Contenu du sommaire : Puissance et impuissance de la critique
Revue | Mil neuf cent |
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Numéro | no 26, 2008 |
Titre du numéro | Puissance et impuissance de la critique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Avant-propos
- Avant-propos - p. 3-5
Dossier
- Critiquer - Sébastien Laurent p. 7-10
- Vers un nouveau partenariat avec le public : La critique des salons de peinture entre malaise et lucidité (1880-1914) - Nelly Archondoulis-Jaccard p. 11-30 Les discours critiques des Salons parisiens de la fin du XIXe siècle ne sont pas que des discours sur l'art. Ils sont aussi des discours qui renvoient à l'image du social, du culturel, voire de l'individu. Car le public qui fréquente les Salons oblige les critiques à se situer dans des perspectives sociales nouvelles. Leur discours dressent un tableau du public fait d'ombres et de lumières : ignorance et naïveté, vertu et carcan bourgeois, bon-sens et matérialisme, morale et banalité, curiosité et facilité. Telles sont les qualités et les faiblesses dont les critiques doivent corriger les outrances. À la fois critiques et bourgeois, ils sont des porte-parole d'une double sensibilité. De leur milieu, ils expriment des données fondamentales profondes, communes à la grande majorité des visiteurs des Salons. Par leur fonction, ils dénoncent l'ignorance dans le domaine artistique tandis que par leurs propos critiques ils permettent de saisir les réactions du public. La critique d'art apparaît au final comme une forme d'expression, par écrit, d'une sensibilité sociale devant la chose représentée.The critical discourses of Parisian salons at the end of the 19th century were more than just commentaries on art. They also reflected the society, culture and even the individuals of the time. The public frequenting the salons obliged critics to adopt new social perspectives. The portait of the public that emerged in critical discourses was ambivalent, combining ignorance and naiveity, virtue and bourgeois prudishness, common sense and materialismn, morality and banality, curiosity and laziness. Critics had to address the excesses of these qualities and weaknesses. At once critics and bourgeois, they represented a double sensibility. Through their social origins, they expressed the fundamental values common to the majority of visitors to the salons. Through their function, they condemned the public's ignorance of art while at the same time capturing the latter's reactions. In the end, the critical discourses gave written expression to a social sensibility before a work of art.
- Juges contre jurés : Les critiques et les prix littéraires (1903-1932) - Marie Carbonnel p. 31-50 Au début du XXe siècle, la naissance et l'essor d'un système inédit de récompenses fondées par des revues littéraires, des associations d'écrivains ou des académies viennent défier la critique littéraire, à plusieurs titres. Le succès de ces prix auprès des lecteurs et des auteurs leur attire les foudres d'une majorité de critiques, qui déclenchent contre eux, et pour trente années, une guerre aux dimensions matérielle et symbolique. L'objectif, ici, est de comprendre les enjeux de ce conflit, à travers une analyse des deux principales représentations de l'ennemi véhiculées par le discours critique : selon la première, ils sont des concurrents sérieux dans un champ littéraire en pleine expansion, où les intérêts économiques prennent le pas sur les considérations esthétiques ; d'après la seconde, ils menacent le pouvoir culturel de la critique en proposant une autre manière de légitimer les œuvres, donc de décider de la « valeur » et du goût littéraires.In the early 20th century, the emergence and growth of a new system of awards emanating from literary reviews, writers groups or academies were challenging literary criticism in more ways than one. Highly rated by readers and well praised by authors as well, the prizes quickly aroused the wrath of most critics, leading to a material and symbolic war that lasted no less than three decades. The aim of this article is to address the dynamics of this conflict by examining the two ways in which critical discourses represented the enemy : first, as a serious competitor within an ever-expanding literary field where economic interests came before aesthetic concerns ; second, as a rival to the the cultural authority of traditional criticism, by offering another way legitimizing literature and definding the “value” of literary tastes.
- L'introuvable critique : Légitimation de l'art et hybridation des discours aux sources de la critique cinématographique - Christophe Gauthier p. 51-72 C'est dans les années 1905-1914 que se développe une presse cinématographique à visée corporative, au sein de laquelle va progressivement émerger un discours critique. À cette époque, les films ne sont pas encore envisagés comme des objets artistiques. Dépourvus des outils appropriés à l'analyse du nouveau mode d'expression, les premiers chroniqueurs cinématographiques font feu de tout bois ; en empruntant à des catégories esthétiques issues de la littérature ou des beaux-arts, ils inventent par là même des moyens d'appréhension critique qui demeureront dans l'histoire du cinéma. C'est dans ce contexte que se fait jour une première phase de légitimation du cinématographe, alors envisagé comme le « sixième art ».The development between 1905 and 1914 of a press specialising in film critique and invested with professional identity enabled the progressive emergence of a critical train of thought. At the time, the film was not yet considered an art form. As they lacked appropriate analytical tools for this new mode of expression, the first film critics used whatever came to hand. By borrowing aesthetic categories from literature and the Fine Arts, they invented the means of critical perception that would persist throughout cinematographic history. This context sees the appearance of a first phase which legitimises cinema as the “sixième art”.
- Le double jugement de l'art est-il possible ? : Les impasses d'une critique catholique dans trois polémiques littéraires et religieuses de l'entre-deux-guerres - Hervé Serry p. 73-90 Durant l'entre-deux-guerres, plusieurs polémiques littéraires soulèvent la difficulté, pour les écrivains se revendiquant du catholicisme, d'imposer une esthétique qu'ils veulent influencer par leur religion. À des titres divers, pour Barrès, Maritain ou pour la revue Vigile, il s'agit de tenter de concilier l'autonomie de la pratique littéraire et le respect d'un dogme. Ces débats posent plusieurs questions. Quelles sont les conditions de possibilités d'une esthétique catholique ? L'institution ecclésiale peut-elle reconnaître un écrivain catholique ? Comment les instances de consécration littéraire acceptent-elles un catholique écrivain ? Autrement dit, quelles sont, dans cette configuration de double contrainte, cléricale et esthétique, les possibilités de développement de la fonction critique.During the inter-war period, several literary debates reflected the difficulties for Catholic writers to impose an aesthetic influenced by religion. In various ways, for Maurice Barrès or Jacques Maritain, it ws a question of trying to reconcile the autonomy of literary practice with respect for dogma. These debates raised several questions. Was a Catholic aesthetic possible ? Can the Church recognize a Catholic writer ? Can the authorities of the literary field accept a catholic writer ? In other words, faced with this double constraint, clerical and aesthetic, what are the possibilities for developing a Catholic literacy criticism ?
- Alain critique philosophe - Thierry Leterre p. 91-104 Il est impossible de séparer le travail critique d'Alain de la réorientation de ses intérêts à partir de sa découverte du journalisme en 1900. Il y trouve un style qui fait du philosophe universitaire qu'il est jusqu'alors un philosophe écrivain, produisant au passage un modèle de l'intellectuel dont l'influence va devenir prééminente avec Sartre. L'intérêt esthétique qui se développe chez lui à l'occasion de son engagement militaire pendant la Grande Guerre et après, dans différents ouvrages sur la musique, la sculpture, la littérature ou la peinture, fait partie de cette contestation des formes canoniques de la philosophie. La critique est chez lui une manière d'affirmer une autre manière de faire de la philosophie, pour un public élargi : en ce sens le travail critique correspond à la valeur démocratique de l'écriture. D'où une théorie de l'œuvre comme saisie immédiate du réel et de la critique comme réponse à ce choc initial.It is impossible to separate Alain's critical work from the change in interests that followed his discovery of journalism in 1900. He found in journalism a new style which transformed the academic philosopher into a writer philosopher, creating a model of the French intellectual that would come into its own with Sartre. Alain's approach to aesthetics developed while he was serving during WWI and developed after the war through different books on music, sculpture, painting or literature, to challenge the canonical forms of philosophy. To be a critique was for him another way of doing philosophy for a larger audience : to this extent, his critical work reflected the democratic value of writing. This led to a theory of art as an immediate way of seizing the world, and of criticism as the answer to this initial choc.
- Comment la critique vint à Thibaudet - Michel Leymarie p. 105-124 Albert Thibaudet, titulaire d'une célèbre chronique de la Nouvelle Revue française dans l'entre-deux-guerres, est venu à la critique « par hasard ». Il ne collabore pas aux nombreuses revues de la Belle Époque. D'abord substitut de Marcel Drouin, il intervient dans la querelle sur la nouvelle Sorbonne lancée par Agathon, puis devient un collaborateur régulier de la NRF. Son « acquisition », juge alors Gide, est aussi importante que celle de Suarès ou de Tharaud. Il inaugure en 1912 une chronique régulière. Même s'il rend compte d'ouvrages de Barrès ou de Maurras, sa critique est avant tout de nature littéraire. L'œuvre de critique et d'essayiste politique est postérieure chez un homme qui est, avant la Grande Guerre comme plus tard, excentré par rapport au premier cercle de la NRF.Albert Thibaut, author of a famous chronical in the Nouvelle Review française in the inter-war period, became a critic almost by accident. He did not collaborate in the multiple reviews of the belle époque. First a substitute for Marcel Drouin, Thibaudet became involved in the debate on the new Sorbanne launched by Agathon, before becoming a regular collaborator in the NRF. Gide judged his acquisition to be just as important as that of Saurès or Tharaud. In 1912, he began a regular chronical. Even if he reviewed the works of Barrès or Maurras, Thibaudet's criticism was first and foremost literary. The work of the polical commentator and critic came later for this man who, before the the war as after, was on the margins of the first circle of the NRF.
- La critique littéraire porteuse de discours politique : La Nouvelle Revue française (1919-1925) - Yaël Dagan p. 125-142 Quel fut l'impact de la NRF sur l'opinion publique lettrée en France dans les années 1919-1925 ? La réflexion spécifiquement politique occupe une place accessoire dans les sommaires, tant la composante littéraire est écrasante. Mais l'étude de son discours esthétique montre une implication très forte dans le contexte politique, en dépit d'une apparence de détachement des affaires de la cité. Un débat passionné met en rivalité classicisme et romantisme, sous-tendant l'essentiel du contenu critique de la revue. Ainsi, en 1919, le terme classicisme semble être encore étroitement lié à une représentation manichéenne propre à une période du conflit ; en 1924, il apparaît comme l'incarnation d'un rejet de la guerre, celle-ci étant associée de façon négative au romantisme. À travers ce débat, toute une œuvre de révision des valeurs identitaires est mise en route, ce qui n'est pas une contribution politique négligeable.This article will evaluate the impact of the NRF upon the educated classes in France between 1919 and 1925. Although at first glance literary preoccupations dominated the journal and specifically political discussions occupied a marginal place, examining the aesthetic discourse as a whole reveals a different picture. It shows that the journal was deeply embedded in the political context of the time, despite its outward appearance of detachment. A passionate debate regarding the merits of classicism over romanticism underlay the journal's critical discussions. Whereas in 1919 the term classicism was linked to a wartime Manichean representation, by 1924 classicism was used to express a rejection of the war, which was instead negatively associated with romanticism. This debate within the NRF reveals how the journal engaged with a post-war process of revising identity values, the political impact of which was far from negligible.
Documents
- Régionalisme, dreyfusisme et nationalisme : Lettres d'Émile Durkheim et de Georges Sorel au poète Joachim Gasquet (1899-1911) - Willy Gianinazzi p. 143-162 Ruinant l'idée reçue selon laquelle Sorel aurait collaboré, en 1899 et 1900, à une revue conservatrice, le Pays de France dirigé par Gasquet, l'introduction reconstruit le parcours du jeune directeur, animateur de cénacle poétique et de revues littéraires à Aix-en-Provence. Régionaliste et fédéraliste, Gasquet, qui a pour amis Maurras, Gide, Cézanne, adhère au « naturisme » de Saint-Georges de Bouhélier. Il mène campagne en faveur de Dreyfus et de la LDH, s'attire pour cela les compliments de Durkheim, seconde les sympathies socialistes des collaborateurs de sa revue, puis, soudainement, se convertit au nationalisme et au catholicisme. Le problème du rapport de l'art à la politique est posé.Refuting the established idea that Sorel collaborated in 1899 and 1900 in the conservative review directed by Gasquet (le Pays de France), the introduction to these letters reconstructs the journey of a young editor who was the inspiration behing a group of poets and reviews in Aix-en-Provence. Gasquet was a regionalist and a federalist, who was friends with Charles Maurras, André Gide and Paul Cézanne, and adhered to the “naturism” of Saint-Georges de Bouhélier. He led a campaign in support of Dreyfus and the Ligue des droits de l'homme, for which he received the praise of Émile Durkheim, and shared the socialist sympathies of the collaborators in the Pays de France, before suddenly converting to nationalism and Catholicism. Gasquet's trajectory raises questions about the relationship between art and politics.
- Régionalisme, dreyfusisme et nationalisme : Lettres d'Émile Durkheim et de Georges Sorel au poète Joachim Gasquet (1899-1911) - Willy Gianinazzi p. 143-162
Lectures
- Lectures - p. 163-180
Bibliographie
- Études sur Georges Sorel (XII) - Michel Prat p. 181-185
In memoriam
- André Gorz et le syndicalisme révolutionnaire - Willy Gianinazzi p. 192