Contenu du sommaire : La participation au prisme de l'histoire

Revue Participations Mir@bel
Numéro no 3, mai 2012
Titre du numéro La participation au prisme de l'histoire
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier : La participation au prisme de l'histoire

    • Introduction. Comparer les pratiques délibératives à travers les époques : une aberration historique ? - Paula Cossart, Julien Talpin, William Keith p. 5-47 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cette introduction vise à interroger d'un point de vue méthodologique et épistémologique la pertinence d'une comparaison des pratiques délibératives à travers le temps et l'espace. À partir d'une discussion des différentes approches du comparatisme historique, nous défendons les vertus d'un comparatisme dérangeant, celui de « comparer l'incomparable » (Detienne), d'un « anachronisme contrôlé » (Loraux) permettant d'interroger les expériences du passé sous un nouveau jour à partir de questions contemporaines, mais aussi de mieux comprendre les dynamiques présentes à l'aune de leur historicité. Nous revenons ensuite sur certains apports du numéro quant à la compréhension de la participation citoyenne aux négociations, aux débats publics, aux processus d'expertise et de décision, à partir de quatre questionnements transversaux aux articles : sur les raisons de la participation, ses acteurs, ses formes et ses effets.
      Comparing deliberative practices through the ages: a historical aberration?
      The aim of this introduction is to question from a methodological and epistemological point of view the relevance of a comparison of deliberative practices across time and space. Starting from a discussion of different approaches of comparative history, we defend the virtues of a disturbing comparativism – that of “comparing the incomparable” (Detienne) – a “controlled anachronism” (Loraux) allowing to shed a new light on past experiences coming from contemporary questionings, and also, taking into account their historicity, to better understand the present dynamics. We then analyze some of the contributions of this issue to the understanding of citizen participation to negotiations, public debates, expertise and decision processes – around four general questions: on the reasons for participation, its actors, its forms and its effects.
    • Chahut et délibération. De la souveraineté populaire dans l'Athènes classique - Noémie Villacèque p. 49-69 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Quand les adversaires du régime athénien reprochent aux citoyens assemblés de se comporter en spectateurs et aux orateurs de se faire acteurs pour mieux les séduire, ce n'est pas pour stigmatiser une quelconque passivité du dèmos, mais, au contraire, pour déplorer qu'il participe intensément. Ce topos nous invite à revenir sur une conception dialogique de la délibération. En effet, si ce sont toujours des membres de l'élite qui prennent la parole à la tribune, les citoyens ordinaires, loin de garder le silence, participent activement à la délibération : une délibération informelle et tumultueuse par laquelle le peuple, « public délibérant », réaffirme sa souveraineté... avant de voter à main levée.
      Uproar and deliberation. Of popular sovereignty in classical Athens
      When the Athenian regime's opponents accused citizens of behaving like spectators, and the orators of being like actors (all the better to seduce them), this is in no way a stab at the passivity of the demos. It is, on the contrary, a disapproval of its fervent participation. Examining this topos requires us to reevaluate our conception of deliberation. While those who speak on the stage are always members of the elite, the ordinary citizens, unwilling to remain silent, take part in the deliberation by creating an uproar. Thus, the power of decision remains, indirectly, with the audience.
    • Délibération et participation sous la République romaine : une oligarchie parée d'atours démocratiques - Dominique Hiebel p. 71-91 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les notions de démocratie participative ou délibérative étaient inconnues des Romains. Cependant, l'élite romaine porta une attention aiguë à la question de la participation populaire et sut instiller des mécanismes faisant écho aux solutions actuellement proposées comme remèdes à la crise du système représentatif. Rome consacra ainsi un espace dédié à la discussion des affaires publiques : une assemblée du peuple, la contio, constitua cet espace exclusivement voué au débat. Dès lors, à travers l'étude des procédures institutionnalisées de communication in contione, nous réinterrogeons le fonctionnement des institutions romaines à l'aune des notions contemporaines de démocratie participative et délibérative et tentons de déterminer si la contio fut un lieu de débat ouvert, destiné à faire du citoyen un acteur dynamique du jeu politique, ou si une telle vision s'avère trop optimiste.
      Deliberation and participation in the Roman republic: an oligarchy disguised as democracy
      Notions of participatory and deliberative democracy were unknown to the Romans. However, the Roman republican elite paid great attention to the question of popular participation and was able to create mechanisms echoing the solutions actually proposed as remedies to the crisis of the representative system. Rome also devoted a space to discussing public affairs: a popular assembly, the contio, constituted a place exclusively consecrated to formal debate. Through the study of institutionalized procedures of communication that took place in contione, we might question how Roman institutions functioned, in the light of contemporary notions of participatory and deliberative democracy; we will try to determine if the contio was actually a place of open debate, in order to see if citizens were dynamic actors in the political game, or on the contrary, if such a view is too optimistic.
    • Entre commodité et consentement. Des enquêtes publiques au XVIIIe siècle - Frédéric Graber p. 93-117 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article examine plusieurs dispositifs consultatifs de l'Ancien Régime, relevant d'institutions différentes, mais tous qualifiés d'enquêtes de commodo et incommodo (ou expressions voisines), qui visent à établir l'utilité publique, ou à prendre connaissance des intérêts et des droits engagés, avant de décider sur un projet. Il s'intéresse principalement aux procédures judiciaires préalables à l'enregistrement de lettres patentes par les cours souveraines et aux enquêtes d'intendants préalables aux décisions du conseil du roi. Il s'interroge sur les logiques de ces dispositifs, leurs objectifs, leur caractère plus ou moins consultatif.
      Convenience and consent. Public inquiries in Eighteenth-century France
      This paper examines several consultative procedures of Eighteenth-century France used by different institutions, but with similar names: de commodo et incommodo inquiries (“advantages and disadvantages”). They aimed at establishing the public benefit, while determining existing rights and interests, before deciding about a project or policy. This essay focuses primarily on judicial procedures prior to the registration of letters patent by parlements and on inquiries by provincial intendants prior to the decisions of the king's council. The paper examines and compares the logic of these procedures, their goals, and their participative dimensions.
    • Participation, discussion et représentation : l'expérience clubiste de 1848 - Samuel Hayat p. 119-140 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Suite à la révolution de 1848, les clubs prolifèrent, en particulier à Paris. Héritiers de traditions multiples, ils endossent plusieurs rôles (discussion, préparation des élections, contestation), et leur statut est incertain. Par une série d'épreuves, deux interprétations se construisent progressivement. Une conception participative des clubs, porteurs d'une partie de la souveraineté et représentant les représentés, est formulée lors de la manifestation du 17 mars. La journée du 16 avril voit l'apparition d'une conception discursive, cantonnant les clubs à la discussion. Le 15 mai, ces deux conceptions s'affrontent, et la première est invalidée.
      Participation, discussion and representation: the 1848 clubist experience
      After the 1848 revolution, political clubs proliferate, especially in Paris. As heirs of multiple traditions, they take on multiple roles (discussion, preparation of elections, protest), and their status is uncertain. Through a series of challenges, two interpretations are gradually constructed. A participatory conception of clubs, carrying a dimension of sovereignty and “representing the represented”, appears ​​at the demonstration on March 17th. The journée of April 16th sees the emergence of a discursive conception, confining the clubs to a role of discussion. On May 15th, these two views clash, and the first is invalidated.
    • Tradition rhétorique et transition démocratique. Histoire de l'art oratoire et de ses publics dans le Japon du début de l'ère moderne - Satoru Aonuma, Xavier Blandin p. 141-160 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article propose un nouveau regard sur l'histoire des traditions rhétoriques et de l'enseignement de l'éloquence dans le Japon du début de l'ère moderne. Nées de l'intersection entre le contexte politique de l'époque et les notions occidentales d'argumentation et de pédagogie du débat, des associations appelées Minken kessha apportent une contribution sans équivalent à la promotion de la démocratie, mais aussi à la création d'une tradition oratoire et à la popularisation de la parole publique dans le Japon moderne. Cette étude explore, d'après des documents d'archives, l'histoire des kessha en tant qu'organisations rhétoriques, en s'attachant particulièrement à la transformation des activités politico-discursives telles qu'elles sont mises en œuvre dans l'argumentation, non seulement entre pairs mais aussi dans l'espace public.
      Forensic tradition and democratic transition: an alternative history of rhetoric and its publics in early modern Japan. This article offers an alternative account of the history of both rhetorical traditions and forensics (speech and debate pedagogy) in early modern Japan. Arising at the intersection of western notions of argumentation and debate pedagogy and the political conditions at the time, voluntary associations called minken kessha made invaluable contributions not only to promoting democracy but also to shaping the forensic tradition and the popularization of public discourse in early modern Japan. Based on historical evidence already collected and archived, this article seeks to explore the history of kessha as forensic organizations (places of public speaking and debate), with a particular analytical focus on the transformation of their politico-discursive activities as they were engaged in argumentation, not only by peers but also in the public sphere.
    • Former des citoyens par la délibération publique : une entreprise fragile (États-Unis et France, 1870-1940) - Paula Cossart, William Keith p. 161-187 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Nous nous intéressons ici au développement, dans des régimes démocratiques, d'entreprises d'apprentissage de la citoyenneté consistant à concevoir des espaces au sein desquels les individus viennent échanger collectivement sur des enjeux publics. Nous montrons que des idéaux assez semblables de la discussion publique ont pris forme en France, dans les réunions politiques contradictoires du dernier tiers du XIXe siècle, et aux États-Unis, notamment dans les public forums des années 1920 et 1930 : dans les deux cas, il est attendu des participants qu'ils s'inscrivent dans des normes et pratiques relevant d'une vision rationnelle de la citoyenneté. Cette comparaison révèle ainsi des similitudes importantes quant aux objectifs poursuivis, mais aussi quant aux réussites et échecs des dispositifs. Nous concluons l'analyse par une réflexion sur les leçons que l'on peut tirer de cette histoire croisée pour les projets contemporains en matière de démocratie délibérative.
      To form citizens by public deliberation: a delicate attempt (United States and France, 1870-1940)This essay focuses on promoting, in democratic regimes, citizenship education by developing areas in which individuals come together to discuss public issues. We show that very similar ideals of public discussion took shape in France, in political rallies featuring debate in the last third of the 19th century, and in the United States, especially in the public forums of the 1920s and 1930s. Both institutions expected participants to adopt standards and practices of communication which corresponded to a rational view of citizenship. This comparison reveals important similarities with respect to their goals, but also about the successes and failures of these techniques. We conclude our analysis by reflecting on the lessons we can learn for contemporary projects of deliberative democracy.
  • Postface

  • Lecture critique

  • Varia

    • La conversation n'est pas l'âme de la démocratie - Michael Schudson, Charles Girard p. 219-238 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Inspirées notamment par les écrits de John Dewey, les études sur la communication ont souvent vu la conversation en face à face comme le cœur de la vie démocratique. Mais la conversation en face à face a été autant honorée dans les aristocraties que dans les démocraties, et il y a, en réalité, deux idéaux distincts et contrastés de conversation – la conversation orientée vers la sociabilité et la conversation orientée vers la résolution de problèmes. La conversation qui sert la démocratie est caractérisée non par l'égalitarisme, mais par le fait qu'elle est gouvernée par des normes et qu'elle est publique, non par la spontanéité, mais par la civilité, non par la priorité ou la supériorité dont elle jouirait vis-à-vis des médias écrits et audiovisuels, mais par sa nécessaire dépendance à leur égard. L'article affirme que les institutions et les normes politiques ne trouvent pas leur origine dans la nature supposée intrinsèquement démocratique de la conversation, mais que ce sont elles qui font naître les conversations démocratiques.
      Why conversation is not the soul of democracy
      Inspired by the writings of John Dewey, among others, thinking in communication studies has often taken face-to-face conversation to be the heart of democratic life. But face-to-face conversation has been as much honored in aristocracies as in democracies and there are, in fact, two distinctive and contrasting ideals of conversation: the sociable conversation and the problem-solving conversation. Conversation that serves democracy is distinguished not by egalitarianism but by norm-governedness and public-ness, not by spontaneity but by civility, and not by its priority or superiority to print and broadcast media but by its necessary dependence on them. An argument is offered that institutions and norms of democracy give rise to democratic conversations rather than that the inherent democracy of conversation gives rise to politically democratic norms and institutions.