Contenu du sommaire : Vivre la révolution

Revue Annales historiques de la Révolution française Mir@bel
Numéro no 373, juillet-septembre 2013
Titre du numéro Vivre la révolution
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Introduction

  • Articles

    • « Silence de mort et craintes extrêmes » : la peur en son for privé à l'époque révolutionnaire - Sylvie Mouysset p. 11-34 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La Révolution française figure parmi les temps forts sur lesquels mémorialistes et écrivains ordinaires se sont longuement épanchés. Tous ont souhaité laisser trace de cette « fatale Révolution » qui les a fascinés tout autant qu'ébranlés. Certains de ces textes sont désormais classiques ; d'autres, souvent restés à l'état manuscrit, attendent encore leur heureuse découverte. Le parti pris ici est de traquer une émotion : la peur nichée dans un échantillon significatif d'écrits célèbres ou obscurs.Quel sens lui donner et quelle fonction exacte lui assigner dans le récit ? Celle d'un moteur de l'action, ou au contraire celle d'un frein puissant, contraignant les acteurs à l'inaction ? L'analyse du désir de témoigner et des raisons de dire l'émotion ouvre l'enquête qui est ensuite centrée sur l'expérience individuelle et collective de la peur. Il s'agit de saisir la puissance de cette émotion, de l'inquiétude à la panique, dans le feu de l'action.
      The French Revolution figures among those momentous periods about which memoralistes and other authors have written at great length. Each has wished to pay tribute to this « fatal Revolution », which fascinated them as much as unsettled them. Certain among these texts have become classics; others have remained only unpublished manuscripts still awaiting their happy discovery. The particular preoccupation here is to investigate an specific emotion – that of fear, a sentiment present in a large sampling of celebrated no less than obscure writings. What meaning can one give to this emotion, and what role exactly should it be assigned in the text— that of a impetus to action, or, conversely, that of a potent restraint condemning persons to inaction? The analysis of this impulse to bear witness, and the reasons for expressing an emotion have led to an inquiry that is ultimately centered on the collective and individual experience of fear. It is a matter here of understanding the power of emotions ranging from anxiety to panic in the heat of action.
    • L'écriture du chaos. Les « mémoires » de Jean-Charles-Pierre Lenoir (1732-1807) ou le monde perdu d'un ancien lieutenant général de police  - Vincent Milliot p. 35-57 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le « volcan de la Révolution » pousse l'ancien lieutenant général de police Lenoir à prendre la plume. Il veut « couper court » aux critiques des révolutionnaires à son encontre, réfléchir aux causes de la Révolution et défendre l'œuvre accomplie depuis 1667 par les magistrats de police. Partant du modèle administratif du « mémoire » ou traité sur la police, les traumatismes personnels infléchissent le projet initial. La contradiction entre un écrit politico-administratif et un texte hanté par la tentation littéraire du « mémorialiste », l'appel refoulé du for privé, constituent l'une des clefs de l'échec de Lenoir. Son texte demeure inachevé en 1807, entaché de remords et de variantes. Loin de constituer une source secondaire, les « mémoires » de Lenoir dans leur complexité, illustrent la déchirure et le chaos, la vision du monde en train de se défaire d'un administrateur éclairé, resté partisan des cadres de la société d'Ancien Régime.
      The « volcano of the Revolution » prompted the former lieutenant general of the police, Lenoir, to take up his pen. His aim was to stifle criticisms of the revolutionaries on his behalf, reflect on the causes of the Revolution itself, and defend the work accomplished since 1667 by the magistrats of police. To this end, Lenoir adopted the model of an « administrative mémoire » or a treatise on the police. Yet his personal traumas thwarted this initial project. The contradictions between his efforts to compose a politico-administrative text, and at the same time, a work of more literary inspiration constitute one of the major clues to Lenoir's ultimate failure. Indeed, his text remained unfinished in 1807, a project suffused with remorse, a compilation of different versions. Far from being a secondary source, the « memoires » of Lenoir in their complexity dramatize rupture and chaos, proffering a vision of a world coming apart, seen through the eyes of an enlightened administrator, who remained a partisan of the structures of Old Regime society.
    • Les mutations de la sociabilité mondaine au miroir des réseaux épistolaires d'une noblesse d'affaires (1807-1813) - Amandine Fauchon chardon p. 59-79 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les correspondances d'une noblesse émigrée permettent d'appréhender les évolutions de la sociabilité mondaine entre l'Ancien Régime et le Premier Empire. Les conversations épistolaires de la comtesse de Pontgibaud avec ses amis parisiens révèlent les difficultés financières rencontrées par une noblesse d'épée pour maintenir ses pratiques de sociabilité et de là, l'évolution des conditions matérielles des réceptions organisées. Ces correspondances sont également un témoignage de la recréation d'une vie sociable entre Trieste et Paris grâce au partage de discussions littéraires et scientifiques. Le regard d'une noblesse émigrée et d'une noblesse parisienne sur l'évolution des mœurs de la bonne société française entretient la nostalgie d'un temps révolu et une vision dichotomique de la sociabilité mondaine.
      The correspondance of emigre nobles illuminates the development of the sociability of high society between the Old Regime and the First Empire. The epistolary conversations of the Countess of Pontgibaud with her Parisian friends reveals the financial difficulties encountered by the nobility of the sword in their efforts to maintain the practices of high sociability, and with that, the evolution of the material conditions that formal organized receptions entailed. This correspondance further documents the recreation of a social life between Trieste and Paris, thanks to literary and scientific discussions. The perspective of the emigre nobility and of the Parisian nobility on this evolution of « mœurs » and high French society fostered a nostalgia of a lost time and a dichotomous vision of high society.
    • « Ce n'est pas vivre que d'exister dans un temps comme celui-ci » Gaston de Lévis : les lettres contre le néant - Laure Lévêque p. 81-99 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir des lettres que le duc de Lévis adresse à sa jeune épouse sous la Révolution, cet article s'attache à mettre en évidence les convergences de cette écriture épistolaire avec un corpus romanesque plus tardif, qui court du René de Chateaubriand à La Comédie humaine, notamment pour ce qui est de la figure de l'aristocrate, puis de l'émigré, porteuse de contestation, refuge de l'opposition au réordonnancement social sorti de la Révolution. En confrontant l'écriture du for privé à l'appareil conceptuel élaboré, pour le roman, de Georg Lukács à Pierre Barbéris, se découvre, au-delà de la divergence générique, la continuité de l'écriture et des questionnements qui la traversent, qui sont ceux de la modernité bourgeoise et de ses contradictions, aux sources du romantisme.
      Using the letters that the Duc de Levis sent to his young wife during the Revolution, this article aims to document the convergence of this particular epistolary writing with a later body of novelistic writing stretching from Chateaubriand's René to Balzac's La Comédie humaine. Specifically, the personnages of the aristocrat, then the emigre, embodiments of protest against the new social order created by the Revolution will be examined. By comparing the writing of self with an elaborate conceptual framework for the novel developed by Georg Lukacs and Pierre Barberis, one discovers beyond the generic divergence, a certain continuity of writing and preoccupations, those linked to bourgeois modernity and sources of Romanticism.
    • Le Journal d'un émigré : Robert de Saint-Vincent entre jansénisme et Contre-Révolution - Valérie Guittienne-Mürger, Monique Cottret p. 101-122 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Qui était Robert de Saint-Vincent (1725-1799) ? L'historiographie présente deux images différentes du personnage, d'une part le bouillant opposant à la monarchie absolue, le sévère janséniste qui défend la tolérance civile à l'égard des protestants, et d'autre part l'homme du 25 septembre 1788, celui qui veut fondre 1789 dans le moule de 1614. Les ego-documents redécouverts récemment (ses Mémoires rédigés en émigration et un fragment de correspondance pour les années 1789-1790) permettent de retrouver la cohérence de l'individu et de son système. Robert de Saint-Vincent croit en la monarchie de justice et interprète comme despotisme ministériel toute volonté absolutiste. Pas de roi sans Parlement. Dès lors, on comprend son désarroi, l'impression d'être trahi par les siens et la perception de la Révolution comme le mal absolu, un immense complot jésuite.
      Who was Robert de Saint-Vincent (1725-1799)? The historiography offers two different images of this personnage: one, the passionate opponent of Absolute Monarchy, a severe jansenist who defended civil tolerance for Protestants; the other, the « the man of 25 September 1788 », who aspired to cast 1789 in the same mould as 1614. The ego-documents recently rediscovered (his mémoires of émigration, and a fragment of his correspondance for the years 1789-1790) endow this individual and his system of thought with a convincing coherency. Robert de Saint-Vincent believed in the monarchy of justice, and regarded as ministerial despotism any form of absolutist power. Not a King without Parlement. From then on, his dissatisfaction is understandable: his impression of being betrayed by his colleagues, and his perception of the Revolution as a total evil, an immense jesuit plot.
    • Du prix de Rome au quai de la Piperie, Mathurin Crucy, entrepreneur de construction navale à Nantes - David Plouviez p. 145-164 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Établi à Nantes à partir de 1780 et partie prenante de l'entreprise familiale de construction navale au service de l'État, Mathurin Crucy livre un récit autobiographique intitulé L'Exorde dans lequel il détaille ses années de formation, son activité d'architecte-voyer et sa participation dans la société L. Crucy frères jusqu'à la faillite de cette dernière et la mésentente qui en découle avec sa famille à la fin de l'Empire. Ce document de for privé se révèle indispensable pour pénétrer l'intimité d'un des acteurs au cœur de l'effort de guerre naval de la Révolution et de l'Empire. En marge de cette charge contre ses frères et des différents gouvernements qui se sont succédés à partir de 1793, l'Exorde offre la possibilité d'approcher d'une manière originale le fonctionnement des chantiers navals privés à vocation militaire.
      Established in Nantes beginning in 1780, and stakeholder in the family business of naval construction for the State, Mahurian Crucy left an autobiography entitled L'Exorde, detailing his formative years, his activities in the service of the city, and his participation in the company of the L. Crucy brothers until their bankruptcy, and the resulting dissensions with his family at the end of the Empire. This highly personal document is indispensable for probing the private life of one of the personalities at the center of the naval war of the Revolution and the Empire. In addition to retailing his criticisms of his brothers and the successive revolutionary governments from 1793 onwards, L'Exorde affords an original approach to the understanding of the operation of naval shipyards.
    • Des pierres pour Saturne. Une relecture des Mémoires des Girondins - Anne de Mathan p. 165-188 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La relecture critique des neuf Mémoires rédigés par des girondins en prison (Brissot et Mme Roland) ou en fuite (Buzot, Pétion, Barbaroux, Louvet, Isnard, Meillan et Riouffe) montre comment ces vaincus qui tentent de sauver leur honneur, présentent et se représentent leur rôle dans la Révolution, les causes du conflit avec la Montagne et de leur défaite, leurs épreuves intimes. Marquées par l'héritage classique, les Lumières et Rousseau, ces confessions révèlent la cohésion d'une culture commune, moins différente de celle des Montagnards qu'on ne l'a dit. Défense et illustration des girondins, ces textes de combat stigmatisent leurs adversaires dont ils prétendent démasquer les coupables projets. Récits autobiographiques décrivant les souffrances de la réclusion ou de la proscription, ils scénarisent la force de l'ipséité face à la perspective de la mort et confèrent une dimension romantique aux destinées des girondins qui espèrent agir sur leur postérité dans l'histoire.
      A critical reading of nine Memoires written by the Girondins in prison (Brissot and Madame Roland), or in flight ((Buzot, Pétion, Barbaroux, Louvet, Isnard, Meillan et Riouffe), shows how these defeated personnages, eager to preserve their honor, presented and represented their role in the Revolution, describing the causes of their conflict with the Mountain, their defeat, as well as their intimate struggles. Bearing the imprint of classical Antiquity, the Enlightenment and Rousseau, these confessions reveal a coherent common culture, more similar to that of the Montagnards than is usually supposed. At once a defense and a collective portrait of the Girondins, these militant texts stigmatize their adversaries, whose discreditable schemes they claim to unmask. Autobiographical accounts detailing the hardships of seclusion or proscription, they dramatize the force of personal identity confronted by the perspective of death. At the same time, they confer a romantic dimension to the individual destinies of the Girondins who aspired to have an impact on posterity.
    • « Rebelle ou brigand ? » Le baron de Saint-Christol (1748-1819) vu par lui-même et par ses juges - Valérie Sottocasa p. 189-208 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les départements du Midi ont été agités par des troubles politiques précoces et souvent d'une violence extrême. La Provence a été le théâtre d'affrontements sanglants dès les premiers temps de la Révolution, la Terreur laissant place à une contre-révolution brutale qui s'essouffle sous le Consulat. Des « brigands » rouges ou blancs ont sillonné les routes, terrorisé les campagnes, mettant au défi l'ordre public dont l'État se proclame le garant. Parmi eux, le baron de Saint-Christol est dénoncé comme l'un des chefs royalistes les plus redoutables. Les autorités le dépeignent à la tête d'un réseau de brigands aussi cruels que déterminés ; elles le poursuivent avec acharnement sans parvenir à leurs fins. Saint-Christol est l'un des rares « brigands » de cette époque à avoir rédigé ses Mémoires, dans lesquels il présente de lui un tout autre portrait, celui d'un rebelle et avant tout d'un soldat du roi qui, n'ayant pas froid aux yeux, n'a reculé devant aucun danger pour faire triompher sa cause. Oscillant entre traité de philosophie politique et plaisir de raconter ses exploits, Saint-Christol livre, dans ses Mémoires, un point de vue unique sur le « brigandage » révolutionnaire dans la France méridionale.
      The departments of the Midi were agitated by early political troubles, and often by an extreme violence. Provence was the theater of bloody confrontations from the first days of the Revolution. The Terror gave way to a brutal counterrevolution that ran out of breath under the Consulate. « Bandits » red or white crisscrossed the roads, terrorized the countryside, posing a challenge to public order of which the State proclaimed itself the protector. Among these bandits, the Baron de Saint-Christol was denounced as one of the most formidable royalist leaders. The authorities depicted him as the leader of a network of bandits as cruel as they were determined; they relentlessly pursued him without ever attaining their goals. Saint-Christol is one of the rare « bandits » of this period to have written his Memoires, in which he presents himself in another light, that of a rebel and above all as a soldier of the King, who, fearless, confronted any danger for the triumph of his cause. Oscillating between a treatise in political philosophy and the pleasure of recounting his exploits, Saint-Christol offers in his Memoires a unique point of view on revolutionary banditry in Southern France.
  • Comptes rendus