Contenu du sommaire : Pensée coloniale 1900
Revue | Mil neuf cent |
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Numéro | no 27, 2009 |
Titre du numéro | Pensée coloniale 1900 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Avant-propos - p. 3-4
Pensée coloniale 1900
- Quelle pensée coloniale ? : Introduction - Olivier Cosson, Yaël Dagan p. 5-11
- « Nouvelles » colonies et « vieux » empires - Jane Burbank, Frederick Cooper p. 13-35 L'article englobe dans le même cadre analytique des empires dits « continentaux » – Empire ottoman, Russie, Autriche(-Hongrie), Reich allemand – et « d'outre-mer » – Grande-Bretagne, France. Dégagé du piège des oppositions catégorielles convenues (terrestre/outre-mer, modernité/tradition, État-nation/empire), le monde impérial de 1900 devient plus intelligible et n'apparaît plus, sur son versant colonial, comme une nouveauté. La démonstration consiste à présenter une multitude de répertoires, résultat de différentes stratégies visant à l'incorporation de populations hétérogènes dans une seule entité politique tout en maintenant les distinctions et les hiérarchies, dans le dessein de vaincre les empires concurrents.This article puts into the same analytic frame “continental” empires, such as those of the Ottomans, the Romanovs, the Habsburgs, and the Kaisers and “overseas” empires, notably the British and French. If we avoid the trap of conventional distinctions (land/sea, modern/traditional, nation-state/empire), the imperial world of 1900 becomes more intelligible and appears less like a new phenomenon. The article presents the multiple repertoires of empires, resulting from strategies intended to incorporate heterogeneous populations in a single political entity while maintaining distinctions and hierarchies, in the face of competing empires.
- La gauche coloniale en France : Socialistes et radicaux (1885-1905) - Gilles Candar p. 37-56 Des années 1880 au début du siècle, la France républicaine se dote d'un vaste Empire colonial. La gauche politique s'y oppose, mais cette contestation n'est ni unanime, ni durable. Le ralliement précoce et massif du radicalisme à l'expansion coloniale ne débouche pas sur une politique spécifique au sein du « parti colonial ». Les socialistes ne représentent au départ qu'une force complémentaire au radicalisme dans son opposition. À partir de 1905, la politique coloniale devient un sujet de controverses théoriques au sein du socialisme français et international, mais sans grandes incidences sur la situation politique intérieure. Les dénonciations les plus vives du système colonial ne viennent pas de personnalités hostiles à son principe, mais sont avant tout des protestations morales contre des situations jugées criminelles ou iniques.From the 1800s to the turn of the century, republican France treated itself to a vast colonial empire. The political left opposed this enterprise, but its opposition was neither unanimous nor persistent. The precocious and massive rallying of radicalism to colonial expansion did not end up in a specific political stance within the “colonial party”. After 1905, colonial politics became a subject of theoretical controversies within French and international socialism, but without great effect on the internal political situation. The strongest denunciations of the colonial system did not come from people hostile to its principles, but were above all moral protests against situations considered criminal or iniquitous.
- Une libre pensée impériale ? : Le Comité de protection et de défense des indigènes (ca. 1892-1914) - Emmanuelle Sibeud p. 57-74 Présidé et animé par Paul Viollet, le Comité de protection et de défense des indigènes incarne un projet : « défendre les indigènes », oscillant entre acceptation et contestation des nouvelles logiques impériales. Minuscule, coupé des colonies et des colonisés, le comité prétend néanmoins soumettre la colonisation au principe de l'universalité du droit et aux intérêts supérieurs de l'internationalisme. Quel sens peut-on donner à son histoire, au fil des deux décennies qui encadrent 1900 ? On fera l'hypothèse qu'il est l'un des marqueurs d'une pensée coloniale complexe et que ses choix théoriques et pratiques invitent à analyser les modalités et l'influence des rencontres métropolitaines entre colonisateurs et colonisés.The Committee for the protection and defense of indigenous people was created in 1892 by Paul Viollet and carried on its activities until Viollet's death in november 1914. The program of the committee, asserting indigenous rights, was both an acknowledgement and a strong criticism of Empire. The committee argued that colonization had to come to terms with the universalism of human rights and with internationalism. But it was a weak structure, quite isolated from colonial policy and the very indigenous people it wanted to protect. What is then the meaning of its trajectories in the two decades preceding and following 1900 ? This paper analyses the committee as one feature of French colonial thought around 1900. Its theoretical choices and practices invite an analysis of the modes and influence of encounters between colonisers and colonised.
- Au-delà du bien et du mal : Religion, école et colonisation - Dominique Borne, Benoît Falaize, Olivier Cosson, Yaël Dagan p. 75-86 Les auteurs de cet entretien ont coordonné un ouvrage collectif Religion et colonisation. XVIe-XXe siècle, où vingt-trois contributeurs, historiens de périodes et d'aires culturelles diverses, élucident ce lien mal connu entre processus de colonisation et dimension religieuse. L'entretien porte sur le contexte mémoriel de la parution du livre, traite du nouveau regard porté sur les acteurs de l'histoire coloniale, religieux ou enseignants notamment, et sur la contribution des spécialistes de l'histoire religieuse à ce champ de connaissance en friches.Dominique Borne and Benoit Falaize coordinated a collective volume Religion et colonisation, XVIe-XXe siècle, in which twenty-three authors, historians of diverse periods and culture areas, contribute to understanding the poorly understood link between processes of colonization and the religious dimension. The interview opens up the memorial context of the appearance of the book and suggests a new look at actors in colonial history – clerics and teachers notably – and at the contribution of specialists of religious history to this fallow field of knowledge.
- Le moment « impérial » de l'histoire des sciences sociales (1880-1910) - Pierre Singaravélou p. 87-102 Les années 1880-1910, où culminent conjointement le scientisme et l'expansion coloniale, correspondent au moment de l'institutionnalisation des savoirs sur les colonies et les populations colonisées. De nouvelles disciplines, les « sciences coloniales » – l'« histoire et la géographie coloniales », « la législation et l'économie coloniales » – sont enseignées dans les universités et les grandes écoles françaises. Les spécialistes de la colonisation se professionnalisent et jouent un rôle décisif dans le développement des réseaux impériaux en métropole et dans les colonies. L'analyse de la « disciplinarisation » des savoirs coloniaux permet ensuite de mettre au jour les spécificités des « sciences coloniales » : le terrain et l'objet coloniaux induisent un décentrement épistémologique, conduisant les chercheurs en sciences sociales à élaborer de nouvelles méthodes et catégories d'analyse.The years 1880-1910, which represent the height of scientism and “high imperialism”, correspond to the institutionalization of knowledge about the colonies and colonized peoples. New disciplines, the “colonial sciences” – “Imperial history and geography”, “Colonial law and economics” – were taught in French universities and “Grandes écoles”. Colonial scholars and experts were professionalized and played a decisive role in the development of imperial networks in the metropole and in the colonies. Analysis of the disciplinarization of colonial knowledge reveals the specificities of “colonial sciences”: fieldwork in and study of colonies brought about an epistemological transformation, leading scholars to create new methodologies and theories.
- Penser le fait colonial à travers le droit en 1900 - Emmanuelle Saada p. 103-116 En 1900, la « science coloniale », vaste nébuleuse en formation, est en large partie dominée par le droit : la discipline juridique, et plus encore ses grands concepts, sont jusque dans les années 1930 au centre de la façon dont on pense la colonisation. Inversement, le fait colonial est largement négligé par les acteurs les plus éminents et les plus influents du droit universitaire. Cet article revient sur ce paradoxe en décrivant tout d'abord les manières dont le droit a investi les institutions de recherche, d'éducation et de diffusion du savoir qui ont accompagné l'émergence de la « science coloniale ». Ensuite, à partir d'une analyse de la doctrine juridique coloniale, on montre quelles branches du droit ont été privilégiées et quelles questions ont été autorisées par l'approche juridique : sur ces deux points, la période 1900 représente un tournant. Enfin, on suggère quelques hypothèses pour expliquer l'importance du droit dans la pensée coloniale aux alentours de 1900, puis sa progressive mise à l'écart.In 1900, “colonial science” was a nebulous and expanding field with law at its center. Until the 1930s, the juridical discipline and its legal concepts dominated reflections on colonization. But, conversely, colonization was of little interest to the most important legal theorists of the time. This article attempts to explain this paradox. It starts with a description of the many ways in which law permeated research and educational institutions and other networks of knowledge that shaped “colonial science”. Then, it gives an overview of colonial legal doctrine and explains which legal matters and which specific themes had been central to colonial law. It also indicates what kind of questioning was made possible within “colonial science” by this emphasis on law. On all these fronts, 1900 represents a turning point. Finally, the paper will suggest a few hypotheses to explain the rise and fall of law in colonial thought.
- Une pensée coloniale à l'oeuvre ? : Les officiers coloniaux dans la crise de la modernité militaire des années 1900 - Olivier Cosson p. 117-132 Au-delà de la crise politique ouverte par l'affaire Dreyfus et des relations tendues qu'elle entretient avec le pouvoir, l'armée française vit dans les années 1900 un moment particulier de modernisation, face à l'ennemi allemand et aux mutations technologiques qui accompagnent la course européenne aux armements. L'armée coloniale atteint alors un âge de maturité ; forte de son prestige, elle exerce une influence croissante en métropole. Surtout, l'inconnue d'une « guerre moderne » qui pourrait tromper les anticipations de la future guerre européenne semble prendre corps sur le terrain colonial, en Afrique du Sud et en Mandchourie. Cette contribution, à travers la polémique née en France à la suite de la Guerre anglo-boer et l'évocation de la figure de l'officier colonial, tente d'évaluer la singularité d'une pensée coloniale au sein de l'armée française de l'avant-guerre de 1914-1918.The French Army of the 1900's was not only preoccupied by the well known Dreyfus affaire and its aftermath. It was going through a difficult period of modernisation, trying to challenge the German enemy, to cope with technological changes in weaponry that were part of the European arms race. The Colonial Army reached an age of maturity and enjoyed a high prestige; its influence was growing in Paris. Above all, a “modern war” that risked to run counter to predictions of a future European war seemed to be coming about on colonial territory, notably in South-Africa and Manchuria. This contribution tries to evaluate the singularity of colonial thought in the French Army before World War I, based on case studies of French perceptions of the South-African War and evocations of the changing figure of the colonial officer.
- Les mots du sionisme : Retour aux sources - Yaël Dagan p. 133-146 Des travaux insistant sur le caractère colonial de l'entreprise sioniste ont suscité un vif débat qui, indirectement, porte sur la définition du colonialisme. Beaucoup de chercheurs ne voient dans le conflit israélo-arabe qu'un affrontement national, ethnique, voire religieux, et récusent son lien avec la colonisation de la terre. Cette démarche est favorisée, chez les historiens israéliens, par la charge idéologique du vocabulaire utilisé pour construire leur discours. Or, ce vocabulaire est le produit du projet politique ambitieux de transformer l'hébreu en une langue parlée moderne. Ainsi, les émigrants-colons arrivés en Palestine avec la deuxième vague d'émigration sioniste connue sous le nom Aliya Shniya (1904-1914) ne furent pas seulement les fondateurs d'une nouvelle société, ils forgèrent aussi les concepts qui les empêchèrent de prendre conscience de la dimension coloniale de leur acte.Scholarship emphasizing the colonial character of the Zionist enterprise have elicited a lively debate that indirectly opens the question of how to define colonialism. Many scholars only see in the Israeli-Arab conflict a national, ethnic, and religious clash, setting aside its link to the colonization of land. This tendency is furthered, among Israeli historians, by the ideological weight of the vocabulary used to construct their discourse. This vocabulary is the product of an ambitious project to transform Hebrew into a modern spoken language. Immigrant-colonists arriving in Palestine with the second wave of Zionist immigration known under the name of Aliya Shniya (1904-1914) were not only the founders of a new society, but the forgers of concepts that prevented them from becoming aware of the colonial dimension of their actions.
- Un imaginaire colonial sans colonies : Les pavillons italiens de l'Exposition coloniale internationale et des pays d'Outre-Mer (Paris, 1931) - Maddalena Carli p. 147-163 Le 6 mai 1931 fut inaugurée à Paris l'Exposition coloniale. Au lieu de s'aligner sur le « style indigène » adopté par les autres nations, les pavillons italiens proposèrent une coexistence de genres qui répondait mieux aux intentions de la dictature fasciste : cacher l'absence d'un présent colonial par le prestige du passé et les promesses de l'avenir. Le classicisme de la reproduction de la basilique érigée par Septime Sévère à Leptis Magna (Libye), les formes moyenâgeuses de l'édifice qui personnifiait les possessions coloniales dans la mer Égée et l'allure moderniste du pavillon Italia : la « conception cyclique » proposée par la Section italienne représente l'occasion de réfléchir au mythe de l'éternité de Rome et sur les possibilités ouvertes à sa fabrication par l'espace éphémère et fictif, sinon utopique, des expositions du XXe siècle.The Paris Colonial Exposition opened on May 6, 1931. Instead of following the “native style” adopted by most nations, the Italian pavilions brought together genres that responded better to the goals of the fascist dictatorship: to conceal the absence of a colonial present behind the prestige of the past and the promise of the future. The classicism of the reproduction of the basilica built by Septimius Severus at Leptis Magna (Libya), the medieval forms of the edifice personifying colonial possessions in the Egean Sea, the modernist allure of the Italia pavilion, and the “cyclical conception” of the Italian Section provide us with an occasion to reflect on the myth of eternal Rome and on the possiblities opened by the ephemeral and fictive, if not utopian space, of 20th century expositions.
Documents
- Écrits sur l'indépendance de l'Égypte (1919-1920) - Georges Sorel p. 165-197 Ce document est consacré à un épisode peu connu de la vie de Sorel, celui de son soutien à la cause de l'indépendance de l'Égypte au lendemain de la Grande Guerre. Il réunit quatre articles, dont trois ont paru dans l'Égypte, une petite revue éditée à Paris par les défenseurs de la cause égyptienne. L'introduction, par Michel Prat, présente les circonstances encore mal définies d'une des rares manifestations d'engagement anticolonialiste chez Sorel et se demande s'il est possible de l'interpréter comme traduisant une évolution « tiers-mondiste » de sa pensée.This document is dedicated to a little known episode in the life of Georges Sorel, his support of the cause of Egyptian independence in the aftermath of the First World War. It brings together four articles published in 1920, including three that appeared in Egypt and one in a small review published in Paris by proponents of the Egyptian cause. The introduction presents the circumstances – still unclear – of a rare manifestation of anticolonial engagement on the part of Sorel and asks if it is possible to interpret it as indicating an evolution of his thought in a “third-worldist” direction.
- Écrits sur l'indépendance de l'Égypte (1919-1920) - Georges Sorel p. 165-197
Lectures
- Lectures - p. 199-217