Contenu du sommaire : numéro spécial : Histoire politique des populations
Revue | Annales. Histoire, Sciences Sociales |
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Numéro | vol. 61, no 1, janvier 2006 |
Titre du numéro | numéro spécial : Histoire politique des populations |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Histoire politique des populations
- Pour une histoire politique des populations - Paul-André Rosental p. 7-29 Comment faire l'histoire des populations ? Dans les décennies d'après-guerre, la réponse est fournie par Louis Henry, à l'INED, qui promeut une démographie historique essentiellement statistique, non sans relais de la part de Fernand Braudel et de l'école des Annales. Mais, dans les années 1980, la déconstruction des catégories, inspirée de Michel Foucault, la critique de l'objectivisme, la découverte, par l'histoire de la statistique, des racines idéologiques ambiguës de la démographie (natalisme, eugénisme, volonté de contrôle biopolitique) déstabilisent la discipline. Pour empêcher que la réflexivité ne se substitue à la production de connaissances, sont introduits de nouveaux objets (les institutions) et de nouvelles méthodes (la micro-histoire). À l'ancienne démographie historique succède une histoire sociale et politique des populations. Son objet est la construction simultanée des institutions, des politiques et des savoirs relatifs aux populations. Condorcet, combattu par Malthus; Achille Guillard, inventeur du mot démographie, ainsi, bien sûr, que Maurice Halbwachs ont formalisé la nature « sociale » de la population. À l'opposé des tentations sociobiologiques contemporaines, le lien organique entre population et protection sociale soulève toute la question de l'auto-création de la société.
- Pauvreté et assistance : La politique locale de la mortalité dans l'Angleterre des XVIIIe et XIXe siècles - Steven King p. 31-62 Cet article a pour objet les recherches sur la période clé du « décollage » démographique en Angleterre à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, et le développement lent et prudent des méthodes statistiques et des ressources empiriques qui l'ont accompagné. Depuis la fin des années 1960, on a attribué à l'Angleterre ancienne un régime de faible pression démographique dominé par la nuptialité. L'article examine d'abord les explications macroscopiques données à l'évolution des variables censées caractériser ce régime : âge au mariage, taux de mortalité, de fécondité légitime et de nuptialité. Il propose ensuite une revue des approches révisionnistes qui ont émergé depuis une dizaine d'années, sur la base des micro-analyses détaillées des comportements et motivations. Dans un troisième temps, l'article part de l'analyse microscopique d'un comté pour déterminer de manière détaillée les relations entre le système d'aide sociale de la communauté (Poor laws), d'une part, le niveau de mortalité et ses évolutions, d'autre part. Il aborde, enfin, la question de la politique de la démographie.
- Des coolies aux Chinois d'outre-mer : La question des migrations dans les relations sino-américaines (années 1850-1890) - Éric Guerassimoff p. 63-98 Le traité Bayard-Zhang marque un tournant dans l'approche chinoise de la question migratoire dans les relations entre la Chine et les États-Unis d'Amérique. À partir de 1885, les demandes vigoureuses et répétées des ministres chinois à Washington au sujet des indemnités à verser aux victimes des émeutes anti-chinoises tranchent nettement avec l'attitude plutôt conciliante de l'empire Qing vis-à-vis des États-Unis concernant l'émigration. Cette convention se distingue également par les échanges qu'elle a suscités en Chine, non seulement parmi les fonctionnaires concernés ou intéressés par cette question, mais aussi entre l'administration et les émigrés. L'article s'efforce de souligner le rôle de ces divers acteurs chinois dans la définition de l'émigration qui est ébauchée en Chine au cours des années 1880. Cette perspective amène à mettre en valeur les origines politiques de la conceptualisation de l'émigré par le gouvernement impérial, assez souvent négligées au profit des ressorts économiques et financiers qui animent la vision utilitariste de ces processus.
- Géopolitique et État-providence : Le BIT et la politique mondiale des migrations dans l'entre-deux-guerres - Paul-André Rosental p. 99-134 Dans l'entre-deux-guerres, le Bureau International du Travail s'efforce de construire une régulation mondiale des migrations. La signature de conventions inter-étatiques développe le droit international de la mobilité, droit maritime notamment, mais aussi les droits sociaux attribués aux travailleurs migrants : assurances sociales en matière de risque vieillesse, invalidité, maladie, décès, chômage, accidents du travail. À l'image d'Albert Thomas ou Arthur Fontaine, le BIT prolonge ici l'action de l'Association internationale pour la protection légale des travailleurs. Au nom du libéralisme, il voit dans la diffusion de l'État-providence la condition d'une juste concurrence économique. Soutenu par des associations de défense des migrants souvent liées aux Églises, le BIT se réclame du paritarisme et réunit hauts fonctionnaires, chefs d'entreprises et délégués des syndicats. En vue d'un meilleur partage des matières premières et de la main-d'?uvre, il revendique une autorité supranationale qui s'imposerait notamment en matière coloniale. Mais il se heurte au jeu brûlant de la géopolitique : les nations dénuées d'Empire, en s'appuyant sur des concepts de la démographie (optimum, surpeuplement...), récupèrent cette atteinte portée au principe de souveraineté nationale. Au nom de l'intérêt de l'humanité, les réformateurs sociaux du BIT forgent ainsi une doctrine qui, à leur corps défendant, justifiera à sa manière les coups de force territoriaux des années 1930 (Mandchourie, Éthiopie).
- Pratiques de naturalisation : Le cas du bassin industriel de Longwy (1946-1990) - Sarah Vanessa Losego, Lutz Raphael p. 135-162 La présente contribution analyse un échantillon de dossiers de naturalisation concernant des étrangers italiens, polonais, portugais, algériens, marocains et tunisiens, résidents de l'agglomération de Longwy entre 1946 et 1990. Il en résulte que la population déclarée française doit être envisagée comme le point de croisement entre la volonté et la représentation de l'appartenance nationale de la part des cadres politico-administratifs et un ensemble de stratégies sociales de la part des étrangers. On peut distinguer trois constellations spécifiques renvoyant aux périodes 1950-1958,1965-1975 et 1976-1990. En même temps, l'analyse fait voir l'émergence lente d'un modèle républicain de la naturalisation qui puise ses forces dans la stabilité des procédures administratives et dans la continuité du discours sur l'intégration. En pratique, la conception selon laquelle un individu est prêt et capable de faire partie harmonieusement de la « communauté française » a changé à partir du milieu des années 1970. La naturalisation est bien davantage devenue une ressource stratégique pour les immigrés, en particulier pour les jeunes, dans le cadre de trajectoires biographiques plus complexes et souvent très précaires. Surtout à l'égard de ces derniers, l'administration française a réagi en facilitant leur inclusion dans la communauté nationale.
- Pour une histoire politique des populations - Paul-André Rosental p. 7-29
COMPTES RENDUS
- Comptes rendus. Démographie - p. 165-229
Penser la population au Moyen Äge
- Une histoire intellectuelle des populations médiévales - Alain Boureau p. 233-244
Idéologies et anthropologie
- L'altérité aïnoue dans le Japon moderne (années 1880-1900) - Arnaud Nanta p. 247-273 L'anthropologie et l'archéologie préhistorique japonaises modernes se mettent en place dans les années 1870-1880, à la suite des débats savants et des missions ethnographiques des siècles précédents. Les débats qui ont lieu dans le contexte du tracé des frontières modernes et de la colonisation affirment, à la fin du XIXe siècle, les indigènes du Nord comme « barbares préhistoriques », ceux-ci se voyant construits en tant qu'entité homogène en la figure de l'« Aïnou », altérité de « race » du peuple japonais. La controverse en anthropologie préhistorique qui secoue la Société d'anthropologie de Tôkyô, quant à la nature « raciale » du peuplement autochtone de l'archipel, peut ainsi être interprétée, dans ses enjeux politiques, dans le cadre de la construction de l'État-nation moderne.
- Les enjeux de l'image dans l'anthropologie soviétique des années 1920 et 1930 - Frédéric Bertrand p. 275-292 La place accordée à l'image par les anthropologues soviétiques durant les années 1920-1930 éclaire la vigueur et la diversité des projets de légitimation en concurrence. Sur fond de « marxisation », l'aura de la mécanisation du regard, reflet du fantasme scientiste auquel est soumis la construction de la société soviétique, n'allait pas mettre pour autant un terme à la coexistence entre dessin et photographie. Le musée ethnographique, lieu central de la professionnalisation, a par ailleurs grandement contribué à imposer, outre certaines contraintes à l'instrumentalisation de l'image, les conditions de la continuité de l'esthétisation du regard sur l'autre. Par l'attribution d'une place respective et hiérarchisée, assurant une logique parfois contradictoire, à cette coexistence, les anthropologues soviétiques se sont efforcés de constituer le préalable à la promotion d'une « science ethnographique ».
- L'altérité aïnoue dans le Japon moderne (années 1880-1900) - Arnaud Nanta p. 247-273