Contenu du sommaire : Techno-
Revue | Tracés |
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Numéro | no 16, 2009/1 |
Titre du numéro | Techno- |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Techno-, un préfixe qui démange - Florent Coste, Paul Costey, Christelle Rabier p. 5-21
Articles
- La circulation des savoirs techniques du Moyen-âge à l'époque moderne. Nouvelles approches et enjeux méthodologiques - Liliane Pérez, Catherine Verna p. 25-61 L'intérêt des historiens pour la dissémination des techniques est le reflet des doutes profonds qui se sont exprimés à l'égard de la thèse diffusionniste qui, traditionnellement, liait les transferts techniques à l'expansion économique occidentale. Des études de cas ont en effet complexifié notre compréhension de cette question. Cet article vise à présenter des questions méthodologiques qui ont surgi récemment à ce sujet. La thèse centrale de notre article est que, bien que les transferts de technologies aient pu avoir lieu sur de longues distances, l'échelle macroéconomique n'est pas appropriée à leur étude. La circulation des techniques est allée de pair avec des adaptations et des traductions constantes, en fonction des choix faits par les acteurs ; la fréquence des diversions, retards, dilutions et échecs empêche ainsi les historiens de proposer un modèle de diffusion homogène. Les territoires ne sont pas des entités abstraites, mais des constructions humaines ; les caractéristiques locales interfèrent toujours avec les processus de diffusion. Cela nous renvoie à une problématique plus générale : les techniques sont des réponses à des besoins et des attentes spécifiques ; elles n'appartiennent pas au monde de l'universel, mais à celui de la diversité, de la contingence et de l'hétérogénéité.
- Qu'est-ce qu'un droit des sciences et des techniques ? À propos de la traçabilité des OGM - Marie-Angèle Hermitte p. 63-75 Depuis les années soixante-dix, plusieurs auteurs ont développé un discours sur la « société du risque », liée à la massification de la production et aux nouvelles technologies. Il s'est accompagné d'un renouveau des travaux sur la fonction de la « confiance » et les conditions pour l'obtenir, mais ils ont été assez peu entendus. Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, c'est une opposition frontale entre société de la connaissance et de l'innovation et société du risque qui domine. L'observation du droit montre pourtant de multiples tentatives cherchant à jeter un pont entre les soeurs ennemies. C'est à partir de l'exemple des OGM et plus particulièrement de l'obligation de traçabilité qui leur est imposée que l'on montrera la recherche, déçue à ce jour, d'une société de la confiance.
- Pragmatique de la notification - Christian Licoppe p. 77-98 Le design des notifications est marqué par une tension croissante entre deux orientations normatives relatives respectivement à la conduite de l'action en plan et aux exigences de réactivité et de disponibilité. Le statut ambivalent des interruptions reflète cette tension : perturbantes (par rapport à l'exécution du plan) ou positives (comme occasions de réactivité). D'un côté, les concepteurs de technologies en réseaux, particulièrement génératrices d'interruptions et de sollicitations, façonnent les notifications pour les rendre paradoxalement saillantes mais discrètes. De l'autre, l'étude d'un cas empirique concernant l'usage de la messagerie instantanée au travail montre comment les utilisateurs exploitent de leur côté les multiples possibilités qui leur sont offertes d'adapter les notifications pour produire des régimes d'engagement de plus en plus finement différenciés. Ce travail de modelage des régimes d'attention et d'engagement, basé sur le design et l'usage des formats de notification, participe du développement d'une culture où l'entrée en relation souffre d'être opérée sur le mode de la sollicitation directe et de la sommation immédiate. Ceci montre tout l'intérêt pour les sciences sociales de développer une approche pragmatique des « notifications ».
- Le martyre de Jacquard ou le mythe de l'inventeur héroïque (France, xixe siècle) - François Jarrige p. 99-117 Dans l'Europe industrielle du xixe siècle, les inventeurs et les techniciens deviennent peu à peu l'objet d'un véritable culte public. En France, le mécanicien Jacquard ? l'inventeur d'un nouveau métier à tisser les tissus façonnés ? a ainsi suscité d'innombrables biographies populaires. Elles mettent toutes en scène les étapes du martyre de l'inventeur en butte à l'hostilité des ouvriers. Jacquard aurait été victime de la violence des travailleurs, il aurait même échappé de peu à la mort et sa mécanique aurait été brûlée en place publique par la foule mécontente. Pourtant, cet épisode de la vie de Jacquard n'a jamais existé ; il apparaît après la mort de l'inventeur pour montrer le geste héroïque du mécanicien contraint de braver tous les dangers pour faire triompher le progrès et la modernité. Plutôt qu'une histoire du procédé technique et de son impact sur l'organisation du travail, cet article entend questionner le processus de construction de la figure de l'inventeur en héros national en suivant les étapes successives d'élaboration de la légende du martyre de Jacquard au cours du xixe siècle.
- Les qualités politiques des technologies. Irréversibilité et réversibilité dans la gestion des déchets nucléaires - Yannick Barthe p. 119-137 S'il est désormais admis que les techniques ne sont pas neutres, rares sont les travaux qui décrivent de manière précise quelles sont leurs propriétés politiques. À partir de l'exemple du stockage des déchets nucléaires, cet article développe une sociologie politique des dispositifs techniques dont l'objectif est d'expliciter les différentes définitions de la décision politique que ces dispositifs incorporent. L'analyse de trois solutions proposées dans la gestion des déchets nucléaires permet ainsi de distinguer trois modèles de décision en situation d'incertitude scientifique. L'auteur montre que c'est par ce type de clarification des qualités politiques des techniques que les sciences sociales peuvent contribuer à la discussion des choix dans ces domaines.
- Michel Foucault : repenser la technique - Judith Revel p. 139-149 La notion de « technique » reçoit chez Heidegger et chez Foucault une acception et un traitement foncièrement différents. Chez Foucault, ce que l'on entend par « technique » ne peut en effet être compris qu'à partir d'un contre-pied radical par rapport à ce qui fonde au contraire chez Heidegger la formulation de la « question de la technique » et la conception de l'ontologie. Ce même contre-pied foucaldien rend pourtant possible, dans la critique violente qu'il produit à l'égard de ce qu'il ressent chez Heidegger comme une nouvelle métaphysique, une autre manière (non métaphysique : immanente) de penser l'ontologie. La question des techniques de soi, chez Foucault, c'est en effet - à partir d'une problématisation du rapport à soi qui doit beaucoup à la pensée grecque mais qui ne nourrit jamais l'illusion d'un « retour aux Grecs », et qui ne cesse au contraire d'interroger nos propres pratiques - une manière de penser l'invention de soi (la production de subjectivité) comme une création, c'est-à-dire comme une ontologie constituante.
- Reproduction, simulation, performance. L'Ève future de Villiers de l'Isle-Adam - Jean-Christophe Valtat p. 151-164 Quelle que soit la technophobie affichée des écrivains de la modernité symboliste, leur pratique révèle des négociations et questionnements quant au rapport à la technique qui sont culturellement à la base des nôtres. L'Ève future de Villiers de L'Isle-Adam le démontre. Par-delà leur intérêt contextuel (sur la reproduction des apparences et du mouvement, ou sur l'impact de l'enregistrement), les techniques contemporaines mobilisées dans l'Ève future, sont pensées par Villiers dans leurs potentialités d'une manière qui préfigure nos propres modes d'interaction avec un environnement technique global, notamment sur les points de l'intelligence artificielle, de l'interactivité, de la simulation, du « posthumain » et des mutations cognitives, libidinales ou génériques qui l'accompagnent. En lisant le texte de Villiers à la lumière des théories contemporaines, l'article se propose de montrer à l'?uvre la continuité d'une logique culturelle dans notre rapport aux objets techniques.
- La circulation des savoirs techniques du Moyen-âge à l'époque moderne. Nouvelles approches et enjeux méthodologiques - Liliane Pérez, Catherine Verna p. 25-61
Note
- Figures historiques de l'expertise - Frédéric Graber p. 167-175
Traductions
- Une esthétique de l'échec : les tendances « postdigitales » dans la musique électronique contemporaine. - Kim Cascone, Marc Lenormand p. 179-192
- « La puissante magie de la vraisemblance » : Edgar Allan Poe à l'époque du machinisme. - John Tresch, Barbara Turquier, Christelle Rabier p. 193-219
- Les usages intelligents de l'ingénierie et la légitimation du pouvoir étatique. - Chandra Mukerji, Marc Lenormand, Florent Coste p. 221-246
Entretiens
- « This is not just music, it's techno. » Entretien avec Laurent Garnier - Florent Coste, Thomas Mondémé, Arnaud Fossier p. 249-263
- Les techniques de l'expérimentation. Entretien avec Simon Schaffer - Christelle Rabier, Aurélien Ruellet p. 265-281