Contenu du sommaire : Stratégies impériales : expansion, colonisation, intégration, conversion

Revue Cahiers du monde russe Mir@bel
Numéro volume 45, no 1-2, janvier-juin 2004
Titre du numéro Stratégies impériales : expansion, colonisation, intégration, conversion
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Articles

    • Princes Cherkasskii or Circassian Murzas : The Kabardians in the Russian boyar elite 1560-1700 - Paul Bushkovitch p. 9-30 accès libre avec résumé
      La place des Kabardes parmi les boyars russes, 1570-1700. À partir de Pierre le Grand, l'élite dirigeante a compté dans ses rangs beaucoup d'éléments non russes -- Allemands de la Baltique et Polonais, entre autres. Mais dans des temps plus reculés, elle a connu des clans d'autres nationalités. Ainsi, entre le milieu du xvie siècle et la fin du xviie siècle, le groupe le plus important était formé par des Circasssiens. Parents à l'origine de la deuxième femme d'Ivan le Terrible, les princes circassiens de Kabarda se sont introduits dans la famille des Romanov par le biais du mariage et ont atteint le faîte de leur puissance et de leur fortune. Bien que les sources russes ne fassent pas mention de leurs origines, leur généalogie telle qu'elle est présentée dans les Rodoslovnye knigi montre qu'ils ont toujours eu conscience de leur identité. Et leurs origines exotiques n'ont pas échappé aux diplomates européens. Le déclin de Kabarda et du fort russe de Terskij gorodok, situé de nos jours au Daghestan, mit fin à l'émigration vers Moscou et favorisa l'assimilation au xviiie siècle de ces familles, qui devinrent les princes ?erkasskij.
    • Proconsular ambitions on the Chinese border : Governor general iakobi's proposal of war on China - John P. Ledonne p. 31-60 accès libre avec résumé
      le gouverneur général Jakobi et sa proposition de guerre contre la Chine. Les relations russo-chinoises ont souvent été dominées au xviiie siècle par le conflit qui opposait la Chine aux Mongols occidentaux ; ces derniers cherchaient à restaurer l'unité de leur peuple et représentaient aux yeux de la Chine une menace pour la sécurité de sa frontière septentrionale. L'article retrace l'évolution de ces relations à la suite de l'arrivée de Bartholomée Jakobi à Selenginsk, en 1740. Le conflit atteignit son paroxisme au milieu du xviiie siècle, alors que la Chine manchoue était déterminée à exterminer les Mongols occidentaux. Le fils de Jakobi, Ivan, fut gouverneur général de la Sibérie orientale de 1783 à 1788. Il fut rappelé après avoir été accusé d'ourdir une guerre contre la Chine et c'est vraisemblablement afin de se justifier qu'il rédigea le document analysé ici. Jakobi prévoyait une vaste expansion des positions de la Russie vers l'Extrême-Orient, redessinant la frontière existante pour inclure une grande partie de la steppe kazakh, l'essentiel de la Mongolie et même une portion de la Manchourie. Ses desseins préfiguraient les projets ultérieurs de l'expansion russe jusqu'aux opérations menées par Kuropatkin en 1916.
    • Crimean Tatars, Nogays, and Scottish missionaries : The story of katti Geray and other baptised descendants of the Crimean khans - HAKAN KIRIMLI p. 61-108 accès libre avec résumé
      Les Tatars de Crimée, les Nogaïs et les missionnaires écossais : l'histoire de Katt? Geray et des autres descendants baptisés des khans de Crimée. Au début du xixe siècle, un groupe de missionnaires écossais fit son apparition dans les régions septentrionales du Caucase sous domination russe dans le but de prêcher la bonne parole aux Nogaïs, aux Adyghés et aux autres musulmans de la région. Le plus souvent, leurs efforts ne furent pas couronnés de succès, mais parmi les quelques personnes qu'ils réussirent à convertir se trouvait un jeune descendant de l'ancienne dynastie royale du khanat de Crimée, Katt? Geray. Ce fut là le point de départ d'une carrière très inhabituelle pour un Geray -- même peu représentatif et déjà mis au ban --, car le jeune homme allait se consacrer à la christianisation de ses compatriotes, les Tatars de Crimée. Il partit pour l'Écosse dans ce but et, avec la bénédiction du tsar Alexandre Ier, tenta de mettre sur pied de grands projets d'évangélisation en Crimée. Bien que ses efforts se soient soldés par un échec, sa mémoire demeure et continue d'éclairer les relations exceptionnelles qui se sont établies entre les Écossais, les Tatars de Crimée, les Nogaïs, les Adyghés et les Russes pendant la première moitié du xixe siècle.
    • Les missions orthodoxes entre pouvoir tsariste et allogènes : Un exemple des ambiguïtés de la politique coloniale russe dans les steppes kazakhes - Sébastien Peyrouse p. 109-136 accès libre avec résumé
      Tout au long du xixe siècle, l'Église orthodoxe, en grande partie privée de son indépendance face à l'État, a tenté de s'affirmer en cherchant à participer à la « mission colonisatrice » de la Russie en Asie centrale. Les négociations qu'elle dut mener avec les autorités afin d'obtenir le droit à une mission dite « antimusulmane », l'évolution de celle-ci après sa création en 1881 et les nombreux obstacles que les missionnaires ne sauront surmonter ont amené à un échec cuisant de l'orthodoxie dans les steppes kazakhes. Celui-ci s'explique dans le cadre d'une triangulaire colonisateur -- colonisé -- gouvernement. Le pouvoir politique a manifestement peu fait pour la christianisation des allogènes kazakhs et les missionnaires orthodoxes se sont révélés inadaptés à leur environnement, écrasés par une hostilité venant de toutes parts (« clergé » de l'islam, Kazakhs musulmans ou chamanistes, pouvoir central, hiérarchie religieuse et colons russes). Les raisons de cet échec doivent donc être recherchées non seulement dans le contexte minoritaire des chrétiens en Asie centrale mais dans la perte d'influence d'une Église rejetée des hautes sphères du pouvoir. Une telle approche permet ainsi de mettre à mal l'idée que l'avancée russe en Asie centrale fut également une colonisation religieuse.
    • Famine in the steppe : The collectivization of agriculture and the Kazak herdsmen 1928-1934 - Niccol? Pianciola p. 137-192 accès libre avec résumé
      La collectivisation de l'agriculture et les éleveurs de bétail kazakhs, 1928-1934. L'article expose les grandes lignes de la politique adoptée par l'État soviétique envers les éleveurs de bétail kazakhs entre la crise de 1928 et le milieu des années 1930 dans le but d'expliquer la mort de plus d'un million de Kazakhs pendant la famine de 1931-1933. À la cause le plus souvent invoquée par les historiens -- la perte des moyens de subsistance qui résulta de la réquisition et de l'abattage du bétail avant l'introduction forcée des Kazakhs dans les kolkhozes -- on peut ajouter les initiatives de l'appareil administratif local qui obéissait aux ordres de Moscou, telle la réquisition des céréales, imposée dans le cadre d'une « redistribution des préjudices » infligés aux paysans vers les éleveurs. De plus, les réquisitions et la famine causèrent l'effondrement du commerce entre les paysans et les éleveurs de bétail. Ce sont les éleveurs qui en souffrirent le plus.
    • ... And the entire mass of loyal people leapt up : The attitude of Nicholas II towards the pogroms - SERGEI PODBOLOTOV p. 193-208 accès libre avec résumé
      « ... et les sujets loyaux se soulevèrent en masse » : l'attitude de Nicolas II envers les pogroms. L'article étudie l'attitude qu'adopta le dernier tsar envers les événements les plus tragiques de son règne, les pogroms. Cet épisode contribue de façon significative à notre compréhension de la vision du monde et de la politique de NicolasII et du phénomène des pogroms pendant les dernières années de la Russie impériale. L'auteur se base sur des documents d'archives publiés ou inédits et sur la recherche récente. L'analyse se concentre sur les lettres du tsar, sur ses remarques à propos des pogroms et plus particulièrement sur sa politique envers les responsables et les acteurs des pogroms. La grande vague de pogroms qui a traversé la Russie après la publication du manifeste d'octobre 1905 est étudiée dans l'optique d'un bunt russe, moment d'anarchie généralisée. L'analyse du groupe qui prit part activement aux pogroms révèle que la plupart de ses membres étaient issus des masses populaires illettrées. Ces pogroms ont montré que l'autocratie de NicolasII jouissait d'un certain soutien populaire, certes d'une nature très douteuse, dans sa lutte contre la révolution. Adepte de la notion démodée de l'union du tsar et du peuple, NicolasII expliquait sans détour que les pogroms étaient le soulèvement de ses sujets les plus loyaux contre les conspirateurs révolutionnaires étrangers, soulèvement qui eut, admettait-il toutefois, d'horribles conséquences. Convaincu que la violence devait être évitée et non tolérée, NicolasII, dans ces moments critiques, fut d'une certaine manière heureux de voir que la Rus´ qu'il imaginait, celle des « vrais Russes », ces hommes simples prêts à défendre l'autocratie tsariste, était devenue, lui semblait-il, réalité.
    • La question du « touranisme » des Russes : Contribution à une histoire des échanges intellectuels Allemagne -- France -- Russie au XIXe siècle - Marlène Laruelle p. 241-266 accès libre avec résumé
      L'objectif de cet article est de montrer, à travers un thème précis et mal connu du discours sur l'identité russe, les interactions existant entre les milieux intellectuels de différents pays, qui s'empruntent mutuellement de nombreuses thématiques appréhendées, selon les intérêts politiques en jeu, de manière positive ou négative. Le terme de « touranisme » constitue l'un de ces « transferts culturels » ayant existé entre la France, l'Allemagne et la Russie. Définissant la prétendue unité ethno-linguistique des peuples d'Asie du Nord, il s'est développé en partie comme argument des milieux savants allemands et français russophobes cherchant à exclure la Russie du jeu européen et donc à dénier, sur un mode à la fois culturaliste et racial, son européanité. Trois problématiques émergentalors : la classification raciale appliquée aux Russes, les arguments concernant leur supposé « touranisme », puis la délégitimation historique de l'empire des Romanov au profit de la Pologne. Cette accusation occidentale de touranisme, typique de la russophobie du xixe siècle, s'est paradoxalement vue réappropriée et retournée en un discours nationaliste par certains intellectuels russes de la mouvance slavophile tout au long du siècle et ce, jusqu'au courant eurasiste. Ainsi, ce qui apparaît trop souvent comme un débat scientifique interne à une seule communauté scientifique se révèle en fait inscrit dans un ensemble plus vaste de polémiques transnationales sur les frontières orientales de l'Europe, faisant apparaître au grand jour le caractère rhétorique de l'identité et ses mécanismes de construction « à géométrie variable ».
  • Archives

    • Les fonds sur l'histoire du caucase au XIXe siècle dans les archives du service historique de l'armée de terre - SÉBASTIEN HAULE p. 321-346 accès libre avec résumé
      Les archives conservées au Service historique de l'armée de terre, à Vincennes, sont particulièrement riches pour qui travaille sur l'histoire de la Russie. L'auteur présente un inventaire des documents relatifs à l'histoire du Caucase au xixe siècle. Ces archives, dispersées dans trois séries -- Dépôt de la guerre, Troisième République et Génie -- réunissent des documents provenant des militaires en mission ou des diplomates en poste dans la région. Elles témoignent de l'attention que portait la France à un espace situé au c?ur de la « question d'Orient ».
    • Les crises turque et iranienne 1945-1947 : L'apport des archives caucasiennes - Georges Mamoulia p. 267-292 accès libre avec résumé
      Cet article est consacré aux apports des archives caucasiennes concernant les relations soviéto-turques et soviéto-iraniennes en 1943-1947. Il s'agit d'étudier l'influence des élites locales sur l'élaboration de la politique étrangère de l'URSS au Proche-Orient. Des sources nouvelles nous permettent de mieux cerner le mécanisme de prise de décision dans le contexte des relations entre le Kremlin et les républiques du Caucase du Sud.
    • « ... us et coutumes adoptées dans nos guerres d'orient » : L'expérience coloniale russe et l'expédition d'Alger - SÉBASTIEN HAULE p. 293-320 accès libre avec résumé
      Le 5 juillet 1830, l'armée française du général Bourmont s'empare d'Alger. Parmi les officiers étrangers présents aux côtés des Français, se trouve le colonel A.I. Filosofov, envoyé par le tsar Nicolas Ier comme conseiller. Son arrivée a été précédée quelques mois plus tôt par l'envoi d'un mémoire rédigé par le comte A. I. ?erny?ev qui dirige l'État-Major russe. Ce mémoire est présenté et annoté dans le présent article. L'intérêt historique de ce texte réside autant dans la compréhension des pratiques coloniales entre les États que dans l'histoire militaire russe ou encore dans la connaissance des relations franco-russes à la veille de l'avènement de la monarchie de Juillet.
    • Iz istorii zemleustrojstva evreev v SSSR - Dina A. AMAN?OLOVA p. 209-240 accès libre avec résumé
      L'installation des travailleurs juifs en URSS. Remarques générales. L'article examine la création et l'activité du Comité chargé de l'installation des travailleurs juifs (Komitet po zemleustrojstvu evrejskih trudja??ihsja -- KomZET), la polémique au sein des organes centraux du parti et du pouvoir soviétique aux niveaux national et républicain sur la composition, les pouvoirs et le statut de ce comité. L'auteur avance la thèse que l'installation des travailleurs juifs faisait partie d'un programme social et ethnopolitique des bolcheviks visant à créer une société socialiste et homogène de travailleurs ; elle faisait aussi partie d'une campagne de propagande visant à faire connaître internationalement les réussites de ce programme. L'article analyse la coopération entre le KomZET et les organismes étrangers, plus particulièrement l'Agro-Joint, la proportion de leurs ressources financières, le rôle du KomZET dans la résolution des problèmes ethnoculturels et socio-économiques rencontrés par les colons juifs. Il met l'accent sur des détails relatifs aux décisions concernant la création d'une région autonome juive et son emplacement géographique, sur la politique de l'État concernant la migration des juifs dans les années 1920-1930, et sur l'interdépendance entre la politique intérieure du pays et sa position internationale. En conclusion, l'auteur remarque que, dans ce problème de l'installation des travailleurs juifs soviétiques, les intérêts des adversaires idéologiques et de classe (l'URSS et l'Occident) se rejoignaient sur le terrain.