso Venturini, Sebastian Grauwin, Dominique Boullier p. 197-232 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article vise à démonter que la disponibilité récente de données numériques permet de revisiter la théorie sociale de Gabriel Tarde (1843-1904) qui se passe totalement de notions telles que l'individu ou la société. Notre analyse repose sur l'idée que, tant qu'il était impossible, difficile ou simplement fastidieux d'amasser et de consulter des quantités d'informations liées à des sujets précis, il était logique de traiter les données relatives aux liens sociaux en définissant deux niveaux : un pour l'élément individuel, l'autre pour l'agrégat collectif. Mais dès que l'on suit les individus par le biais de leurs relations (ce que l'on fait généralement dans le cas des profils) il serait plus avantageux de naviguer à travers les fichiers de données sans distinguer le niveau de l'élément individuel de celui de la structure collective. On peut alors accorder une certaine crédibilité à l'étrange notion de « monades » de Tarde. Nous affirmons que c'est justement ce mode de navigation, rendu possible par l'accès aux bases de données numériques, qui permet de modifier la théorie sociologique. Au sens strict du terme, nous ne devrions plus parler de phénomènes collectifs par opposition à des phénomènes individuels, mais seulement d'autant de façons différentes de collecter des phénomènes.
      “The whole is always smaller than its parts”This article suggests that the recent availability of digital data allows us to revisit the social theory of Gabriel Tarde (1843-1904) and to forego notions such as the individual or society. Our argument is that as long as it was impossible, difficult or simply tedious to gather and navigate through masses of information on a particular item, it was sensible to describe social phenomena as if they were taking place at two different levels: one for the individuals, and the other for the aggregates. But if individuals are defined by their relations, it would be more beneficial to navigate through the datascapes without distinguishing the level of the individual element from that of the collective structures. A new credibility can thus be given to Tarde's strange notion of “monads”. We assert that it is precisely this mode of navigation, made possible by digital databases, which allows us to alter sociological theory. Strictly speaking, we should no longer talk about collective phenomena as opposed to individual phenomena, but only of as many different ways of collecting phenomena.
    • Recontextualisation : Ce que les médias numériques font aux documents audiovisuels - Matteo Treleani p. 233-258 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La recontextualisation est un phénomène typique des média numériques. Sans doute plus fréquente que la reproduction, la recontextualisation concerne la reprise d'un objet culturel dans un nouveau contexte médiatique. Pour mieux comprendre le phénomène, nous analyserons un exemple à partir d'archives télévisuelles et plus spécifiquement une éditorialisation des images du 11 septembre 2001 par la fondation Internet Archive. Cet exemple nous permettra de dégager deux formes de recontextualisation, la recontextualisation temporelle et la recontextualisation du support. Il s'agira de travailler sur deux fronts : l'historiographie (comment comprendre au présent un document du passé) et l'étude de la publication en ligne d'un document (comment un document est mis en forme par un medium numérique). Au carrefour de ces deux fronts une approche sémiotique transversale sera pertinente pour aboutir à une analyse globale.
      Recontextualization
      The phenomenon of re-contextualization, consisting in resituating a cultural object in a new media context, is typical of the digital media. It is probably more common than reproduction. To better understand the phenomenon, the author analyses a case of repurposing of television archives and, more specifically, the editorialization of images of 9/11 by the Internet Archive foundation. This example allows him to identify two forms of re-contextualization: time re-contextualization and medium re-contextualization. Then, at the interface of two different sets of studies – historiography (how to make sense of a document from the past in the present) and media studies (how a document is formatted by a digital medium) – he adopts a crosscutting semiotic approach to carry out a comprehensive analysis.
  • Notes de lecture