Les lignes qui suivent ont été écrites pour un colloque de psychiatrie qui s'est déroulé à Brumath en mars 2004. J'avais alors utilisé quelques témoignages historiques pour tenter d'illustrer le fait que beaucoup de professionnels de la psychiatrie, dans un passé somme toute assez proche, ne respectaient en rien les droits des patients qu'ils soignaient, comme s'il s'agissait en fait de sous-hommes, voire d'extraterrestres. Le terme « aliéné », utilisé pendant deux mille ans dans les pays de langue latine, exprimait bien cette idée d'une altérité si tranchée que celui qui était étiqueté comme tel était ressenti par tout un chacun comme un « autre », un étranger au monde humain ordinaire, dont il convenait, du fait même de son étrangeté, de se méfier comme de la peste, et qu'il fallait mettre à l'écart, voire supprimer. L'« asile d'aliénés » a été inventé en grande partie pour exercer cette fonction, même s'il a été utilisé par les meilleurs de ses professionnels comme un lieu sacré d'accueil et de soins des plus déshérités de nos concitoyens. Mais il a pu devenir, aux mains des plus médiocres ou des plus pervers, un outil de domination dévoyé de sa fonction initiale, un outil de pouvoir fou. On verra clairement dans les quelques exemples qui suivent, qui peuvent paraître bien banals, comment un savoir supposé a pu justifier d'exorbitants et néfastes pouvoirs, exercés au détriment des individus que ceux qui étaient les détenteurs de ce savoir avaient pour mission d'accueillir, de protéger et de soigner.